Le Dialogue (Hurtaud)/21

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 74-75).


CHAPITRE V

(21)

Comment la route qui menait au ciel ayant été rompue par la désobéissance d’Adam, Dieu fit de son Fils un pont par lequel on puisse passer.

Puisque je t’ai dit que du Verbe mon Fils unique, j’avais fait un pont, et c’est la vérité, je veux que vous sachiez, mes enfants, que la route fut coupée par le péché et la désobéissance d’Adam, de telle sorte que nul ne pouvait plus atteindre à la vie durable. Ainsi les hommes ne me rendaient plus par ce moyen la gloire qu’ils me doivent, puisqu’ils ne participaient plus au bien pour lequel je les avais créés. Dans ces conditions ma Vérité n’était pas accomplie. Ma Vérité est que j’ai créé l’homme à mon image et ressemblance pour qu’il possède la vie impérissable, pour qu’il partage avec moi et goûte la souveraine et éternelle douceur de ma Bonté. Mais, après que le péché eût fermé le ciel et les portes de la Miséricorde, tout accès lui fut fermé de ce côté. La faute produisit les épines et les tribulations de contrariétés multiples. La créature trouva en elle-même la rébellion, car aussitôt qu’elle se fut révoltée contre moi, elle se rebella contre elle-même. Sans plus tarder, la chair se mit en guerre contre l’esprit, et en perdant l’état d’innocence, l’homme devint un animal immonde ; il eut à lutter contre toutes les choses créées qui lui auraient été soumises s’il fût demeuré dans l’état où je l’avais placé. En l’abandonnant, il a transgressé mon commandement et mérité la mort éternelle, pour l’âme et pour le corps.

Dès qu’il eut péché, il fut assailli par un torrent impétueux qui toujours vient le battre de ses eaux ; il lui fallut endurer peines et tourments : tourments du côté de lui-même, tourments du côté du démon, tourments du côté du monde. Tous se noyaient dans ce torrent, et aucun, avec toutes ses justices personnelles, ne pouvait arriver à la vie éternelle. C’est pourquoi, voulant porter remède à de si grands maux, qui étaient vôtres, je vous ai donné mon Fils comme un pont, sur lequel vous puissiez passer le fleuve sans vous noyer. Ce fleuve, c’est la mer pleine de tempêtes de cette vie ténébreuse.

Vois donc quelles obligations la créature a envers moi, et combien elle est ignorante, pour vouloir encore se noyer et ne pas accepter le secours que je lui ai donné.