Le Dialogue (Hurtaud)/40

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 129-130).


CHAPITRE X

(40)

Comment les damnés ne peuvent désirer aucun bien.

Si grande est la haine qui les possède, qu’ils ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien. Sans cesse ils blasphèment contre moi. Et sais-tu pourquoi ils ne peuvent ainsi désirer le bien ? Parce que, avec la vie, finit pour l’homme l’usage du libre arbitre. Le temps qui lui avait été donné pour acquérir des mérites, ils l’ont perdu : ils ne peuvent plus mériter désormais. Ceux qui sont morts dans la haine, coupables de péché mortel, c’est pour toujours. La divine justice tient l’âme enchaînée dans les liens de la haine, et toujours elle demeure obstinée dans le mal qu’elle porte en elle, en se rongeant elle-même. Aussi toujours s’accroissent ses peines, et spécialement celles qui viennent de ceux dont elle a causé la damnation.

Souvenez-vous de ce riche damné, qui demandait en grâce que Lazare allât trouver ses frères, qui étaient demeurés dans le monde, pour leur apprendre quelles étaient ses peines.

Ce n’était pas la charité qui le poussait à en agir ainsi ni la compassion pour ses frères, puisqu’il privé de la charité et ne pouvait désirer le bien, ni mon honneur ni leur salut. Car, je te l’ai déjà dit, au prochain ils ne peuvent faire aucun bien, et moi ils me blasphèment ; leur vie s’est achevée dans la haine de moi et de la vertu.

Pourquoi donc le faisait-il ? Il le faisait, parce qu’il avait été le plus grand parmi ses frères et qu’il les avait élevés dans les iniquités dans lesquelles il avait vécu. Il était ainsi la cause de leur damnation, et il prévoyait que par là même son châtiment allait s’aggraver encore, quand ils viendraient partager ses tourments, là, où l’on se ronge dans la haine, éternellement, parce que dans la haine s’est terminée la vie.