Le Dialogue (Hurtaud)/59

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 196-197).


CHAPITRE XXIX

(59)

Comment, par la crainte servile figurée par le premier gradin du pont, l’on s’élève au second.

Je t’ai dit que nul ne pouvait passer par le pont ni sortir du fleuve, sans monter les trois gradins et telle est la vérité. On les franchit, qui imparfaitement, qui parfaitement, quelques-uns avec une grande perfection. Ceux qui sont mus par la crainte servile ne les gravissent et n’assemblent leurs puissances qu’imparfaitement.

L’âme voit la peine qui suit la faute, et elle se lève, elle recueille ensemble ses puissances : la mémoire pour évoquer le souvenir de son péché ; l’intelligence pour contempler le châtiment qui lui est réservé ; la volonté pour détester et fuir le châtiment. Bien que ce sot là la première montée, la première réunion des puissances, il convient de l’accomplir, à la lumière de l’intelligence, par le regard intérieur de la très sainte Foi. Elle ne doit pas regarder seulement à la peine, mais aussi à la récompense de la vertu, et à l’amour que je lui porte, pour dépouiller la crainte servile, et accomplir cette ascension par amour, avec les pieds de l’affection.

En agissant ainsi, l’on cesse d’être esclave pour devenir féal serviteur, servant par amour et non par crainte ; et l’on y arrive, si l’on s’emploie avec haine à arracher la racine de l’amour-propre, et si l’on apporte à ce travail de la prudence, de la constance et de la persévérance.

Mais nombreux sont ceux qui se mettent à l’œuvre et accomplissent leur ascension si lentement, qui me servent avec tant d’imperfection, tant de négligence, tant d’ignorance, que soudain ils perdent courage. Le moindre vent contraire les prend comme une voile et les ramène en arrière. Il y avait d’imperfection dans leur montée du premier degré du Christ crucifié, qu’ils n’ont pu atteindre au second, qui est son cœur.