Le Dialogue (Hurtaud)/98

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 353-357).


APPENDICE

ÉCLAIRCISSEMENTS SUR LE DON DE DISCERNEMENT

CHAPITRE I

(98)

Comment la lumière de la raison est nécessaire à toute âme qui veut servir Dieu en vérité : Et tout d’abord. de la lumière générale.

Alors le Dieu éternel, plein de complaisance pour la faim et la soif de cette âme, pour la pureté de son cœur, pour le désir avec lequel elle lui demandait les moyens de le servir, abaissa sur elle le regard de sa Bonté et de sa Miséricorde, pour lui dire : O ma bien-aimée, ô ma très chère et douce Fille, ô mon épouse, élève-toi au-dessus de toi-même et ouvre l’œil de ton intelligence en même temps que l’oreille de ton désir, pour contempler ma Bonté infinie et l’Amour ineffable que j’ai pour toi et pour mes autres serviteurs ; car si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre. Oui, l’âme qui ne voit pas avec l’œil de son intelligence l’objet de ma Vérité ne peut entendre ni connaître ma Vérité ; c’est pourquoi je t’invite, pour la mieux connaître, à t’élever au-dessus des impressions des sens. Et Moi, qui me réjouis de ta demande, je satisferai à ton désir. Non que rien puisse accroître ma joie, car Je suis Celui qui suis, Celui qui vous donne l’accroissement, mais que rien de vous ne peut grandir. Mais je me complais dans ma propre joie d’avoir accompli mon œuvre.

Cette âme obéissant à cette invitation, s’éleva au-dessus d’elle-même, pour connaître la vérité sur ce qu’elle demandait. Et Dieu éternel lui dit : Pour te faire mieux comprendre ce que je vais t’expliquer, je commencerai par te parler des trois lumières qui rayonnent de Moi, la vraie Lumière.

La première est une lumière générale, qui éclaire tous ceux qui sont dans la charité commune. J’ai déjà eu occasion de t’en entretenir ici ou là, mais je répéterai ce que j’ai déjà dit pour que ton faible entendement saisisse mieux ce que tu veux savoir. Les deux autres lumières sont pour ceux qui ont quitté le monde pour tendre à la perfection. A ce sujet, je t’exposerai en détail ce que tu m’as demandé, et que je n’avais touché que d’une manière générale.

Tu sais pour l’avoir appris de Moi que, sans la lumière de la raison, nul ne peut trouver la voie de la Vérité, et que cette lumière de la raison, vous la tenez de moi, la vraie Lumière : Elle est en vous par l’intelligence et par la clarté de la foi que je vous ai communiquée dans le saint baptême, Si vous ne vous en êtes pas privés par vos fautes.


Dans le baptême, par la vertu du sang de mon Fils unique, vous recevez la forme de la Foi, et cette Foi s’exerce et produit des actes en union avec la lumière de la raison. La raison est éclairée par cette lumière de la foi, qui vous donne vie et vous fait marcher dans la voie de la Vérité. Avec cette lumière, vous parvenez à moi, la vraie Lumière ; sans elle, vous iriez vous perdre dans les ténèbres.

Deux illuminations issues de cette lumière vous sont nécessaires ; et même, à ces deux j’en ajouterai une troisième.

La première doit vous faire connaître la fragilité des choses du monde, qui passent comme le vent. Mais vous ne la pouvez bien comprendre, si vous ne prenez conscience tout d’abord de votre propre fragilité, et combien elle est inclinée, par une loi perverse, imprimée dans vos membres, à se révolter contre moi, votre Créateur. Cette loi, il est vrai, ne peut contraindre personne à commettre le moindre péché, si la volonté s’y refuse, mais elle n’en est pas moins en lutte contre l’esprit. Je ne vous l’ai pas donnée cette loi, pour que la créature raisonnable fût vaincue, mais pour grandir et éprouver la vertu de l’âme ; car la vertu ne s’éprouve que par son contraire. La sensualité est en opposition avec l’esprit, et c’est par la sensualité, que l’âme éprouve l’amour qu’elle a pour moi son Créateur. Quand le prouve-t-elle ? Lorsqu’elle s’élève contre elle avec haine et mépris.

Je vous l’ai donnée aussi, cette loi, pour conserver l’âme dans la véritable humilité. En créant l’âme à mon image et ressemblance, en l’élevant à une si haute dignité, en l’ornant de tant de beauté, je l’ai associée en même temps à la chose la plus vile qui se puisse voir, en lui imposant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la terre, afin que la vue de sa beauté ne lui fit point dresser la tête, orgueilleusement, contre Moi. Pour qui possède cette lumière, la fragilité du corps inspire donc à l’âme l’humilité : elle n’a pas de motifs de s’enorgueillir, tu le vois, mais bien plutôt de concevoir une vraie et parfaite humilité.

Ainsi, cette loi, quel que soit sa violence, ne peut contraindre à aucune faute, mais elle est un moyen de vous connaître vous-mêmes, en même temps que l’instabilité du monde. C’est ce que doit voir l’œil de l’intelligence, par la lumière de la très sainte foi, qui est, je te l’ai dit, la prunelle de l’œil.

Cette lumière est nécessaire, universellement, à toute créature douée de raison, dans quelque état qu’elle se trouve placée, pour participer à la vie de la grâce et au fruit du sang de l’Agneau immaculé. C’est là la lumière commune, que tous, sans exception, doivent posséder. Qui ne l’aurait pas, serait en état de damnation.

Pourquoi ne peut-on posséder la grâce si l’on est privé de cette lumière ? C’est que, celui qui n’a pas cette lumière ne connaît pas le mal qu’il y a dans la faute, ni ce qui en est la cause, et il ne peut par conséquent fuir et haïr cette cause. Il ne connaît pas davantage le bien et la cause du bien, c’est-à-dire la vertu, et dès lors, il ne peut m’aimer et me désirer, Moi qui suis le Bien, ni la vertu que je vous ai donnée, comme l’instrument et le moyen de posséder ma grâce et moi-même, le vrai Bien.

Vois quel besoin vous avez de cette lumière ! Vos fautes consistent essentiellement à aimer ce que je hais et à haïr ce que j’aime. J’aime la vertu, et je hais le vice. Qui aime le vice et hait la vertu m’outrage, et est privé de ma grâce. Celui-là se conduit comme un aveugle. Ignorant la cause du vice, qui est l’amour-propre sensitif, il ne se hait pas lui-même ; il ne sait pas non plus ce qu’est le vice, et le mal qui en est la conséquence. Il ne connaît pas davantage la vertu, ni Moi, qui puis lui donner la vertu, ni la vie qu’il trouve en elle, ni la dignité dans laquelle il se conserve, ni la grâce à laquelle il peut parvenir par le moyen de la vertu. C’est son aveuglement, tu le vois bien, qui est la cause de son mal. Il est donc bien nécessaire d’avoir cette lumière comme je t’ai dit.