Le Disciple de Pantagruel/1875/31

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Texte établi par Paul LacroixLibrairie des bibliophiles (p. 76--).
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Panurge, aprés qu’il a longuement voyagé, il faict icy une déclaration de la source des vents, comment ilz sont enfermez quelquefoys aux cavernes, et les noms d’iceux.

CHAPITRE XXXI.


Or, pour nous retirer de tant de perilz et adversitez en quoy nous avions esté, pensact fuyr tous dangiers, je feiz lever l’ancre de nostre navire et feiz dresser les voilles à plein vent pour plus faire de chemin par la mer, en laquelle chose faisant, après avoir navigé environ cent lieues, nous veismes les ysles Eolides, desquelles Eolus est le seigneur et maistre ; et le repute l’on pour dieu, à cause qu’il tient illec les douze ventz principaulx renfermez en diverses cavernes, soubz haultz rochiers, en des cages. Lesquelz ventz ont leur regard es quatre diverses parties du monde, et ont divers soufflementz et boussementz contraires les ungs aux aultres.

Et d’icelluy Eolus et d’iceulx ventz parle Aristote, Pline, Bocace et Fulgence.

Car de la partie orientalle souffle Subselanus, Vulturius et Surus ;

De la partie du midy souffle Notus, Affricus et Auster, à cause duquel est nommée la région australe ;

De devers Septemtrion souffle Chorus, Boreas et Aquillon ;

Et de l’occident souffle Libanorus, Libs, Craseas, Eparcitias, Mises, Penicus, avecqle merveilleux Tiphon, qui arrache et rompt arbres, pars, forestz. Et là aussi est le furieux Enephius qui brusle et art villes, citez et maisons par où il passe.

Et n’estoit que ledict Eolus, qui est le Dieu des ventz, les garde de sortir, ilz gasteroient tout par où ils passeroient.

Toutesfois, il y a ung grand et gros levier de boys, plein de neudz et d’estocz, et croy que c’est la massue d’Hercules, de laquelle frappe et rue sur iceulx ventz pour les garder de sortir le plus qu’il peult.

Ce nonobstant, aulcunesfois, ce pendant qu’il entend aux ungs, les aultres sortent et courent sus la terre et sus la mer, qui la font bruyre et escumer si hault que c’est une chose horrible et espouventable à veoir et à ouyr, comme j’ay veu et ouy aultresfois au pertuis d’Autruche et de Maumusson, esquelz lieux la mer se bat l’une contre l’aultre, de sorte qu’on l’oyt de plus de dix lieux loing.

Iceulx rochiers et cavernes, esquelles sont detenus iceulx ventz, ont plus de dix grandes lieues de hault, et sont toutes creuses, et pleines de cavernes par dessoubz.

Ilz font là dedans ung bruict et ung tonnoirre si grand et si merveilleux qu’il n’y a homme, tant soit hardy, qui ne tremble à les ouyr.

À ceste cause, feistz mettre mon navire de sorte que nous eusmes le vent en poupe, au moyen de quoy nous fusmcs incontinent eslongnez desdictes Eolides, et en peu de temps nous arrivasmes, moyennant l’ayde de Dieu, à port de salut, au Havre de Grâce, là où nous sommes délibérez de faire nostre festin et banquet. Si vous plaist de vous y trouver, nous vous donnerons des fruictz, et des aultres choses nouvelles que nous avons apportez, et vous en compterons plus à plain, et des plus fines dont nous nous pourrons adviser, affin que vous en puissiez faire vostre proffit, et pour la recompense de vous, benevolles lecteurs et auditeurs.