Le Docteur Gilbert/Chapitre XVIII

La bibliothèque libre.
Boulé (p. 64-66).


XVIII.


— Je ne veux pas le voir !… je ne veux pas le voir !… s’écria Mathilde en détournant la tête.

— Calmez-vous, madame ! dit Mariane d’une voix basse et tremblante.

Anatole s’élança vers sa femme, en lui tendant les bras.

— Mathilde !… oh ! viens ! que je te presse encore une fois sur mon cœur.

Mathilde le repoussa avec un geste d’horreur, et d’une voix pleine d’amertume :

— Quoi ! dit-elle, déjà de retour, monsieur ?…

— Tu ne m’attendais pas !… Je le sais, Mathilde !…

Anatole baissait les yeux, et tout son corps était agité d’un tressaillement convulsif.

— Et mon enfant, monsieur ?… demanda Mathilde avec une inflexion douloureusement vibrante.

Anatole releva son regard morne et désespéré vers Mathilde, et, d’une voix triste et grave, il lui dit :

— Tu vas tout savoir, Mathilde !… C’est un affreux secret !…

Puis il fit signe à Mariane de se retirer.

Alors Mathilde s’approcha d’Anatole, et lui dit en secouant la tête :

— Je sais tout, monsieur !… Vous n’avez plus rien à m’apprendre !… vous êtes un infâme !

M. de Ranval poussa un cri ; et son visage pâle sembla pâlir encore.

— Oh ! comme tu as pris de lâches détours pour me tromper, Anatole !… poursuivit-elle avec l’accent du mépris.

Anatole venait de se laisser tomber dans un fauteuil ; il demeurait immobile.

— Oui, va, baisse les yeux… pâlis… meurs de honte !… car ce que tu as fait est vil, indigne, atroce !…

En parlant ainsi elle sanglotait.

— Mathilde ! murmura faiblement Anatole, dont la tête lourde et penchée sur une épaule était comme un poids qu’il ne pouvait soutenir ; tu as raison, je suis un misérable !… et ma conscience m’en dit plus encore que tu ne m’en pourrais dire… Mais, pitié ! ne m’accable pas !… je suis bien malheureux !…

Et, prenant la main de Mathilde, il voulut y coller ses lèvres.

— Recule ! s’écria Mathilde en retirant avec horreur et dégoût ses mains qu’il arrosait de larmes brûlantes, ne m’approche pas !… retourne auprès de ta maîtresse !…

Anatole fit un cri terrible ; et se précipitant à genoux, la face aux pieds de Mathilde :

— Oui, je suis un monstre ! J’ai trahi lâchement tout ce qu’il y a de saint et de sacré sur la terre ; l’honneur, la confiance, les sermens !… J’ai profané l’amour et la foi conjugale !… Je t’ai récompensée, ô chaste et noble femme, par la plus noire ingratitude. Hélas ! j’avais si long-temps résisté !… Ce matin encore j’étais pur et digne de ton amour !… mais le démon qui s’acharnait après moi nuit et jour, m’a entraîné de force, m’a poussé dans le piège infernal qu’il m’avait tendu.

Et ses larmes coulaient toujours abondamment sur les pieds de Mathilde.

— Va, c’est une belle gloire de m’avoir trompée ! dit-elle avec un accent de profonde affliction ; moi, pauvre femme crédule et aveugle, qui t’aimais avec toute mon âme… Cruel ! cet amour était ma vie !… Aurais-je pu croire que tu n’aimais pas, toi !… et que tu me trahissais… Ah ! malgré tout ce qu’on pourrait me dire, je ne le croirais pas encore, je ne voudrais pas le croire, si mes yeux, mes propres yeux… Exécration !… Et quelle femme m’as-tu préférée, ingrat !… une malheureuse toute pleine de vices et d’infamie !… qui n’est même pas belle !

— Elle me fait horreur maintenant, dit Anatole. Hélas ! j’avais comme un nuage sur les yeux… il s’est dissipé tout à coup… et j’ai vu clair, j’ai vu la réalité, Mathilde, et j’ai frémi… Elle m’est apparue, cette femme, dans toute la laideur du vice et de la débauche ! C’est alors que j’ai compris, ô Mathilde, combien la vertu est belle et combien tu es pure !… et je me suis trouvé bien vil, bien misérable d’avoir sacrifié l’ange au démon… Mais, je te le répète, douce et tendre victime, longtemps, bien longtemps, j’ai su résister… Ah ! si tu savais toutes les ruses, toutes les manœuvres, toutes les embûches employées pour me perdre, je te ferais moins horreur que pitié…

— Horreur et pitié tout ensemble, Anatole !… Oh ! tu m’as blessée au cœur !… Et je ne te pardonnerai jamais… Non, quand je vivrais un siècle, je ne te pardonnerais pas…

Et, d’une voix attendrie :

— Ingrat ! moi qui t’aimais tant ! moi qui aurais donné ma vie pour épargner à ton cœur un chagrin, à tes yeux quelques larmes… Ah ! c’est une abominable trahison… Fuis ! fuis ! va-t-en ! ta vue est pour moi plus affreuse que la mort.

Anatole demeurait toujours aux pieds de Mathilde, pâle, frissonnant, les mains jointes ; soudain il laisse échapper un lamentable soupir, et son front résonne contre le parquet ; puis, d’une voix faible et saccadée, il dit :

— Ma vue te fait souffrir, pauvre Mathilde !… mais prends courage… tu ne me verras plus long-temps… De grâce, ne me repousse pas… Laisse-moi à tes pieds quelques momens encore… ce n’est pas une grande faveur… Tu vas être vengée… au delà de tes vœux peut-être… Je vais mourir !…

Et ce dernier mot fut suivi d’un gémissement lugubre qui fit tressaillir Mathilde. Glacée tout à coup d’un pressentiment terrible, elle se penche vers Anatole et le regarde fixement…

Une sueur froide coulait à grosses gouttes du front d’Anatole ; les muscles de son visage étaient violemment contractés, un cercle bleuâtre environnait ses yeux ternes et languissans ; ses lèvres étaient violettes et pleines d’écume.

— Anatole ! Anatole !… s’écrie-t-elle avec épouvante, qu’as-tu fait ?…

— Je me suis puni ! murmura Anatole,

Et sa voix ressemblait à un râle.

— Malheureux !… comme ta figure se décompose !… Dieu ! qu’est-ce donc ?

— C’est la mort ! répond Anatole couché par terre et sans mouvement.

— Ah !

Et déjà Mathilde a saisi dans ses bras Anatole, et tâche de le soulever : mais elle n’en a pas la force ; elle tombe avec lui sur le parquet.

— Anatole !… au nom du ciel !… relève-toi !

— Écoute, Mathilde !… je n’ai plus qu’une minute à vivre peut-être… J’ai bu du poison !

— Malheureux !

— C’est un poison qui ne pardonne pas, Mathilde ! reprit Anatole en essayant, mais en vain, de se soutenir sur un coude ; rien ne peut me sauver maintenant, il est trop tard. Écoute, je sens déjà le froid de la mort dans mes veines… les battemens de mon cœur se ralentissent… — Oui, je me suis puni… À peine ai-je eu fait le crime, que j’ai songé tout de suite au châtiment… Je ne voulais paraître devant toi, Mathilde, que pour embrasser tes pieds et mourir… Ah ! ah ! voici la mort qui vient…

Ses yeux roulaient affreusement dans leur orbite et devenaient blancs ; ses mains se tordaient, ses bras convulsivement crispés trahissaient d’horribles souffrances.

Mathilde le regardait d’un œil effaré, stupide ; elle pleurait, criait, sanglotait, aussi pâle, aussi froide que le moribond. Elle était comme folle. — Dieu ! Dieu ! l’insensé… qu’a-t-il fait ? disait-elle en levant les mains et courant par toute la chambre ; mais peut-être y a-t-il encore du remède… Mariane !… Mariane !…

— Non ! non ! n’appelle pas… c’est inutile, murmura Anatole ; il n’y a pas de remède, te dis-je… Et puis, je veux mourir… Je suis trop coupable !…

— Mariane ! Mariane !…continuait Mathilde en agitant la sonnette de toute sa force.

Mariane accourut.