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Le Folk-lore de l’Île-Maurice/Histoire de Zova et du caïman

La bibliothèque libre.
Maisonneuve et Cie, éditeurs (Les Littératures populaires, tome XXVII) ((Texte créole et traduction française)p. 280-289).

XXIII

HISTOIRE DE ZOVA ET DU CAÏMAN

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Bonhomme Zova se rendait un jour à son travail avec son sac sur le dos. Il était arrivé au milieu d’une grande plaine, quand il entendit comme une voix d’enfant qui se plaignait. Le bonhomme Zova s’arrêta, se mit à écouter et à chercher : c’était un caïman au pied d’un cassis au bord du chemin.

Le caïman voyant s’approcher le bonhomme Zova lui dit :

— Hélas ! bonhomme, si vous avez bon cœur, secourez-moi ! je vais tout à l’heure mourir de fatigue et de soif ! Je ne puis plus marcher : emportez-moi dans le sac qui est sur votre dos ; allez me jeter à la rivière. Dieu aime ceux qui ont pitié des malheureux !

— Mais comment veux-tu que je t’emporte dans mon sac ? Tu es trop grand pour pouvoir y entrer.

— Je disposerai mon corps de manière à ce qu’il entre ; mettez le sac par terre, ouvrez-le et vous verrez.

Le bonhomme Zova était bon. Il met bas son sac, et l’ouvre. Le caïman se roule en rond comme un paquet de cordages sur le pont d’un vaisseau ; il entre dans le sac et dit à Zova :

— Eh bien ! me voilà dans votre sac, bonhomme, partons !

Zova charge le sac sur son dos, arrive au bord de la rivière et jette le caïman dans l’eau.

Lorsque le caïman a bien bu, qu’il s’est bien baigné, le voilà qui a faim. Le bonhomme Zova s’était assis pour se reposer un instant, car il était fatigué d’avoir porté un poids si lourd ; le caïman vient à lui et lui dit en gouaillant :

— Eh vous, bonhomme, j’ai faim, oui ! Je sais que la chair humaine est, pour les caïmans, un manger excellent ; donnez-moi une de vos jambes pour mon déjeûner.

Zova est tout saisi :

— Comment ! moi qui viens de te sauver la vie, tu veux me manger ! Tu n’as pas honte !

— Quelle honte ? J’ai faim, je trouve un bon morceau, et j’aurais honte de le manger ! Vous croyez donc que les caïmans sont bêtes, bonhomme !

Pendant qu’ils disputaient ainsi, passe une mère poule. Zova dit au caïman :

— Eh bien ! demandons à cette mère poule si c’est toi qui as raison ou bien moi.

— Je le veux bien ; questionne-la, nous verrons.

La mère poule les écoute ; puis elle se tourne vers bonhomme Zova et lui dit :

— Je ponds, les hommes mangent mes œufs ; je couve, les hommes mangent mes poulets ; quand je suis si vieille que le coq ne s’approche plus de moi, on me tue, on me suspend à un papayer pour attendrir ma chair, on me fait cuire avec du massala, on fait de moi un moulouctani, on me mange. Est-ce que tu te figures que c’est moi qui vais empêcher le caïman de te manger ?

La mère poule s’en va ; Zova est déconcerté, le caïman rit.

Voici une vache qui vient boire à la rivière. Zova l’appelle et lui raconte l’affaire. La vache répond :

— Laissez-moi boire, donc, bonhomme ! Est-ce moi qui me chagrinerai si le caïman vous mange ! Je donne du lait aux hommes, ils le boivent, ils en font du beurre et du fromage ; j’ai des enfants, ils les tuent et les mangent ; quand je suis vieille, ils me tuent, m’arrachent la peau et la mettent à sécher ; ils m’arrachent les cornes et en font des cuillers. Laissez-moi donc boire mon eau, bonhomme !

Au moment où le caïman allait sauter sur le bonhomme Zova, le chien passe. Le bonhomme l’appelle.

Lorsque le chien eut entendu toute l’histoire, il dit au bonhomme et au caïman :

— Eh vous ! vous voulez vous moquer de moi ! Est-ce à moi qu’on fera accroire que ce grand caïman que voici a pu entrer dans ce petit sac que voilà ? Attendez que les chiens soient devenus des ânes avant de me conter de pareilles bourdes ! Il me faudrait le voir de mes deux yeux pour le croire ! Mettez le sac à terre, bonhomme ! c’est toi, caïman, qui pourras entrer dans ce sac-là, toi, un grand lézard qui a les reins raides comme un bambou ?

Zova met le sac par terre, le caïman se roule en rond et entre dans le sac. Le chien dit au bonhomme :

— Fermez vite le sac et attachez bien.

Zova attache le sac. Le caïman est furieux, il crie, il se débat. Zova et le chien le laissent dans le sac et s’en vont en riant.

À force de se débattre dans le sac, le caïman finit par le crever et sort. Mais bonhomme Zova et le chien étaient loin. Le caïman songe de quelle manière il pourra se venger d’eux.

Il s’ensevelit tout entier dans la boue au bord de la rivière, et il attend.

Il y a déjà longtemps qu’il est là quand la mère poule vient boire : le caïman ne bouge pas. La vache vient boire, le caïman ne bouge pas. Tous les animaux viennent boire, le caïman ne bouge pas.

Voilà le chien qui vient : le caïman s’élance hors de la vase et le saisit par une patte. Mais le chien n’était pas bête. Voyant les yeux du caïman comme bouchés par la boue, il feint de rire et dit :

— Eh toi, caïman, tu te figures que c’est ma patte que tu as prise ! comme tu es bête, caïman, mais c’est un morceau de bois sec !

Le caïman étonné ouvre la bouche pour regarder ; le chien se sauve et détale, vous dis-je : le caïman a le nez cassé.

C’est de cette façon que le chien trouva le moyen de se moquer encore du caïman.[1]


  1. Les deux personnages de notre titre, bonhomme Zova et le caïman, nous donnent tout lieu de croire que le conte nous vient de Madagascar. Mais l’histoire par ailleurs n’a rien d’exotique, et fait bien plutôt songer à notre La Fontaine qu’à un fabuliste malgache. On croirait volontiers à un travestissement de « L’Homme et le Serpent ». Le chien néanmoins est de notre invention, et le dénouement est nôtre.