Le Geôlier de soi-même

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Traduction par Damas Hinard.
Théâtre de CalderónBibliothèque CharpentierTome II (p. 284-337).

LE GEÔLIER DE SOI-MÊME.

(EL ALCAYDE DE SI MISMO.)



NOTICE.


Le mot alcayde, que les Espagnols ont emprunté des Arabes, a dans les deux langues un double sens : il sert à désigner le gouverneur d’une place et le geôlier d’une prison. Aussi, alors même qu’il est employé dans la seconde signification, il présente à l’esprit une idée moins basse que notre mot geôlier. Et c’est pourquoi, dans un grand nombre de passages de notre traduction, nous avons cru devoir préférer à cette expression celle de gouverneur, quoiqu’elle s’applique d’une manière moins exacte à la situation qui a motivé le titre de la pièce.

La situation principale de cette comédie, est des ingénieuses, et depuis Calderon elle a été fréquemment mise sur la scène. Mais on aurait tort, à notre avis, de ranger cette pièce parmi ce que nous appelons les comédies d’intrigue. C’est une comédie où dominent avant tout, comme dans quelques pièces de Shakspeare, l’imagination et la fantaisie, et qui échappe comme elles à la classification des vieilles poétiques.

Bien que le point de départ du Geôlier de soi-même soit la mort d’un homme, on n’en sent pas moins que le poète commence un léger badinage. Le mort n’a point paru sous les yeux du spectateur ; il a été tué dans un tournoi ; il a été tué par un chevalier mystérieux. Comment le chevalier mystérieux sera-t-il découvert et reconnu ? Et en attendant, par quels moyens pourra-t-il se soustraire aux poursuites dirigées contre lui ? Voilà toute la question et toute la pièce.

Il n’y a donc pas à s’inquiéter sur son sort ; ce serait mal répondre à l’intention de Calderon, intention qu’il a indiquée selon nous avec une exquise finesse. Lorsqu’il peint si crédule et si bonhomme le roi qui poursuit le chevalier mystérieux, lorsqu’il le représente comme une espèce de Cassandre couronné, n’est-ce pas pour annoncer indirectement que le chevalier n’a rien à craindre et faire pressentir un dénouement favorable ?

Le Geôlier de soi-même a été imité sous ce même titre par Thomas Corneille. Nous sera-t-il permis de l’avouer avec tout le respect que nous professons pour l’un de nos bons écrivains et pour un si grand nom ? nous trouvons l’imitation de beaucoup inférieure à l’ouvrage original ; et l’on partagera probablement notre opinion si l’on veut bien se donner la peine de comparer ensemble le modèle et la copie.

LE GEÔLIER DE SOI-MÊME.

PERSONNAGES
frédéric, roi de Sicile.
le roi de naples.
un infant.
marguerite, infante de Naples.
hélène, dame.
roberto, domestique de Frédéric.
benito, villageois.
enrique, domestique d’Hélène.
séraphine, suivante.
un capitaine.
antona, villageoise.
musiciens et villageois.
La scène se passe dans le royaume de Naples.



JOURNÉE PREMIÈRE.


Scène I.

Une forêt. — Des rochers.
une voix, du dehors.

Ô ciel ! quelle chute affreuse !

une autre voix.

Dieu me soit en aide !


Entrent FRÉDÉRIC et ROBERTO.
roberto.

Vous êtes-vous blessé, seigneur ?

frédéric.

Plût à Dieu que je fusse resté sur la place ! mais telle est la rigueur de ma destinée, que pour mon malheur je suis condamné à vivre.

roberto.

Ne vous en plaignez pas, seigneur, et que le ciel vous protège toujours contre vos ennemis !… car enfin tant qu’un homme est vivant il peut espérer qu’il vaincra tôt ou tard la fortune contraire.

frédéric.

Non, Roberto, dans la triste situation où je me trouve il faut considérer la mort comme la fin de tous les maux. — Plût à Dieu, oui, plût à Dieu que dans ce tournoi fatal les armes de mes adversaires eussent terminé mes jours ! Cela n’eût-il pas mieux valu pour moi, cela n’eût-il pas été plus désirable que de percer de ma lance et de laisser pour mort sur l’arène don Pèdre Sforze ? Je n’aurais pas été obligé de m’enfuir comme un malfaiteur au fond de ces forêts. Combien je regrette que mon cheval, en se renversant et en roulant du haut de ces rochers, ne m’ait pas écrasé sous son poids ! Pourquoi faut-il qu’un miracle m’ait sauvé ?… Tu t’étonnes de mon langage ; mais considère donc ma position. D’abord je perds Marguerite, la belle et charmante Marguerite, cette fleur du ciel, cette étoile de la terre ! Puis nous voilà tous deux obligés de nous cacher au fond d’une forêt, et nos chevaux ont péri, et je suis couvert d’une armure qui peut d’un moment à l’autre me trahir ! Et si nous allons du côté de quelque habitation, et qu’on me voie et me reconnaisse, que n’ai-je pas à redouter ! Comment échapper à la colère du roi, qui vengera sans doute sur un prince infortuné la mort de son neveu, et les longues querelles qu’il a eues avec mon père ? Hélas ! c’est par suite de cette inimitié que je suis venu dans son royaume et que je me suis présenté à ces fêtes en taisant mon nom et mon rang. Que dis-je, ces fêtes ! je devrais plutôt dire cette funeste tragédie, à laquelle ont commencé mes malheurs !

roberto.

Je considère tout cela, monseigneur, je vois votre position telle qu’elle est, sans m’abuser ; et cependant, je le répète, mieux vaut cela cent fois que la mort. — Il y a un moyen de sortir d’affaire.

frédéric.

Et comment ?

roberto.

Le voici. — Personne ne nous connaît, personne ne vous a vu à Naples. Eh bien ! cachez votre armure dans cette forêt, en la couvrant de branches d’arbres et de feuilles ; et allez au village le plus rapproché, en disant que les brigands qui infestent ces bois vous ont enlevé tout ce que vous aviez, en vous dépouillant même de vos vêtemens. Vous obtenez par là que vous échappez infailliblement à toutes les recherches, et que vous acquérez la sympathie de ces braves gens. — Moi, après vous avoir laissé en lieu sûr, — j’irai à la cour secrètement, je m’informerai de tout ce qui intéresse votre amour, et je recueillerai vos joyaux, afin que nous en tirions parti dans notre dénuement.

frédéric.

Ah ! combien je serais plus à plaindre si le sort ne m’eût pas laissé un ami si fidèle ! il me devait ce dédommagement !… D’après ton conseil, je vais laisser cette armure dans la forêt. En me voyant à demi nu, ces durs rochers eux-mêmes éprouveront de la compassion, les habitans de ces contrées seront émus de pitié, et moi, en feignant de me plaindre de ma fausse misère, je pourrai gémir sur des malheurs trop réels[1].

roberto.

Eh bien ! puisque vous m’approuvez, retirez-vous de ce côté, où vous risquez moins d’être découvert. Ici l’on pourrait vous voir. Déjà le soleil de ses premiers rayons commence à dorer le sommet des coteaux.

frédéric.

Toi, mon ami, si tu vas à la cour et que tu y voies la princesse Marguerite, dis-lui que je suis un amant si vain, si léger, si misérable, si indigne, que je suis loin d’elle et que je vis !

Ils sortent.

Scène II.

Une autre partie du bois.
Entrent DOÑA HÉLÈNE, ENRIQUE et LIONEL, en costume de voyage.
hélène.

Pendant que nos chevaux, fatigués d’une course si longue, se reposent un instant, et se rafraîchissent à ces eaux limpides, — toi, Lionel, prends les devans, et rends-toi à Miraflor. Tu diras mon malheur, et que je viens vivre au milieu de ces montagnes. (Lionel sort.) Dieu veuille que leurs rustiques habitans ne me fassent pas repentir de ma détermination.

enrique.

Madame, comme je n’étais pas à Naples lors de ces fêtes malheureuses, oserai-je vous prier, comme un serviteur loyal, de vouloir bien me confier vos peines ? — Rien, dit-on, n’adoucit la douleur comme d’en faire part à quelqu’un qui la doit partager.

hélène.

On avait publié dans toute l’Italie la mort infortunée du prince Henri, héritier de ce royaume, et la douleur publique qui accueillit cette nouvelle fut comme le présage d’un autre malheur non moins grand. — Le roi de Naples se voyant privé de son fils, et considérant son âge avancé, résolut de donner à l’infante Marguerite un époux digne d’elle. Dans cette pensée, il convoqua à sa cour tous les princes d’Italie. Tous accoururent, et tous en voyant la princesse furent épris de sa beauté. Mais plus vivement encore que tous les autres, mon frère, don Pèdre Sforze, éprouva l’empire de ses charmes, et pour témoigner son amour, — tu sais quel était son bouillant courage, — il envoya des cartels dans toute l’Europe, convoquant tous les chevaliers à un tournoi dans lequel il s’engageait à soutenir que l’infante Marguerite était la princesse la plus parfaite et la plus digne d’être aimée qu’il y eût au monde. — Les femmes doivent excuser ces prétentions d’un homme amoureux ; tout amant a de la beauté de sa belle et de sa supériorité la même opinion… — Au bruit de ce tournoi, accoururent de tous les pays de l’Europe les princes les plus braves, les plus vaillans chevaliers, et en attendant le jour fixé pour la joute, ce n’étaient que fêtes, mascarades, jeux, festins et saraos[2]. Une nuit, ou, pour mieux dire, un soir, — au moment où l’on venait de se mettre à table, et comme déjà la musique avait commencé, tout-à-coup entra dans la salle un brillant chevalier, qui excita aussitôt la curiosité et l’admiration générales. Il était couvert de son manteau jusqu’aux yeux : il assista de la sorte au festin. Le repas achevé, il invita Marguerite et lui offrit sa main pour un tour de promenade ; elle accepta, et ensuite il la reconduisit à sa place, où il se tint près d’elle, debout, après qu’elle l’eût remercié. Mon frère se présenta alors et s’avança comme pour prendre la place du chevalier inconnu. Mais celui-ci, sans abaisser son manteau, et mettant la main sur la garde de son épée : « Personne, dit-il résolument, personne ne mérite mieux que moi la place où je suis, et personne ne l’aura ! » Mon frère allait répondre, mais il en fut empêché par le roi et les grands, qui se mirent entre eux deux, et le chevalier sortit de la salle, le visage toujours couvert de son manteau, de sorte qu’on n’a jamais su encore qui ce pouvait être, tant il a bien pris ses précautions. Enfin le jour du tournoi arriva, et l’on vit un si grand concours remplir la place publique de Naples, que jamais Rome elle-même n’avait rien vu de semblable dans son Colysée. — Au côté droit de la place on avait dressé une tente recouverte de brocart, d’où mon frère sortit à cheval, d’un air si dégagé et si facile, qu’il semblait ne faire qu’un avec le coursier qu’il montait[3]. De vaillans aventuriers entrèrent, ayant chacun une devise d’amour, et l’on courut beaucoup de lances. Enfin le chevalier mystérieux arriva ; tous les regards se fixèrent sur lui, et il invita mon frère don Pèdre, qui jusque là avait été le plus heureux, à briser une lance l’un contre l’autre. Mon frère, comme tu penses, accepta de grand cœur. Les chevaux se placèrent face à face, attentifs au son du clairon, et l’écoutant comme s’il eût parlé à leur oreille un langage connu ; si animés d’ailleurs qu’on eût dit qu’ils partageaient les sentimens de jalousie et de haine qui agitaient leurs maîtres. — Ils partent, s’élancent, ils se mêlent, se confondent, et un moment après ils se retrouvaient à l’endroit d’où ils étaient partis, et l’on ne voyait plus au milieu de la lice que des fragmens de lances brisées. On donna à mon frère ainsi qu’à son adversaire une autre lance pour une seconde rencontre, et aussitôt leurs chevaux impatiens, sans attendre qu’on ouvre la barrière, d’un bond la franchissent. Je ne te décrirai point ce combat. Qu’il me suffise de te dire qu’après un moment de lutte, mon frère eut la visière de son casque traversée d’un coup de lance, et qu’il tomba de cheval inanimé, et rougissant de son sang tout le sable autour de lui. Alors les spectateurs se divisent comme en deux factions : les uns crient vengeance contre le meurtrier, les autres le défendent ; et cependant, lui, adroitement il s’évade. Où s’est-il enfui ? où se cachet-il ? Je l’ignore ; mais il faut qu’il se soit réfugié dans les profondeurs de la terre s’il veut échapper à ma fureur. Pour moi, désespérée d’un malheur si affreux, j’ai aussitôt résolu d’abandonner la cour où s’était commis un tel crime, et je suis venue à Belflor[4] pour y fuir, s’il est possible, mon malheur.

enrique.

Voilà une triste aventure ! et surtout quand on pense que ce chevalier se cache sans qu’on puisse savoir en quel endroit, et sans qu’il y ait moyen de le reconnaître.


Entre LIONEL.
lionel.

Vos vassaux de Belflor ayant appris l’événement qui a conduit ici votre altesse, sont venus pour vous montrer leur dévouement, vous apporter leur compliment de condoléance et se mettre à vos pieds.


Entrent BENITO, ANTONA, des PAYSANS et des PAYSANNES.
antona.

Oui, Benito, comme tu es le plus savant et le plus malin de la troupe, c’est à toi d’offrir à la princesse le compliment de condoléance.

benito.

Mais pourquoi donc veux-tu cela ? Tu sais, d’abord, que moi je n’aime pas les doléances[5].

premier villageois.

Dis-lui qu’elle est belle comme Vénus et Diane, et qu’à cause de sa présomption, son frère est mort comme un autre Phaéton.

benito.

Allons, j’y consens.

deuxième villageois.

Dis-lui que celui qui l’a tué était un Tibère et un Sardanapale.

benito.

Je lui dirai, moi, tout ce qu’on voudra.

antona.

Et tu ajouteras que nous prions le ciel pour qu’elle vive aussi long-temps que Mathusalem.

benito.

Voilà qui va bien.

antona.

Et que le conseil municipal n’a envoyé ni musiciens ni collation, parce que toutes ces marques de réjouissance déplaisent à une personne dans le chagrin.

benito, à Hélène.

Madame notre comtesse, qui êtes si belle et si appétissante qu’auprès de vous doña Vénus et doña Anne[6] ne sont que des écureuses de vaisselle, en venant à Belflor pendant qu’on célèbre des fêtes à Naples, vous avez bien fait si vous n’aviez pas le désir de les voir… Nous vous en faisons tous notre compliment, car nous en sommes enchantés. Que Dieu fasse grâce au prince votre frère ; il en a bon besoin, car il avait beaucoup d’arrogance, et il est mort en vrai fanfaron[7]. Mais pour être juste envers tout le monde, celui qui l’a tué sans avoir pitié de lui était une vipère, et il ressemblait à Sardana le Pâle[8]. Enfin, quoi qu’il en soit, madame, puissiez-vous, pour vous amuser, puissiez-vous vivre, contente et en bonne santé, plus d’années que n’en a vécu Matthieu d’Allem[9](Il salue, s’éloigne, et revient.) À propos, madame, j’oubliais de vous dire que le conseil ne vous a pas envoyé les musiciens ni la collation, parce que quand on est triste on n’est pas en train de se réjouir.


Entre FRÉDÉRIC.
frédéric.

Bons villageois, et vous, noble et belle dame, qui brillez au milieu d’eux comme la rose élégante parmi les fleurs des champs, regardez d’un œil compatissant un pauvre infortuné dont l’âme succombe sous le poids de ses maux. — J’étais un riche marchand, oui, et si riche qu’un seul de mes joyaux valait le trésor du plus grand roi. Je suis venu aux fêtes de Naples, avec l’idée que, dans un tel concours de princes illustres, je placerais plus aisément les objets de mon commerce. J’ai réussi comme je le désirais. Je dirai même : plût à Dieu que je n’eusse pas si bien réussi ! plût à Dieu que je n’eusse point retiré de mes marchandises des profits si considérables ! car la perte m’en afflige d’autant plus… Je pensais à retourner dans ma patrie, riche de biens et d’honneur (j’aurais dû me contenter de dire riche, car aujourd’hui richesse et honneur sont même chose) ; mais il en a été de mes vains projets comme de la beauté de cette fleur charmante à laquelle je vous comparais tout-à-l’heure, et qui, au moment où elle triomphe de se voir si brillante, tombe flétrie au souffle de l’autan furieux ; ainsi moi, triomphant, je me voyais déjà au sein de ma patrie, sans considérer que le ciel se plaît à renverser les vains projets des hommes. — Qu’importe, hélas ! que l’homme propose et détermine, s’il y a des étoiles qui disposent et réalisent en se jouant de ses desseins, et si notre vie s’écoule sous l’irrésistible influence de ces astres[10]. Donc comme je traversais cette forêt, tout-à-coup s’est présentée devant moi une troupe de brigands qui y ont établi leur séjour. Je voulus d’abord me mettre en défense, — car je ne suis pas de ceux qui préfèrent la vie à tout, et qui l’achèteraient aux dépens de leurs biens et de leur dignité ; mais ils m’appliquèrent deux pistolets sur la poitrine, et alors, — non pas certes par crainte, mais par un motif purement religieux et chrétien[11], — je leur remis tout ce que j’avais. Non contens de cela, ces misérables s’imaginant que, par une ruse ordinaire aux gens de mon état, j’avais caché des bijoux dans mes vêtemens, ils m’enlevèrent mon habit et me laissèrent à demi nu en ces bois. Voilà trois jours que s’est passée cette aventure, — trois jours que j’habite ces rochers, ne vivant que de fruits sauvages et d’herbes grossières… Mais enfin, madame, puisque le hasard m’a conduit là où vous êtes, je vais connaître s’il est vrai qu’on trouve ici-bas le plaisir après la peine, la gloire après la disgrâce, le repos après la fatigue ; je vais connaître sil y a de la pitié pour les larmes et des consolations aux peines des hommes.

hélène.

Comme si mon cœur n’eut pas été assez vaste pour contenir à la fois votre douleur et la mienne, il me semble que j’ai trouvé à votre récit une sorte de douceur et de consolation. Calmez-vous, ranimez vous, reprenez espoir et courage, il est peu de maux qui soient sans remède. Ce pays est mon domaine ; vous pouvez y fixer votre demeure, vous pouvez y braver le sort ennemi. Moi aussi je suis venue dans ces contrées pour y pleurer mes malheurs ; que la vue de mes peines vous console des vôtres. Moi, j’ai perdu un frère dont la renommée vantait en tout lieu le courage et le mérite. Un homme jaloux de lui l’a tué en trahison… Prononcer son nom, c’est faire son plus bel éloge : il s’appelait don Pèdre Sforze.

frédéric, à part.

Grand Dieu ! qu’entends-je ?

hélène.

On ignore et je voudrais savoir quel est le lâche qui l’a assassiné. Ce doit être sans doute quelque démon sorti des enfers, car il est impossible de découvrir comment il a pu s’échapper, en quel lieu il se cache.

frédéric, à part.

J’ai bien choisi mon asile !

hélène.

Le malheureux se sera sans doute réfugié dans les entrailles de la terre.

frédéric.

Madame, la même cause a produit chez nous deux effets bien différens : vous, la vue d’un malheureux vous a consolée ; à moi, la vue de votre malheur m’est une nouvelle affliction. Oui, vive Dieu ! je sens votre douleur aussi vivement que si elle se confondait avec la mienne… Quant à l’offre que vous me faites de me recevoir dans vos domaines, je l’accepte avec reconnaissance ; d’autant mieux qu’il n’est rien de plus pénible, quand on a été riche, que de rentrer pauvre dans son pays.

benito.

Ah çà, monsieur le déshabillé[12], jusques à quand votre grâce compte-t-elle parler ? Vous devriez vous rappeler que moi j’étais en train de parler lorsque vous êtes venu, et il n’est pas poli de m’avoir coupé le sifflet au milieu de ma harangue.

hélène, à part.

Comme cet homme paraît sensible ! combien il a montré de réserve et de mesure !… En vérité, son air, ses façons, m’ont gagné le cœur.

benito, à Hélène.

Dieu vous garde !

antona.

Benito, on ne te parle pas.

benito.

C’est pour une autre fois.

hélène, à Frédéric.

Comment vous nommez-vous ?

frédéric.

Espagnol.

benito.

Benito.

hélène.

Et l’êtes-vous ?

benito.

Moi ?

frédéric.

Oui, madame, je suis né à Barcelonne.

hélène.

On reconnaît en vous les enfans du soleil[13]. (À part.) Jamais je n’ai vu un homme mieux fait.

benito.

Vous me flattez, madame, et je suis à votre service.

antona.

Tu me feras perdre l’esprit ; ce n’est pas à toi qu’on parle.

hélène.

Vous acceptez donc ce que je vous ai proposé ?

frédéric.

Madame, dans le port qui s’ouvre devant moi, j’oublierai, je le sens, la tempête et le malheur.

hélène.

On voit à son langage que c’est un homme bien né.

benito.

Oui, certes, je suis très-bien né ; car ma mère m’a dit, s’il m’en souvient, que j’étais né par les pieds.

hélène.

Si je réussis dans mes desseins au gré de mes espérances, si je parviens à me venger de cet ennemi inconnu, — car, vous le savez, la vengeance est le plaisir des femmes, — je vous en donne ma parole, Espagnol, je ferai en sorte que vous oubliiez vos malheurs.

Elle sort.
frédéric.

Votre bienveillance suffit, madame, pour me faire tout oublier. (À part.) Ô fortune ! dans quelle situation m’as-tu placé ? Celle qui veut ma mort me rend la vie ! celle qui me recherche me protège ! celle qui me poursuit me donne asile !… Eh bien ! demeurons chez elle, car il n’est pas une hospitalité plus sûre que celle que vous offre un ennemi[14].

Ils sortent.

Scène III.

À Naples. — Un salon du palais.
Entrent L’INFANTE, SÉRAPHINE et LE ROI.
l’infante.

Laissez-moi mourir.

le roi.

Mais songez donc, infante…

l’infante.

Sire, ce que je désire le plus, c’est la fin de mes maux, c’est la mort.

le roi.

Hélas ! une douleur aussi forte, et à laquelle tu ne cherches pas à résister, t’aura bientôt tuée.

l’infante.

Plût au ciel !… plût au ciel que mes peines finissent bientôt avec ma vie !

le roi.

Tous nous pleurons la mort de Sforze, tous nous le regrettons, tous nous demandons vengeance au ciel… Mais enfin nous renfermons notre douleur dans de justes limites, loin de nous y abandonner avec une violence aussi déraisonnable.

l’infante.

Nous ne sentons pas également ; et je sais mieux que vous quel est mon malheur.

le roi.

Consolez-vous, ma fille. Si l’on peut atteindre le traître, vous aurez satisfaction : il périra.

l’infante, à part.

Hélas !… Ô mon bien ! ô Frédéric !

le roi.

Eh bien ! que répondez-vous ?

l’infante.

Suivez vos projets, mon père, je ne puis que les approuver ; faites chercher le traître, et qu’il périsse. (À part.) Ô ciel ! ne le permets jamais ! (Haut.) Mais c’est en vain que je voudrais oublier ma peine, tous les efforts que je fais pour la chasser de ma mémoire l’y rappellent plus vivement[15].


Entrent LE CAPITAINE DES GARDES et ROBERTO.
le capitaine.

Sire, votre majesté ayant fait publier qu’on punirait comme rebelle quiconque ne découvrirait pas le meurtrier, ou ne dirait pas ce qu’il sait de lui, — un homme m’a dénoncé ce valet comme le reconnaissant pour appartenir au coupable.

le roi.

Je saurai de lui ce que je veux savoir.

roberto.

Oui, je l’avoue franchement, j’ai un maître que je sers ; mais quel est ce maître, je ne le dirai jamais.

le roi.

Qui es-tu ?

roberto.

Un étranger venu à Naples pour assister au spectacle de ces fêtes.

le roi.

J’espère apprendre de toi quel est le cruel auteur de mes peines.

roberto.

Je ne le connais point.

le roi.

N’étais-tu pas à son service ?

roberto.

Oui ; mais j’ignorais qui il était.

le capitaine.

Voyez, sire, son trouble… Il cherche à vous tromper. — Et comment pourrait-il se faire qu’un pauvre valet sur la personne duquel on vient de trouver des bijoux du plus grand prix ne connût pas son maître ?

roberto.

En vérité, seigneur capitaine, vous auriez été un bon juge d’information[16].

le roi.

Puisque tu ne veux pas parler lorsqu’on t’y invite avec douceur, nous verrons à employer d’autres moyens. — Mais parmi les joyaux j’aperçois un papier. Ouvrons-le. Peut-être il m’apprendra ce que je veux savoir.

l’infante, à part.

Hélas ! ce sera quelque lettre de lui. Je tremble !… Il est découvert ! il est perdu !

le roi.

Voyez, ma fille.

l’infante, à part.

Je vois mon malheur !

le roi.

C’est une lettre.

l’infante, à part.

C’est une mort.

le roi, lisant.

« Afin que Votre Majesté ne s’inquiète pas de mon absence, je vous écris par Roberto. Je suis en bonne santé. Le motif qui m’a conduit à Naples ç’a été le désir d’assister au tournoi que don Pèdrc de Sforze a fait publier, et dans lequel je veux rompre une lance avec lui. — Le tournoi achevé, je m’empresserai de retourner aux pieds de Votre Majesté, dont le ciel conserve la vie ! — Le prince Frédéric. (Parlant.) Voilà donc quel est l’auteur de mes maux ! C’est le prince Frédéric qui a tué Rodolphe ! N’était-ce pas assez que le roi de Sicile fût mon ennemi, et fallait-il encore que son fils vînt porter la désolation dans mon royaume !

l’infante, à part.

Mon cœur, dissimulons mes chagrins, et que mon père ignore la cause de mes larmes ! (Haut.) Ô Frédéric ! ô prince barbare, cruel, impitoyable, dont la main hardie, dont la folle audace m’a donné la mort ! Prince perfide qui m’as enlevé la moitié démon âme, puisse le ciel te réserver une destinée telle que mon cœur la désire !

le roi.

Ma fille, vos larmes m’ont touché profondément. — Capitaine, cherchez sans retard le coupable, et mettez à feu et à sang le pays où l’on soupçonne qu’il a pu se cacher.

Il sort avec le Capitaine.
l’infante.

Ah ! Roberto, ta fidélité nous a perdus. Pourquoi donc es-tu resté à Naples ? pourquoi donc as-tu conservé cette lettre qui portait la signature du prince ? Ne pouvais-tu pas la déchirer, la brûler ?

roberto.

Je ne pouvais prévoir ce qui est arrivé. J’étais ici secrètement, et mon hôte (il y a des hôtes qui sont bien infâmes !) n’a pas craint de me dénoncer comme le serviteur du prince, lequel avait demeuré chez lui. Il avait écrit cette lettre au roi son père, et, pour notre malheur, il ne l’a pas envoyée.

l’infante.

Je ne m’en consolerai jamais.


Entre LE CAPITAINE.
le capitaine.

Le roi ordonne qu’on vous retienne prisonnier afin que vous ne puissiez pas donner avis de l’aventure.

l’infante.

Oui, il faut retenir prisonnier le serviteur d’un tel prince. (Bas, à Roberto.) Sois tranquille, je te délivrerai.

roberto, bas, à l’Infante.

Je me recommande à votre bonté.

Le Capitaine et Roberto sortent.
séraphine.

Je vous écoule et ne vous comprends pas. J’en suis toute inquiète Il y a ici quelque mystère.

l’infante.

Je puis, je le sais, me confier à toi. Je connais ton dévouement.

séraphine.

Je vous écoute avec une attention sans égale.

l’infante.

Viens avec moi à l’ombre de ces arbres ; là je te conterai une lamentable tragédie d’amour. Bientôt tu sauras tout. Et si par hasard tu ne me comprends pas, n’en sois pas étonnée ; car je ne me comprends pas moi-même.

Elles sortent.

Scène IV.

Un chemin dans la forêt.
Entrent BENITO et ANTONA, chantant.
antona, chantant.

Le joyeux Morales
S’en allait à cheval,
Avec une bride de joncs
Et des éperons de bois.
Voyez ! voyez !
Regardez ! regardez[17] !

benito, chantant.

Comme il passait par le chemin,
Il vit sur l’arbre une fillette.
Et en voulant lever la tête
Il se laissa tomber dans une mare.
Voyez ! voyez !
Regardez ! regardez !

antona, chantant.

Alors pour le tirer de là,
On alla chercher des cordes,
Et l’on ne l’eut pas sans peine.
Car il avait bien déjeuné.
Voyez ! voyez !
Regardez ! regardez !

benito.

Laissons un peu ça, je te prie, quoique tu chantes fameusement bien ; car, vrai, j’aime autant ton chant que le son d’une poêle à frire.

antona.

Tu dis ça pour te moquer. Eh bien ! moi, sans rire, j’aime t’entendre chanter presque autant que d’entendre un veau ou un ânon ; oui, j’aime ta musique presque autant que le grognement d’un cochon. Mais en voila assez là-dessus ; parlons d’autre chose jusqu’à ce que nous soyons arrivés au hameau. Sais-tu de quoi je voudrais causer, mon petit Benito ? de quand sera le jour où nous nous épouserons tous deux[18]. Quand j’y pense ça me va au cœur tout de suite, et ça me chatouille drôlement, va !

benito.

Eh bien ! il ne faut pas penser à ce jour-là. Pense plutôt que nous sommes au jour où je te donnerai du bâton pour régalade ; car, vois-tu, nécessairement il arrivera un moment où je serai fatigué de l’avoir toujours près de moi. Il n’y a pas d’homme qui ne s’ennuie à la fin de voir toujours à sa table le même museau, le même museau dans son lit ; et si cela finit toujours par ennuyer, même quand le museau n’est pas vilain, — dis-moi, Antona, que sera ce donc quand le museau n’est pas joli ? — Il faudra bien, pourtant, que nous en venions là quand nous serons mariés.

antona.

Quoi ! toi, tu me donnerais des coups de bâton ? Non, non, s’il le plaît. Je voudrais bien voir !

benito.

Allons, ne te fâche pas. Je ne t’en donnerai que le premier jour, et puis ce sera fini.

antona.

Et pourquoi donc le premier jour ?

benito.

Un jour la justice ayant condamné un homme au fouet, celui-ci, à qui la chose ne plaisait qu’à demi, donna au bourreau quelque monnaie en le priant d’avoir la main légère. Le bourreau prit l’argent, et commença. Et le premier coup fut si fort, que le sang jaillit. Et comme le pauvre diable se retournait pour se plaindre : « C’est, dit le bourreau, afin que vous jugiez de la manière dont je remplis mes obligations ; car tous les coups auraient été comme celui-là. » Eh bien ! toi de même, après avoir reçu le premier jour la bastonnade, tu pourras mieux juger de quoi pour l’avenir mon amour te fait grâce… Mais que dis-je ? comment pourrais-je t’affliger, moi qui l’adore ? Non ! non ! j’aimerais mieux plutôt m’arracher les brunettes de mes yeux[19] ; car je peux vivre sans mes yeux, et je ne le puis pas sans l’amour de mon Antona.

antona.

Tu ne changeras pas ?

benito.

Jamais.

antona.

Tu ne seras pas infidèle ?

benito.

Jamais.

antona.

Mais tu me disais tout-à-l’heure que tu te fatiguerais de moi ?

benito.

C’est vrai.

antona.

Et pourquoi ça ?

benito.

Parce que tu seras à moi.

antona.

Et pourquoi donc ?

benito.

Parce que je verrai tous les jours même visage.

antona.

Eh bien ! si ce n’est que pour ça, je m’arrangerai ; car je suis femme et ferai nouveau visage chaque jour[20].

Elle sort.
benito.

Eh ! mon Dieu ! oui, elle saura s’en tirer tout comme une autre. On a vu plus d’une femme qui le matin était blanche comme un lis, et qui le soir était devenu clou de girofle. — Mais qu’est-ce donc que je vois briller par là ? Approchons… En vérité, c’est de l’or ou de l’argent… quelle bonne idée j’ai eue de venir de ce côté !… Voilà que je trouve un trésor que l’on avait mis sans doute ici pour le cacher. Enlevons ça doucement. — Mais que vois-je ? c’est un de ces vêtemens d’or que l’on appelle harnais. (Il tire l’armure de dessous les branches d’arbre.) Mais, tout de même, ça n’est pas nouveau pour moi. J’en ai déjà vu comme ça au village, et je sais bien comment que ça se met. Je ne suis pas bête, moi. (Il met l’armure tout de travers.) J’ai entendu dire que l’or et l’argent venaient dedans la terre ; mais qu’il y vienne un vêtement tout fait sans que personne y ait travaillé, voilà le curieux de l’histoire… Je voudrais bien que les habits vinssent toujours comme ça ; alors il n’y aurait plus besoin de tailleurs, et je serais content… Qu’est-ce qu’ils diront au village quand ils me verront ainsi vêtu ? Je suis sûr qu’ils en seront tout ébaubis… Et Antona donc, que dira-t elle ?… elle croira voir saint Georges lorsqu’il s’en va pour tuer le dragon. Comme ce sera drôle de me voir de la tête aux pieds avec ce chapeau d’or et ces guêtres de cuir[21]. Je ferai l’envie de tous les laboureurs des environs… et puis, va te promener comme l’autre, le jour par les chemins, la nuit par les halliers[22].

Il s’éloigne.


Entrent LE CAPITAINE et DES SOLDATS.
le capitaine.

C’est dans cette chaîne de montagnes dont les mille détours forment une espèce de labyrinthe naturel, c’est ici, sans aucun doute, que cet homme redoutable doit être caché. Tous les rapports s’accordent à dire qu’il est venu de ce côté. Oh ! plût au ciel que nous fussions assez heureux pour pouvoir remettre aux mains du roi l’homme qui a converti en deuil et en larmes le plaisir et la joie de tes fêtes !

deuxième soldat.

S’il est venu par ici, il est impossible qu’il nous échappe, car des hommes d’armes ont cerné de tous côtés la montagne.

le capitaine.

Et son armure à lui est si connue, que seule elle le fera reconnaître.

deuxième soldat.

Seigneur, au bas de ces rochers je vois un cheval étendu mort.

le capitaine.

Il n’y a pas moyen de s’y tromper, c’est le sien, c’est celui qu’il montait le jour du tournoi. Et si le cheval est là, — qui se sera renversé par sa propre violence, — le maître ne doit pas être loin.

premier soldat.

Ne se peut-il pas qu’il ait changé de cheval dans la montagne

le capitaine.

Il n’a pas dû prendre tant de précautions, ne sachant pas ce qui arriverait. Oui, plus j’y pense, plus je suis persuadé qu’il est par ici. et c’est nous qui aurons la gloire de l’arrêter. Regardez, écoutez, et fouillez partout avec le plus grand soin. Ne laissez aucun coin sans le visiter, pénétrez dans les endroits les plus obscurs. Le roi vous sera bien reconnaissant s’il vous doit d’avoir en son pouvoir le scélérat qui lui cause tant de douleur.

premier soldat.

Il est vrai que don Pèdre Sforze était son neveu.

le capitaine.

Et en même temps c’était bien le prince le mieux fait, le plus spirituel, le plus noble, le plus vaillant, le plus aimable… De là vient que tout le monde est affligé de sa mort. Et si le roi tient une fois son assassin, il lui fera trancher la tête, d’abord pour l’insolence avec laquelle il s’est conduit le soir du sarao, et ensuite pour avoir changé traîtreusement le badinage d’un tournoi en un duel sérieux.


Entre BENITO, avec son armure.
benito.

Oh ! comme je suis bien sous cet accoutrement ! Qui pourrait me voir ainsi sans mourir de rire ? — Des hommes qui passaient par là m’ont armé pour s’amuser, et si bien, que je ne puis plus bouger maintenant… Qu’il me tarde d’être au village ! qu’il me tarde de me montrer à Antona ! Sûrement elle me prendra pour un autre. — Si mes yeux ne me trompent, j’aperçois entre les rochers un cavalier armé dans mon genre.

le capitaine.

C’est bien lui !… Pour s’en assurer il suffit de voir son armure.

premier soldat.

Comment faut-il nous y prendre ? C’est que s’il se défend, nous ne viendrons jamais à bout de l’arrêter.

le capitaine.

Cependant, puisque son cheval est là mort, il doit être bien fatigué. Allez doucement, vous deux par derrière, et moi je lui mets le pistolet sur la gorge.

premier soldat.

Ne faisons pas de bruit.

deuxième soldat.

J’en fais le moins possible ; car s’il nous entendait, nous ne pourrions jamais l’arrêter, fussions-nous dix fois plus nombreux, tant il a de force et de courage.

premier soldat.

Pas de bruit ! silence !

benito.

Je serais curieux de savoir si avec cet accoutrement on pourrait me faire une bonne casaque.

Les deux Soldats le saisissent par derrière.
premier soldat.

Je le tiens !

deuxième soldat.

Arrivez !

le capitaine.

Rends-toi, ou tu tombes à l’instant frappé de la foudre.

benito.

Ah ! messieurs, l’on m’emporte !… En quoi donc suis-je si coupable pour avoir…

le capitaine.

N’essaye pas de te défendre. Il faut que, mort ou vif, nous te conduisions vers le roi.

deuxième soldat.

Tenez-le bien.

premier soldat.

Je le tiens de toutes mes forces.

benito.

Ah ! messieurs, l’on m’emporte[23] !



JOURNÉE DEUXIÈME.


Scène I.

Le jardin du palais.
Entrent L’INFANTE et SÉRAPHINE.
l’infante.

Arrêtons-nous ici, chère Séraphine ; c’est ici que je veux te parler. Ici, du moins, nous n’aurons autour de nous que ces plantes et ces fleurs, discrètes confidentes de mon amour. D’autres fois déjà elles ont vu mes larmes, entendu mes soupirs, alors que solitaire je venais leur conter mes plaisirs ou mes peines ; car, vraiment, on trouve je ne sais quel charme à conter son amour même à des plantes muettes, à des ruisseaux insensibles, à de durs rochers. — Donc, puisque je t’ai promis de te confier mon secret si long-temps enseveli dans mon cœur, — tu sauras qu’un jour, — c’était un des jours qui précédèrent l’événement funeste auquel je dois mes douleurs, — mon majordome me dit : « Si votre altesse veut se distraire un moment, elle pourra voir les bijoux les plus rares, les plus merveilleux que l’art ait jamais produits, et que le désir ait jamais imaginés. Celui qui les apporte est un orfèvre étranger qui prétend en trouver l’emploi auprès des grands princes que Naples renferme en ce moment. » J’eus la curiosité de voir ces bijoux, et j’ordonnai que l’on introduisit l’orfèvre en ma présence. Plût à Dieu qu’on ne me l’eût pas amené ! Il n’aurait pas pénétré jusqu’à mon âme, qui depuis lors souffre un mal inexplicable, une étrange douleur… Tu t’étonnes sans doute qu’un simple artisan ait pu agir ainsi sur mon âme ; eh bien ! cesse de t’étonner, Séraphine, car sous ces humbles apparences a pu se déguiser un prince, — le prince Frédéric… d’autant que cet art est si noble qu’il peut bien avoir parmi ses représentans des princes et des rois… Je continue. — Après m’avoir montré plusieurs bijoux curieux, il m’en fit voir un qui passait tout ce que l’imagination peut se figurer de riche, de brillant. Dans ce bijou l’on avait artistement renfermé un portrait… et devines-tu lequel ? devines-tu qui je voyais sous mes yeux ?… c’était moi, c’était moi-même. Et ce portrait était d’une telle ressemblance, que dès le premier moment mon âme ne sut plus dans quel corps la nature l’avait placée ; qu’incertaine elle hésita, et qu’elle finit, je pense, par passer dans ce portrait ; de sorte que j’ai perdu mon âme, l’orfèvre l’ayant emportée avec lui… Je lui demandai à quel effet il avait mis mon portrait dans un bijou si merveilleux. — À quoi un peu troublé, et comme en évitant mes regards : « Madame, me dit-il, c’est sur l’ordre du prince Frédéric que je l’ai disposé ainsi, afin qu’il pût le porter sur sa poitrine. La renommée lui avait vanté la perfection de votre beauté ; il s’était vivement épris seulement sur ce qu’il avait entendu dire, et alors il avait commandé ce portrait. Mais quand je le lui ai porté, quand ses yeux l’ont vu : « Hélas ! s’est-il écrié en soupirant, ange divin de qui m’a pour jamais séparé un destin cruel, et qui peut-être as hérité de la haine de ton père, ange divin, je ne serai pas assez hardi pour aimer ainsi ton ombre, je ne veux pas te profaner de ma secrète adoration ; et c’est pourquoi ton portrait ne doit pas demeurer sur mon cœur. Mais je ne veux pas non plus que cette image honorée tombe au pouvoir d’un autre mortel ; ses mains seules sont dignes de la posséder. » Et s’adressant à moi : « Oserais-tu, me dit-il, lui porter cette image, afin qu’elle aille vers elle comme un ruisseau se rend à la mer, comme un rayon de flamme remonte au soleil ? » Alors, madame, je lui promis de tout hasarder pour vous remettre ce portrait, dussé-je y périr, et le voici !… » — Il dit, me donna le portrait, et sans attendre ma réponse, il s’échappa. — Je demeurai quelque temps incertaine. À la fin cependant j’ouvris le bijou, et sais-tu ce que je trouvai ? un autre portrait, le portrait du prince Frédéric ; et ayant reconnu clairement que lui-même était l’orfèvre, je restai confondue d’une si étrange aventure. Je ne te dirai point toutes mes folles pensées, — mes espérances évanouies, mon bonheur disparu comme un rêve. J’aimai : ces fleurs le disent à ma place, ces fleurs qui souvent, la nuit, lorsque je parcourais ces allées solitaires, ont entendu mes soupirs et mes plaintes, après avoir entendu les plaintes et les soupirs de Frédéric, qui venait, la nuit, me parler sous mon balcon. Tu sais, maintenant, quel était le chevalier mystérieux du tournoi, et quel sentiment inspira une semblable entreprise… Et désormais tout ce que je demande au ciel, c’est que les soldats de mon père ne puissent retrouver le prince Frédéric : nous sommes perdus l’un pour l’autre, l’expiation est assez grande. Mon père, si l’on le lui amène, vengera sur lui les guerres qu’il a eues avec le roi de Sicile ; et alors c’en est fait de moi, car mon existence est tout entière attachée à celle de ce prince ; je vis de la seule pensée qu’il est vivant, et je mourrais à la seule pensée de sa mort.

séraphine.

Je vous remercie, madame, de m’avoir confié vos sentimens. Mais il est merveilleux que vous ayez pu garder si long-temps un tel secret.

l’infante.

Oh ! nous autres femmes nous savons fort bien, quand nous voulons, garder un secret.

séraphine.

Voici venir le roi.

l’infante.

Je désire vivement trouver le moyen d’obtenir qu’il rende la liberté à Roberto.


Entrent LE ROI et UN VALET.
le roi.

Eh bien ! Marguerite, comment va votre mélancolie ?… N’aurez-vous donc jamais un moment de trêve, un moment de joie ?

l’infante.

Je disais tout-à-l’heure à Séraphine que ma douleur et mes ennuis ne me quitteraient jamais.

le roi.

Vous ne pouviez choisir une confidente plus sage et plus aimable.

l’infante.

Elle vous dira combien je suis triste.

séraphine.

On ne peut davantage.

le roi.

Vous a-t-elle fait part de la cause ?

séraphine.

Non, sire ; mais d’après ce que m’a conté la princesse, le remède serait facile.

le roi.

En vérité ?

séraphine.

Il suffirait qu’elle retrouvât celui qui a donné la mort à don Pèdre Sforze.

le roi.

Eh bien ! réjouissez-vous, princesse ; car j’espère l’avoir bientôt en mon pouvoir.

l’infante.

Le moyen s’en présente à mon esprit, et il n’est rien de plus facile. — Ordonnez qu’on rende la liberté à son valet, d’autant qu’il ne saurait être coupable pour avoir fidèlement servi son maître. Ensuite, seigneur, faites-le suivre soigneusement ; et comme il ne manquera pas d’aller rejoindre le prince, de la sorte on découvrira Frédéric.

le roi.

L’idée est excellente. — Qu’on aille à l’instant chercher le prisonnier.

l’infante.

Ne perdez pas un moment.

Le Domestique sort.


Entre LE CAPITAINE.
le capitaine.

J’accours aux pieds de votre majesté.

le roi.

Qu’y a-t-il de nouveau ?

le capitaine.

Que les souhaits de votre majesté sont accomplis.

le roi.

Et comment ?

le capitaine.

Je suis sorti avec une partie de votre garde à la recherche du traître. Informé de l’endroit où il s’était réfugié, — c’était dans une vaste forêt, — je m’y suis rendu, et je l’ai trouvé là debout au pied d’un rocher et dans une attitude mélancolique. Il faut vous dire qu’il avait perdu son cheval, lequel, sans doute, avait péri par suite d’une fatigue excessive. En nous entendant, il s’est retourné aussitôt, et d’un air si résolu, que j’ai bien cru qu’il nous allait tous tailler en pièces. Cependant, grâce à notre prudence et à notre courage, nous sommes parvenus à nous emparer de lui. Mais il ne veut pas dire qui il est. Il s’obstine à dire qu’il est un simple paysan, et au langage qu’il affecte, j’ai idée qu’il voudrait feindre la folie.

le roi.

Peu importe qu’il cache son nom et qu’il feigne d’être fou, puisque nous savons à présent que le perfide, le traître n’est autre que le prince Frédéric. Allez le chercher.

Le Capitaine sort.
l’infante.

Hélas ! ô ciel, aie pitié de moi ! ô mort, hâte-toi de finir mes tourmens ! Je ne puis… je ne puis déguiser une telle douleur ; mes soupirs s’élancent malgré moi de mon cœur ; malgré moi, mes larmes s’échappent de mes yeux… Grand Dieu, protège-moi !

le roi.

Qu’est-ce donc ? qu’avez-vous, ma fille ?

l’infante.

Je me sens tout à la fois comme brûlée et glacée ; je sens une douleur qui me déchire et m’accable. Ô ciel ! aie pitié de moi ! Ô mort ! hâte-toi de finir mes tourmens !

Elle sort.
le roi.

Séraphine, puisque la princesse vous a fait ses confidences, que pensez-vous d’un désespoir si étrange ?

séraphine.

Quoique je trahisse un secret confié, je parlerai, car je tiens avant tout à sauver la princesse. Eh bien ! sire, sachez-le, ce désespoir qui lui est venu, c’est à cause qu’on a pris le prince Frédéric. Vous saurez tout d’un seul mot ; elle l’aime ; l’un et l’autre s’aimaient secrètement, et comme elle craint que vous ne le fassiez périr, elle n’a pu résister à cette affreuse idée.

le roi.

Qu’ai-je entendu ?… Cela étant, je procéderai d’une autre façon, car enfin l’homme sage procède selon les circonstances. Agissons avec modération.


Entre ROBERTO.
roberto.

Permettez, sire, de baiser vos pieds à un malheureux qui, en servant son maître fidèlement, n’a jamais eu l’intention de vous offenser. J’attends humblement mon arrêt de mort.

le roi.

Non, Roberto, lève-toi, tu es libre ; ta fidélité mérite une récompense plutôt qu’un châtiment. — Le ciel plus favorable a écouté mes vœux. On a enfin découvert ton maître, et voilà qu’on me l’amène prisonnier.

roberto, à part.

Ô ciel ! est-il possible ? — Il y avait donc par là quelqu’un qui le connaissait et qui l’aura trahi ?

Il sort.


Entrent LE CAPITAINE, DES SOLDATS, et BENITO, couvert de son armure.
le capitaine.

Sire, voici devant vous le prince Frédéric de Sicile.

benito.

Ça doit être un enchantement… Moi prince ! moi Frédéric de Cécile[24] ! Pourquoi donc veulent-ils me changer comme ça ?

le roi.

J’hésite entre la vengeance et la pitié. D’un côte, la colère m’anime, — de l’autre, la situation de l’infante me commande l’indulgence. Que faire ? — (Haut.) Votre altesse pense, sans doute, que, l’ayant en mon pouvoir, je vais venger d’un seul coup les injures de son père et les siennes propres ; mais elle ne connaît pas mes sentimens, et j’ai plus de clémence dans mon cœur qu’elle ne devrait en attendre. Toutefois vous demeurerez prisonnier.

benito.

Moi !… Et quel mal ai-je donc fait, s’il vous plaît, en mettant cet habit ? est-ce que je ne pouvais pas le prendre, lorsque je l’ai trouvé dans la forêt, au pied d’un arbre, comme un champignon ?

le roi.

Votre altesse ne nous abusera pas ; elle ne nous trompera pas en jouant ainsi tour à tour le rustre et l’insensé. Des nuages ont beau s’interposer devant le soleil, il n’en est pas moins facile à reconnaître. Que votre altesse prenne confiance en moi, et qu’elle se console de l’abandon de la fortune inconstante.

benito.

Oh ! oui, vous avez raison, la fortune est une coquine[25]. Eh bien ! si l’on veut, qu’on reprenne cette armure et qu’on me donne ma casaque. Je vous jure que vous faites erreur ; je ne suis pas le prince Chilpéric de Cécile[26].

roberto.

On se trompe évidemment, et je suis tenté d’accréditer l’erreur générale… d’autant que j’empêche par là qu’on n’envoie d’autres troupes à la recherche du prince. (Haut, à Benito.) Que votre altesse me permette d’embrasser ses genoux. Même en présence du roi, je ne puis me contenir, et je suis heureux de montrer mon dévouement et ma fidélité.

benito.

D’où vient donc que vous vous mettez à mes pieds et que vous me les baisez ? Je n’aime pas ça du tout, pour ma part, et pour la vôtre je ne vois pas le plaisir que vous pouvez y trouver.

roberto.

Oh ! votre altesse n’a pas besoin de se déguiser davantage.

premier soldat.

Vous êtes connu, monseigneur.

le capitaine.

Nous savons maintenant, monseigneur, que vous êtes le prince de Sicile.

benito.

Vous le dites tous ?

roberto.

Oui, certes.

benito.

Eh bien ! tous, vous en avez menti ; car parmi toutes les femmes de ma connaissance je ne connais pas de Cécile[27], — hormis tant seulement la fille du maître berger de mon endroit. C’est la vérité pure.

roberto.

Quoi ! vous persistez à dissimuler avec moi, votre serviteur dévoué, dont la fidélité ne craint pas la comparaison avec celle d’Achates[28] ?

benito.

Bon ! maintenant voilà qu’il me parle d’Agathe[29]. En vérité, c’est à me faire perdre la tête. Ah çà, homme ou démon, explique-toi, que me veux-tu ?

roberto.

Sire, le prince Frédéric, mon maître, est d’une obstination rare. II est aussi obstiné qu’il est courageux, et quand une fois il s’est mis quelque chose en tête…

le roi.

Qu’on le mène à la tour de Belflor, et qu’on le remette aux mains de la princesse Hélène. Mais j’entends qu’elle le traite avec douceur ; je ne veux pas que cette prison soit trop sévère ; ce doit être une sorte d’hospitalité. (Bas, à Roberto.) Je traite mon ennemi comme si je voulais qu’il devînt mon gendre.

roberto.

Cela est tout simple ; car fort souvent un gendre est un ennemi.

le roi.

Et que Roberto soit enfermé avec lui. Il sera agréable au prince de le voir et de lui parler. — Dites à Hélène que je le lui recommande, et que je saurai la récompenser de tout ce qu’elle fera pour lui. (À part.) J’arrange le tout de mon mieux pour Marguerite… Ô femmes, combien vos fantaisies ont d’influence sur les projets des hommes !

le capitaine.

Venez, seigneur, prendre du repos.

benito, à part.

Autre niais ! (Haut.) Oui, allons prendre du repos… et tout ce que vous voudrez.

roberto.

Votre altesse a devant elle Roberto.

benito.

Ne seriez-vous pas Robert le Diable ?… Mais comme ils sont tous d’accord là-dessus, et que tous le disent, il faut bien cependant qu’il y ait quelque chose de vrai. Il est évident qu’ils sont tous ivres ou que c’est moi qui le suis. Enfin, au bout du compte, ça n’est pas mauvais pour moi, et je ne serais pas si à plaindre si j’épousais la Cécile du maître berger[30]. Arrive ensuite que pourra !

Ils sortent.

Scène II.

La forêt.
Entrent TROIS VILLAGEOIS et ANTONA.
antona.

Je ne m’en consolerai jamais. Laisse-moi pleurer, Belardo.

premier villageois.

Quoi ! il n’y a pas moyen de vous consoler ?

antona.

Non, pas moyen.

deuxième villageois.

Vous voulez donc mourir ?

antona.

Oui. — Il me dit : Ma chère Antona, quand tu reviendras dans la forêt, tu me retrouveras à la même place et plus amoureux que jamais. Je reviens, et je ne le retrouve plus !

premier villageois.

Pour moi, m’est avis que quelque bête sauvage l’aura dévoré.

deuxième villageois.

Oui, il aura été mangé par quelque loup.

antona.

Hélas ! il n’y a pas à en douter… mon pauvre Benito était si appétissant ! Mais dire qu’il a été la proie d’une bête !… n’est-ce pas bien triste[31] ?

Elle sort avec les villageois
Entrent HÉLÈNE et FRÉDÉRIC.
frédéric.

Comment reconnaîtrai-je jamais une bienveillance qui m’est si glorieuse ?

hélène.

Vous mériteriez davantage encore.

frédéric.

Non, madame, je ne suis pas même digne de baiser l’empreinte de vos pas… Que suis-je pour tant de bonté ?… Je n’ai plus désormais à me plaindre du sort. Lorsque j’errais seul dans ces bois, j’accusais ma destinée, et je vois maintenant que ma destinée est la plus belle qu’un mortel ait jamais eue. Béni soit le ciel pour m’avoir envoyé des malheurs qui feraient envie aux plus heureux !

hélène, à part.

On dirait, à l’entendre, qu’il connaît ma folie et qu’il la partage. Mais jusqu’à ce qu’il se déclare tout-à-fait, ô mon cœur ! dissimulons. (Haut.) À vous entendre exprimer tant de reconnaissance, on croirait, Espagnol, que je vous ai rendu maître du ciel et de la terre. Je vous ai simplement nommé gouverneur du château, et il n’y a pas là de quoi exciter si fort votre gratitude.

frédéric.

Je ne sais comment traiter avec vous, madame, et je suis dans une mortelle incertitude. Souvent, lorsque je vous remercie avec discrétion et froidement, vous paraissez me soupçonner d’être ingrat ; d’autres fois, lorsque je veux vous exprimer la reconnaissance que j’éprouve, vous avez l’air d’en être offensée. En vérité, je ne vous comprends pas. Sans doute, madame, le monde étant peuplé d’ingrats, on est tout surpris de trouver de la reconnaissance comme de quelque chose de nouveau et d’étrange. Eh bien ! désormais, si cela peut vous faire plaisir, je ne vous parlerai plus de la mienne.

hélène.

Non pas ! je ne dis pas cela.

frédéric.

Comment donc dois-je me conduire ?

hélène.

Eh bien ! je voudrais des sentimens qui ne fussent ni de la reconnaissance ni de l’ingratitude. Je voudrais je ne sais quoi également éloigné des deux extrêmes.

frédéric.

En vérité, je ne vous comprends pas.

hélène.

En vérité, je ne me comprends pas moi-même.

Entre LE CAPITAINE.
le capitaine.

Je me mets à vos pieds, madame.

hélène.

Qu’y a-t-il, capitaine ?

le capitaine.

Je vous apporte une nouvelle dont vous serez contente. On sait tout… on sait quel est celui qui a tué don Pèdre Sforze.

frédéric, à part.

Hélas ! je suis perdu !

hélène.

Ah ! vous renouvelez ma douleur… Eh bien ! parlez ; qui est le traître ? qui est le barbare ?

le capitaine.

C’est le prince Frédéric de Sicile.

frédéric, à part.

On me connaît sans doute. — Que faire ?

le capitaine.

On finit toujours par découvrir la vérité.

frédéric, à part.

Faut-il prendre la fuite ou me préparer à me défendre ?

le capitaine.

Qui votre altesse a-t-elle nommé pour gouverneur de ce château ?

frédéric, à part.

Le sort en est jeté. (Haut.) Eh bien ! c’est moi, oui, c’est moi ! jamais je n’ai renié mon nom. Et puisque vous me connaissez, que voulez-vous de moi ?

le capitaine.

Je voudrais vous parler seul à seul.

frédéric.

Vous pouvez parler ici. J’ai mon épée, et je suis prêt à vous répondre.

le capitaine.

Votre épée ?… Pour qui ? contre qui ?

frédéric.

Ne disiez-vous pas, capitaine, que vous veniez chercher le gouverneur du château, et que le prince Frédéric est connu ? Eh bien ! celui que vous cherchez est devant vos yeux.

le capitaine.

Je ne vous réponds pas, parce que je ne puis vous comprendre. — Pourquoi vous troubler ainsi ?

frédéric.

Ne dites-vous pas que vous me cherchez ?

le capitaine.

Oui, seigneur, je veux vous remettre comme prisonnier…

frédéric.

Non, non, plutôt mourir mille fois.

le capitaine, à part.

Quelle confusion !… Cet homme est vraiment singulier ! (Haut.) Écoutez-moi, de grâce, et ensuite vous saurez ce que je veux.

frédéric.

Parlez donc.

le capitaine.

Eh bien ! j’ai arrêté dans la forêt le prince Frédéric, je vous l’amène prisonnier, et je vais le confier à votre garde.

frédéric.

Fort bien !… C’est que, seigneur, comme je vous ai vu arriver dans une certaine agitation et demandant après moi, je ne savais ce que vous pouviez me vouloir, et cela m’a ému.

hélène.

Qu’ai-je entendu ?… Frédéric est pris !

le capitaine.

Oui, madame ; et le roi vous l’envoie pour que vous le gardiez. On l’amène dans un carrosse fermé, afin que personne ne le voie ; car le peuple, qui admire son courage, pourrait se portera quelque mouvement. — Suivez-moi donc, je vous prie, seigneur gouverneur ; je vais vous le remettre, et vous vous engagerez sous serment à ne pas le laisser échapper.

frédéric.

Ce serment, je puis le prêter ici même. Je jure sur l’honneur, je donne ma parole inviolable que je garderai le prince Frédéric avec le même soin, le même zèle, la même attention avec laquelle je me garde moi-même. Son salut est pour moi d’une telle importance, que, s’il m’est permis d’employer cette expression, je veux courir même fortune avec lui. Je vous promets donc, vive Dieu ! que je ne le perdrai pas de vue un seul instant.

le capitaine.

Je reçois votre serment. Maintenant, venez ; hâtons-nous, afin, comme je vous l’ai dit, que personne ne le voie. Vous seule, madame, pouvez venir le voir ; et votre regard seul sera l’arrêt du coupable.

hélène.

Oui, si le ressentiment qui remplit mon cœur pouvait passer dans mes yeux et dans mon langage, j’irais le voir, j’irais lui parler, — parce que d’un regard je confondrais le traître, et d’un mot je le tuerais. Mais je n’y veux pas aller. Espagnol, c’est à vous que je confie cet homme ; je compte sur votre loyauté ; je remets en vos mains ma vengeance et mon honneur.

frédéric.

Soyez tranquille, madame, je le garderai comme moi-même.

le capitaine.

Venez.

frédéric, à part.

Quelle situation délicate !… Je plais à la même personne que j’ai offensée, et, de plus, je vais être le geôlier de moi-même !

Frédéric et le Capitaine sortent.


Entrent L’INFANTE et SÉRAPHINE.
l’infante.

Vous ne vous attendiez pas, Hélène, à cette visite ?

hélène.

Non, belle princesse ; et votre présence en ce lieu me comble de joie et d’honneur. — Où donc allez-vous ainsi ?

l’infante.

En faisant ce voyage je n’avais qu’un seul but : je voulais vous voir.

hélène.

Je ne pourrai jamais reconnaître tant de bonté.

l’infante.

On dit que votre château est si agréablement situé, que le séjour en doit être excellent pour la mélancolie ; et voilà pourquoi on m’y envoie ; car je suis bien triste. Vous verrez si j’en ai sujet, ma cousine, quand je vous dirai mes ennuis.

hélène.

Je serai trop flattée. Seraient-ce par hasard des chagrins d’amour ?

l’infante.

Oui, l’amour y fut pour quelque chose.

hélène.

Et à présent ?

l’infante.

À présent je ne sais plus à quoi les attribuer. Ils tiennent à des causes diverses. — Vous les devinerez à ma douleur.

hélène.

Déclarez-vous, je vous prie. Moi de mon côté je vous confierai un amour qui est tout l’opposé du vôtre ; car si le vôtre a été et n’est plus, le mien, comme vous verrez, n’est pas encore et sera bientôt. — Mais asseyez-vous sur ce gazon. Ces arbres vous protégeront contre les rayons du soleil, et ces fleurs vous seront comme un tapis parfumé. — Vraiment ce lieu-ci est on ne peut plus propice aux récits d’amour.

l’infante.

Non pas encore ; plus tard. — (À part.) Commençons. (Haut.) J’ai un service à vous demander.

hélène.

Je suis entièrement à votre disposition.

l’infante.

J’éprouve le plus vif désir de voir le prince que l’on a amené prisonnier.

hélène.

Est-ce que vous avez besoin de mon entremise pour cela ? — Étant qui vous êtes, vous avez tout droit ici.

l’infante.

Je désire le voir pour des motifs que vous saurez plus tard.

hélène.

Assez, ne m’en dites pas davantage. Si telle est votre volonté, j’ordonnerai qu’on laisse ouverte la porte du château, et qu’on laisse entrer la première personne qui se présentera.

l’infante.

Afin qu’on ne se doute de rien, je vais parcourir la forêt et chasser jusqu’à la nuit. De la sorte on croira que ç’a été là le motif de mon voyage. — Ah ! ma cousine, déjà près de vous mes chagrins ont disparu, et mes larmes se sont arrêtées. Je vous dois la vie. Adieu.

Elle sort.
hélène.

Dieu me soit en aide !… Pourquoi donc me fait-elle de si vifs remerciemens ?… Mais j’aurai bientôt pénétré ce mystère.


Entre FRÉDÉRIC.
frédéric.

Madame, le prince est enfermé dans la tour.

hélène.

Écoutez. J’ai deux mots importans à vous dire, et j’attends de vous un service.

frédéric.

Parlez, madame ; quoi que ce soit, vous êtes obéie.

hélène.

Sous prétexte de chasser dans la forêt, l’infante Marguerite est venue, et elle désire avoir un moment d’entretien avec le prince. Il y a là-dessous quelque amour, j’imagine, et je voudrais m’en assurer. C’est une folle curiosité ; mais enfin je suis femme… Eh bien ! voici ce que je vous demande : c’est que vous vous placiez en un lieu d’où vous puissiez tout entendre, et, ne l’oubliez pas, — vous me rapporterez leurs paroles mêmes.

frédéric.

J’y ferai tous mes efforts.

hélène.

Je veux savoir d’où viennent ses relations avec un traître, et si, du moins, l’amour la justifie. — Il y va de ma vie et de mon honneur.

Elle sort.
frédéric.

Quelle situation est la mienne !… Quelles sont donc, ô ciel ! toutes ces étranges aventures ? Il est des momens où il me semble que ce sont autant de rêves. — Mais qui croira qu’il se soit trouvé une femme aussi constante que la princesse Marguerite ? N’est-ce pas à tort que l’on accuse les femmes d’inconstance ?… Médisans vains et légers, dont la langue maudite parle mal des femmes, venez, venez ici, soyez témoin d’un tel amour !… Pour moi, je suis curieux de voir jusqu’où va le dévouement d’une tendresse si noble et si généreuse. Elle pense que je suis le prisonnier ; il faut donc qu’elle me trouve dans la prison. Faisons cette épreuve, et voyons quel est son projet. — Voici la tour. (Appelant.) Roberto ?


Entre ROBERTO.
roberto.

Ah ! seigneur, est-il possible enfin que je vous voie, que je vous parle ?

frédéric.

Oui, la fortune l’a permis. — Que faisais-tu là ?

roberto.

J’étais là avec ce grossier animal que l’on a renfermé dans la tour en votre lieu et place. Jamais je n’ai rien vu de plus stupide. Il dit que tout ce qu’il voit ce sont des rêves.

frédéric.

Et il n’a pas tort.

roberto.

Et en même temps il se figure qu’il est un prince, lui un manant, un rustre !

frédéric.

Qu’importe, Roberto ? qu’importe ce qu’il est effectivement, pour qu’il ait de la vanité de ce qu’il croit être ? Pour les hommes, les honneurs, les grandeurs ne consistent pas dans la réalité du titre, mais dans l’opinion des autres.

roberto.

C’est qu’encore il s’avise de me commander ! Fort bien ; je lui obéirai tant que nous serons devant du monde ; mais une fois nous deux seuls, c’est moi qui commanderai à mon tour !

frédéric.

Laissons là ces folies.

roberto.

Oh ! quand nous serons seuls, je prendrai ma revanche.

frédéric.

Que fait-il en ce moment ?

roberto.

Il ronfle comme quatre. Il voulait se coucher ; mais en voyant le lit si riche et si élégant, il a été saisi d’une sorte de respect, et il s’est mis à dormir par terre.

frédéric.

Et pourquoi donc ne lui as tu pas dit qu’il se couchât dans le lit ?

roberto.

J’ai fait mieux.

frédéric.

Comment ?

roberto.

Je m’y suis couché moi-même.

frédéric.

Puisque cet homme me donne par son sommeil l’occasion que je désire, maintenant, Roberto, écoute. L’infante Marguerite va venir au château à mon intention. Elle s’imagine que c’est moi qui suis le prisonnier, et je tiens à ne pas la détromper en ce moment. Nous verrons ce que cela va devenir, et plus tard je me découvrirai, s’il le faut. — N’a-t-on pas frappé ?

roberto.

Oui.

frédéric.

Eh bien ! va ouvrir[32].

Frédéric s’assied dans un fauteuil.


Entre L’INFANTE.
roberto.

Qui demandez-vous, madame ?

l’infante.

La princesse Hélène m’a permis d’entrer.

roberto.

Le gouverneur m’a ordonné, en effet, de laisser entrer la personne qui se présenterait au nom de la princesse.

l’infante.

Quoi ! c’est toi, Roberto ?

roberto.

Quoi ! c’est vous, madame ? — Et comment votre altesse a-t-elle ose pénétrer jusqu’ici ?

l’infante.

Je suis entraînée par des sentimens plus forts que moi. — Et ton maître ?

roberto.

Le voilà assis, et il se tient toujours de même dans ce coin ; jamais on n’a vu pareille tristesse. Aussi je crains qu’il ne meure de mélancolie, à moins qu’une aussi aimable visite ne lui mette, comme de raison, la joie au cœur.

l’infante.

Frédéric !

frédéric.

Quelle est cette douce voix qui m’appelle et qui charme tout mon être ? — Mais que vois-je ? est-ce mon imagination qui m’abuse ? Sans doute ma fin s’approche, et l’heure de ma mort est venue, puisque je vois dans l’air ces images confuses, fugitives réalisations de ma pensée !… Peut être aussi est-ce quelque astre charmant détaché du ciel qui est venu illuminer de son éclat les ténèbres de ma prison ! Mais enfin, que ce soit un astre divin ou une trompeuse image, jamais la vue d’aucun objet ne fut plus douce à mes yeux, plus douce à mon cœur ; et s’il devait être l’annonce certaine de ma mort, je serais encore heureux de le voir.

l’infante.

Frédéric, ce n’est pas une vaine apparence que tu vois devant tes yeux ; et alors même que ce ne serait que mon ombre, par cela seul qu’elle serait à moi, elle ne te tromperait pas. — Je suis l’infante Marguerite ; ne me sache aucun gré de ma démarche, car les femmes de mon rang, les femmes qui me ressemblent n’aiment pas une fois pour oublier ensuite. Avant de t’aimer, j’aurais pu considérer les inconvéniens, les dangers, les périls ; mais à présent que je t’ai engagé ma foi, je ne resterai pas en arrière, et je te suivrai jusqu’à la mort. Je sais que tu as perdu ton cheval, je sais que l’on l’a trouvé parmi les rochers, je sais enfin que tu es prisonnier. De ton côté, tu sauras que mon père médite une vengeance, et que ta vie est menacée. Mais non, je m’exprime mal, c’est la mienne que l’on menace… Toi, si tu veux, tu es sauvé ; par mon ordre un cheval est à la porte, qui t’attend ; dans l’arçon de la selle lu trouveras, avec les armes nécessaires, une bourse remplie de joyaux. Sors donc au plus tôt de cette forteresse. Moi je demeure résolue à souffrir seule, et je serai heureuse étant assurée que tu n’as rien à craindre.

frédéric.

Marguerite, ce n’est pas moi qui pourrai plus long-temps vous celer la vérité lorsque vous me parlez avec cette noble franchise. Je ne suis point prisonnier, je suis libre ; et afin que vous sachiez l’aventure la plus curieuse que l’on ait jamais vue dans les comédies espagnoles[33], apprenez que l’on vous trompe. Mon cheval est tombé, il est vrai, du haut de ces rochers ; mais j’ai dépouillé mon armure afin qu’elle ne me trahît point ; je suis arrivé à Miraflor, où doña Hélène elle-même me protège ; quelque passant aura pris mes armes ; les soldats, trompés par cette vue, l’auront sans doute ar rêté ; et enfin doña Hékène m’ayant nommé gouverneur de ce château, on m’a confié la garde de cet homme que l’on croit être Frédéric. Voilà la vérité. Et si désormais je puis vous voir et vous parler librement tous les jours, comment voulez-vous que je sois assez lâche pour m’éloigner ? Vous parlez de périls ; mais pour un amant le péril le plus grand, le plus grand de tous les maux, n’est-ce pas l’absence ?

l’infante.

Un jour ou l’autre on finirait par tout découvrir, et alors je redoute la vengeance de mon père.

roberto.

Il y aurait un moyen de sortir d’embarras.

l’infante.

Et lequel ?

roberto.

Confiez votre amour à une personne que vous chargerez de le dire au roi ; s’il prend bien la chose et qu’il consente à votre mariage, alors on pourra tout lui avouer ; que s’il se fâche et veut se venger, eh bien ! sa vengeance tombera sur un vilain lourdaud, et mon maître demeurera en sûreté. Ainsi quel que soit le résultat, favorable ou non, pour vous est l’avantage et le danger pour un autre.

l’infante.

Cela est fort bien imaginé.

frédéric.

Ainsi, voilà qui est convenu : vous m’aimerez, ou, pour mieux dire, vous feindrez d’aimer mon représentant en public, et vous donnerez des marques de ce sentiment.

l’infante.

Oui, et ce sera un bonheur pour moi, et je vous suis reconnaissante de m’y autoriser. C’est un horrible supplice que de cacher ainsi l’amour que l’on éprouve. Donc j’aimerai en public le prisonnier ; mais je l’aimerai parce qu’il portera le nom de Frédéric ; autrement ni je ne l’aimerais ni je ne pourrais le feindre.

frédéric.

Ainsi, pour lui ?…

l’infante.

Un amour feint.

frédéric.

Pour moi ?…

l’infante.

Un amour véritable.

frédéric.

Vous m’aimerez, dites-vous ?

l’infante.

Je n’aimerai que vous.

frédéric.

Long-temps ?

l’infante.

Toujours !

frédéric.

Vous me le promettez ?

l’infante.

Sur ma vie et sur mon âme.

frédéric.

Mais pourquoi feindre un autre amour ?

l’infante.

Pour vous sauver.

frédéric.

Songez-y, s’il devenait véritable, j’en mourrais.

l’infante.

Vous ne le craignez pas ?

frédéric.

J’espère que je n’éprouverai pas ce malheur.

l’infante.

Non ! je vous aime. Adieu !

frédéric.

Adieu !

l’infante.

Le ciel vous protège !

frédéric.

Qu’il veille sur vous !

l’infante.

Je vais feindre l’amour.

frédéric.

Et moi je reste pour me garder.



JOURNÉE TROISIÈME.


Scène I.

Le parc.
Entrent FRÉDÉRIC et HÉLÈNE.
hélène.

Eh bien ! que lui a-t-elle dit ?

frédéric.

Qu’elle était l’infante Marguerite, et qu’attirée vers lui par la renommée sans égale de son brillant courage, elle voulait, bravant la colère du roi, le rendre à la liberté ; qu’un cheval rapide l’attendait à la porte de la tour, qu’il n’avait qu’à s’élancer dessus, et qu’il serait bientôt hors de l’atteinte de ses ennemis. À quoi il a répondu qu’il était sensible à tant de bontés, qu’il en conserverait une éternelle reconnaissance ; mais qu’en entrant en prison il avait fait serment de ne point chercher à s’évader, et qu’il voulait tenir parole.

hélène.

Vous avez écouté avec attention ?

frédéric.

J’ai été présent à tout ce qui s’est dit, et j’ai tout entendu aussi distinctement que si j’avais parlé moi-même. Si elle vous rapporte la chose autrement, que votre altesse n’y ajoute aucune foi.

hélène.

Elle vient. Prenez garde d’être vu par elle.

frédéric.

Que le ciel fasse réussir votre projet !

Il sort.
Entrent L’INFANTE et SÉRAPHINE.
l’infante.

Oui, Séraphine, le roi mon père va venir à Mirador pour voir où en est ma tristesse, et j’attends de toi ce que je t’ai demandé, c’est-à-dire j’attends que tu instruises mon père de mes vrais sentimens ; cela est pour moi de la dernière importance

séraphine.

J’obéirai, madame. — Eussé-je dû mourir mille fois, jamais je n’aurais révélé votre secret, et à présent je ne le dis que parce que vous l’exigez. (À part.) Ma foi ! c’est assez beau d’avoir gardé le silence aussi long-temps !

Elle sort.
hélène.

Eh quoi ! vous êtes seule, ma cousine ?

l’infante.

Oui, charmante Hélène ; j’essaye de me distraire ainsi des ennuis qui m’accablent. L’amour est un philosophe dégoûté du monde qui cherche la solitude.

hélène.

Nous nous sommes promis de nous faire à la première occasion nos confidences mutuelles.

l’infante.

Eh bien ! si vous le permettez, je commencerai, car je n’en ai que pour un moment.

hélène.

Je vous écoute de toute mon attention.

l’infante.

Sur la renommée du prince Frédéric, j’ai éprouvé le plus vif désir de voir par moi-même s’il était traité dans sa prison d’une manière conforme à sa naissance et à son mérite ; c’est pour cela que je suis venue, et en entrant je me suis présentée comme la femme du gouverneur. Que vous dirai-je ? je l’ai trouvé si spirituel et si aimable, que cette visite a décidé de mon sort.

hélène.

Vous seule, ma cousine, lui avez trouvé cet esprit si rare, celle amabilité merveilleuse. À moi, au contraire, on m’a conté de lui des actes qui annoncent un rustre grossier.

l’infante.

On vous aura trompée : Frédéric est aussi remarquable par ses qualités morales et par ses manières que par son courage intrépide. C’est ainsi que la renommée le représente, et c’est ainsi qu’il m’est apparu, — pourvu toutefois que nous parlions toutes deux du véritable Frédéric.

hélène.

Je ne veux pas disputer avec vous ; car, de mon côté, je le confesse, je ne suis pas plus raisonnable. Vous aimez, vous, un homme mal appris ; moi, j’aime un homme d’une humble condition. Le gouverneur que vous avez vu…

l’infante, à part.

Ciel ! que viens-je d’entendre ?

hélène, à part.

Elle paraît toute étonnée.

l’infante, à part.

Je n’ai pu cacher mon émotion. — (Haut.) Achevez donc, je vous prie.

hélène.

Vous me méprisez, je le vois ; mais enfin cet amour, du moins, peut s’avouer. Eh bien ! oui, cet homme que j’ai vu arriver à mes pieds, malheureux et blessé, cet homme s’est emparé de mon cœur.

l’infante.

Taisez-vous, Hélène ; cela est honteux ; n’achevez pas !

hélène.

Moi, du moins, comme je vous le disais, je ne me suis pas oubliée au point d’aller le voir dans la prison, bien qu’il en soit le gouverneur. J’aime, mais je ne me suis point déclarée ; car je sais ce que je dois à ma réputation, je sais souffrir et me taire. Et bien que mon amour ne soit pas moins désintéressé que le vôtre, je ne me suis pas avancée jusqu’à lui offrir un cheval et de l’argent… Mais en voilà assez. Dieu vous garde !

Elle sort.
l’infante.

Comment ai-je pu ne pas me trahir ? Comment ai-je pu me commander de la prudence ? Comment ai-je pu rester maîtresse de moi-même, alors que tout mon cœur est ému, alors que toute mon âme est soulévée ?… Ô jalousie ! est-ce donc là ta puissance ?… Ton ombre seule a bouleversé tout mon être ; que serait-ce donc si je t’avais vue toi-même !


Entre FRÉDÉRIC.
frédéric.

J’attendais qu’Hélène se fût retirée pour me présenter devant vous, et vous rendre la vie que vous m’avez donnée. Je puis enfin vous voir.

l’infante.

Et moi aussi, perfide que vous êtes, je vous attendais avec une impatience au moins égale, pour vous dire ce que mon cœur pense de vous.


HÉLÈNE paraît derrière la tapisserie.
frédéric.

Que signifie ce langage ?

l’infante.

Votre trahison et votre outrage, ma douleur et ma jalousie.

hélène, à part.

Marguerite, désapprouvant mon amour, va sans doute en parler au gouverneur ; et je viens, agitée de mille craintes, pour voir ce qu’elle en pense. — Pendant leur entretien, arbres verdoyans, cachez-moi à tous les yeux.

frédéric.

J’ai beau réfléchir, madame, je ne vous comprends pas. — En quoi vous ai-je trahie ? En quoi ai-je excité votre jalousie ?… Croyez-le bien, si j’avais pu vous tromper et me rendre coupable envers vous d’une offense, j’en mourrais de remords.

l’infante.

Amant ingrat, indigne chevalier, telle était donc votre constance ? Vous pouviez, disiez-vous, rester ici sans être reconnu ; vous ne vouliez pas vous éloigner ?… C’était pour Hélène ! ce n’était pas pour moi !… Vous vouliez mourir, si vous étiez coupable ? Nul ne le fut plus que vous, et vous avez en effet mérité mille morts !

frédéric.

Oui, je mourrai ; car votre colère tue comme votre amour fait vivre. Mais comment vous ai-je offensée, moi qui vous adore ? Quel crime ai-je commis envers vous, moi qui ne respire que pour vous ?

l’infante.

Toutes ces protestations couvrent mal votre perfidie. N’aimez-vous pas ma cousine Hélène ? N’est-ce pas pour elle que vous êtes demeuré ? N’est-ce pas pour elle que vous cachez votre nom et votre rang, et que vous avez accepté d’humbles fonctions ?… Eh bien, soit ! mais du moins ne cherchez pas à me tromper davantage ; laissez-moi le plaisir de me plaindre et de vous exprimer mon opinion sur une trahison aussi indigne.

frédéric.

Un moment, de grâce ! un moment !… Veuillez m’écouter, et ensuite disposez de ma vie.

l’infante.

Croyez-vous donc pouvoir vous justifier ?

frédéric.

Oui certes, je le puis.

l’infante.

Plaise à Dieu !

hélène, à part.

Écoutons.

frédéric.

Moi, j’aime votre cousine ?… c’est pour elle que je suis demeuré ?… Comment avez-vous pu concevoir une telle pensée ?… Que la foudre du ciel m’écrase à l’instant, si de ma vie j’ai dit à Hélène un seul mot qui ne fût d’un serviteur courtois et reconnaissant ; mais voilà tout ! Et ne lui devais-je pas cela, quand je songe que grâce à elle j’ai vaincu une étoile ennemie ; quand je songe que grâce à elle je puis vous voir et vous parler sans que j’aie à redouter votre père !

hélène, à part.

Qu’entends-je ? c’est moi qui le sers dans ses amours ! Mais écoutons en silence pour savoir le reste.

frédéric.

Le soleil est-il jaloux d’un de ses rayons ? Le printemps est-il jaloux d’une fleur ? La mer est-elle jalouse d’un ruisseau ? Le ciel est-il jaloux d’une étoile ?… Comment donc redouteriez-vous Hélène, toute belle et toute charmante qu’elle est ?… Je vois en elle une étoile brillante, un ruisseau aimable, une fleur gracieuse, un rayon lumineux ; mais je vois en vous tous les charmes du soleil, du printemps, de la mer et du ciel !

hélène, à part.

La comparaison n’est pas trop flatteuse pour moi.

frédéric.

Allons, de grâce, rendez la vie à un infortuné ; revenons à notre projet, et continuons cette feinte jusqu’à ce que tant de peines soient finies.

l’infante.

Je le veux bien, tout en étant persuadée que vous me trompez. Mais quand on aime, on croit au mensonge comme à la vérité, et je ne vous aimerais pas si je ne vous croyais pas[34]. Eh bien ! je vais feindre d’aimer ce rustre, pendant que j’éprouverai une véritable jalousie de vos relations avec cette coquette.

hélène, à part.

Tous deux font à qui mieux mieux mon éloge.

l’infante.

Songez-y, Frédéric, je vous aime à tel point, que pour vous je renoncerais au trône de l’univers, et que j’aimerais mieux vivre avec vous dans une condition obscure. Mais, je vous en supplie, épargnez ma tendresse, et ne donnez point de prétexte à ma jalousie.

frédéric.

Vous m’avez offensé en doutant de moi.

l’infante.

Je souffrais, j’étais éperdue.

frédéric.

Vos soupçons étaient injustes.

l’infante.

Je n’en mourais pas moins.

frédéric.

Enfin, vous me pardonnez ?

l’infante.

Il le faut bien ; car avec vos paroles vous m’avez de nouveau enchantée.

frédéric.

Croire que je pouvais vous préférer Hélène !

l’infante.

Oh ! ne prononcez plus ce nom ; il me fait mal.

frédéric.

Eh bien ! il ne sortira plus de ma bouche.

l’infante.

Vous me le promettez ? Adieu.

Elle sort.
frédéric.

Ah ! combien l’on a raison de dire que l’amour est aveugle, puisqu’il méconnaît ceux qui lui sont le plus dévoués.


Entre HÉLÈNE.
hélène.

C’est bien, seigneur cavalier ! vous faites aux dames de belles promesses, et je suis curieuse de vous les voir tenir ! — Eh quoi !… gentilhomme ingrat, hôte sans cœur, la protection que je vous ai donnée, la bienveillance avec laquelle je vous ai traité, méritaient-elles de vous une pareille récompense ?

frédéric, à part.

Ô ciel ! n’avais-je pas assez de tant de peines et d’ennuis !

hélène.

Ah ! lorsque je vous ai accueilli pauvre et blessé, lorsque je vous ai accordé un asile où vous fussiez à l’abri des rigueurs du sort, je n’aurais pas cru qu’un jour vous dussiez payer mes bontés de tant d’ingratitude ? Pourquoi, après avoir excité ma compassion sous un nom emprunté, m’offensez-vous comme cavalier ? Pourquoi, aimant l’Infante, vous êtes-vous joué de moi ? Je sais qu’elle est tout à la fois le soleil et la mer, le printemps et le ciel ; mais ce n’était pas une raison pour vous conduire aussi mal à mon égard… Mais, sachez-le du moins, je me vengerai de ces indignités, je me vengerai avec éclat. Le roi saura ce qui se passe !

frédéric.

Charmante Hélène, daignez m’entendre.

hélène.

Comment osez-vous prononcer mon nom ?… Ne craignez-vous pas qu’il blesse votre bouche ? N’avez-vous pas peur d’affliger l’Infante ?

frédéric.

Daignez m’entendre, madame, au nom du ciel ; et ensuite ordonnez de moi ce que vous voudrez ; je mets à vos pieds mon honneur et ma vie ! — Je suis un cavalier de la suite du prince Frédéric, qui est venu ici dans l’espoir de se faire aimer de l’Infante. Lorsqu’il fut arrêté, je parvins à m’échapper, en laissant mes vêtemens dans la forêt ; vous pouvez vous le rappeler, le jour où je me présentai devant vous, ce fut le jour même de son arrestation. Depuis, vous l’avez remis en mes mains. Et permettez-moi de le dire, car cela vous prouve ma fidélité et mon dévouement, — bien qu’il soit mon maître et mon prince, je l’ai gardé avec un soin sans égal, veillant à ce qu’il ne s’éloignât jamais de moi. Enfin je l’ai gardé comme si moi-même j’eusse été avec lui prisonnier. — Si donc j’ai rempli mon devoir en serviteur loyal et fidèle, de quoi pouvez-vous vous plaindre ? et si je ne vous rends point d’hommage, ne suis-je pas pour vous un pauvre marchand ? — Quoi qu’il en soit, je vous ai voué au fond du cœur une reconnaissance infinie de vos bontés ; mais je ne puis pas vous la témoigner, lorsque je me donne pour le prince de Mantoue et l’adorateur de Marguerite.

hélène.

Ce que vous dites là ne saurait vous justifier ; car enfin vous avez manqué de franchise à mon égard, — vous m’avez trompée.

frédéric.

De grâce, Hélène…

hélène.

Ne m’appelez pas par mon nom.

frédéric.

Hélas ! voici le roi. Songez-y bien, si vous dites un mot, je suis mort.

hélène.

Eh bien ! que la jalousie tue celui qui fait mourir de jalousie !

frédéric.

Quoi ! décidément vous voulez ma perte ?

hélène.

Oui ! et ce n’est pas assez pour punir vos mépris.

frédéric.

Eh bien ! puisque rien ne peut toucher votre cœur, je vous laisse.

Il sort.
hélène.

Il a beau fuir, il ne m’échappera pas. On ne sait pas jusqu’où peut atteindre la vengeance d’une femme offensée.


Entrent LE ROI et SÉRAPHINE.
séraphine.

Daignez, sire, soulager ses ennuis.

le roi.

Je suis combattu entre deux sentimens contraires : je voudrais d’un côté punir le meurtrier de don Pèdre, et de l’autre je voudrais sauver ma fille.

hélène.

Sire, daignez m’écouter. Il est bon que vous connaissiez toute l’étendue de votre malheur, et quel est l’amour de l’Infante.

le roi.

Je sais, Hélène, tout ce que vous pourriez me dire, et ce que vous pourriez me dire n’aurait d’autre résultat que de m’affliger inutilement. Je sais que, sans égard pour moi, Marguerite s’est éprise d’un traître.

hélène.

Eh bien ! puisque vous savez tout, remédiez au mal. Il en est temps, ne tardez pas. Souffrirez-vous que l’infante épouse un traître, un meurtrier, alors que mon sang, — qui est aussi le vôtre, — demande vengeance ?

Elle sort.
le roi.

Grand Dieu ! quelle situation délicate ! comment satisfaire en même temps à Marguerite et à Hélène ? comment les contenter toutes deux, lorsque l’une désire sa vie, et que l’autre sollicite sa mort ?… Mais faisons droit à la demande de Marguerite ; ainsi l’exige le bien de mon royaume. Le ressentiment d’Hélène se calmera peu à peu.


Entre LE CAPITAINE.
le capitaine.

Apprenez, seigneur, ce qui se passe. L’infant Édouard de Sicile marche aujourd’hui sur Naples à la tête d’une nombreuse armée, et tout son royaume est prêt à le suivre. Il a juré de délivrer le prince son frère.

le roi.

La colère et l’orgueil m’engageraient à repousser la force par la force ; mail il vaut mieux suivre les inspirations de la prudence, et je vais te confier mes intentions. L’infante Marguerite, — ainsi l’a voulu le ciel pour mon malheur, — l’infante Marguerite aime Frédéric, et de là est venue cette profonde mélancolie qui a mis sa vie en danger… Je tiens cela d’Hélène et de Séraphine, et je le savais d’ailleurs d’une manière positive… Mon projet serait donc de les marier.

le capitaine.

Sire…

le roi.

Une seule chose m’arrête… c’est que je crains que l’on ne blâme ce mariage à cause de l’état déplorable dans lequel se trouve la raison du prince Frédéric.

le capitaine.

Désabusez-vous : ce sont ses chagrins qui l’ont mis en cet état. Une fois qu’il sera libre, il recouvrera aussitôt sa santé et son bon sens.

le roi.

Je l’espère.— Mais avant de lui donner la main de l’infante, il faut que je fasse une épreuve. Justement voici Marguerite.


Entre L’INFANTE.
le capitaine.

La princesse parait bien triste.

le roi.

Eh bien ! mon enfant, comment va ta mélancolie ?

l’infante.

Hélas ! toujours la même, et comme mes pleurs vous l’indiquent, la joie ne peut plus rentrer dans mon cœur.

le roi.

J’attends de toi un service.

l’infante.

Quel est-il ?

le roi.

Je crains beaucoup que cette prison ne soit fatale au prince Frédéric. Or, s’il venait à mourir, ne pourrait-on pas croire que j’ai moi-même hâté son trépas ? Que ne dirait-on pas en Sicile ?

l’infante.

Eh bien ! qu’ordonnez-vous ?

le roi.

Si tu le voyais aujourd’hui, cela lui rendrait un peu de courage ; sa santé et son esprit s’en trouveraient également bien. — Il faut que tu le voies. Je t’accompagnerai.

l’infante.

Je vous obéirai, sire.

le roi, à part.

Elle a bien vite consenti, et je vois dans ses yeux qu’elle en est toute heureuse. Mais ne nous trahissons pas.

l’infante, à part.

Une fois que mon père m’aura vue en présence de celui que j’aime, il ne pourra plus s’opposer à mon mariage.

Ils sortent.

Scène II.

Une chambre.
Entrent DES MUSICIENS, ROBERTO et BENITO, qui s’habille.
roberto.

Comment votre altesse a-t-elle passé la nuit ?

benito.

Fort bien. Jamais je n’ai fait un meilleur somme, ni dans un lit aussi beau et aussi riche. Aussi je croyais que je ne me réveillerais plus, et je me regardais comme le prince des loirs.

roberto, aux Musiciens.

Chantez pendant que son altesse s’habille.

un musicien.

Chantons cet air nouveau qui est si joli.

On chante.
benito.

Roberto ?

roberto.

Seigneur ?

benito.

Dites donc à ces braillards de laisser là leurs bêtises, et que s’ils veulent être bien aimables, ils me chanteront la fameuse chanson, vous savez…

Il chante.

Le joyeux Morales
S’en allait à cheval…

roberto.

C’est cette chanson que vous préférez ?

benito.

Je crois bien ; il n’y en a pas d’aussi jolie. C’était toujours ma chanson quand j’allais dans la forêt avec Antona.

roberto.

Se peut-il, que votre altesse ait si promptement oublié qui elle est ? — La douleur vous a ôté le jugement.

benito.

Ah ! c’est vrai ; j’oubliais que tout le monde m’appelle le prince… je ne sais plus comment.

roberto.

Frédéric de Sicile.

benito.

Ah ! oui, il faut bien que cela soit ainsi ; mais que je meure si je sais d’où m’est venue cette principauté[35]. Et encore on ne veut pas que je dise que je suis ici dans mon pays, et que d’ici, de derrière ces vitres et ces jalousies, je vois le village de Belflor !… Dieu me soit en aide ! cette maison là-bas n’est-ce pas celle d’Antonio et de Juana ? et cette petite par ici n’est-ce pas celle de Laurent et de Bartola ? et cette autre, un peu plus loin, n’est-ce pas celle de Ginès et de Marina ?… Ce petit drôle qui s’en va du côté de la taverne, n’est-ce pas celui qu’on dit fils du sacristain et de Llocia ? Je crois, ma foi, qu’on a raison… Eh ! mon Dieu, n’aperçois-je pas derrière le rideau de sa boutique le barbier qui racle sa guitare, si bien que je l’entends, et même que je distingue l’air des Folies[36] ?… Mais je suis bien bon de m’inquiéter de ça… je mange de bons poulets à mes repas, je dors dans un lit bien mou, je m’habille avec des habits de soie ; eh bien ! que m’importe d’où cela me vient ? Mensonge ou vérité, je ne suis pas si malheureux d’être Frère-le-Ric de Cécile[37].

roberto.

Laissons-le seul, car le voilà dans un accès de mélancolie. (Les Musiciens sortent.) Ah ça, qu’as tu donc, imbécile ? qu’as-tu donc à te plaindre ? N’es-tu pas mieux traité que tu ne le mérites ? Que te faut-il encore ?

benito.

Je m’y attendais : on vient de me laisser seul avec vous. Quand nous sommes seuls, alors il faut que je paye vos soumissions, vos révérences, vos complaisances et vos seigneuries. Quand je dîne et qu’il y a là du monde, vous me servez de la façon la plus respectueuse, et quand le monde est parti, vous me bourrez d’injures et de rebuffades.

roberto.

Ne devrais-tu pas être content du partage ? — Quand je te fais l’honneur de te servir une moitié de la journée, tu peux bien me servir à ton tour le reste du temps.

benito.

Oui, mais il n’est pas nécessaire pour ça que vous me donniez des coups. (À part.) Il me vient une bonne idée… je pourrai me venger de lui quand il y aura du monde.


Entre FRÉDÉRIC.
frédéric.

Noble et généreux prince, remerciez-moi pour la bonne nouvelle que je vous apporte. Le roi et l’infante vont venir vous voir ; vous êtes sauvé, vous allez être libre.

roberto.

Que votre altesse ne manque pas de dire toutes sortes de choses aimables à l’infante, comme à sa cousine et à sa future épouse.

benito.

Pas si sot ; je sais ce que j’ai à dire et comment je dois me conduire avec vous. Vous me payerez tous vos vilains tours aussitôt qu’il y aura du monde.

frédéric.

Les voici. (À part.) Ô amour ! toi qui inspires toutes les ruses et toutes les tromperies des amans, fais réussir la nôtre. Puisse le roi être persuadé que la divine Marguerite est éprise de ce prince !


Entrent LE ROI, L’INFANTE et LE CAPITAINE.
le roi.

Votre altesse est sans doute étonnée de cette visite.

benito.

Pas du tout, car Roberto m’avait déjà averti.

le roi.

Vous devez voir dans ma démarche une preuve de mon estime toute particulière et des sentimens de la princesse qui m’accompagne.

benito.

Je baise les mains de la princesse.

l’infante.

Le roi mon seigneur, sachant jusqu’où allait votre mélancolie, a voulu venir. Cela vous prouve qu’il n’a plus désormais aucun ressentiment, et que vous n’avez rien à craindre ; — car, par une loi pleine de sagesse et d’humanité, le prisonnier est sauvé qui a vu le visage du roi.

le roi, à part.

Pauvre infante !… Elle a beaucoup de peine à cacher son amour.

benito.

Je savais bien, sire, qu’un pauvre prisonnier n’avait rien à craindre de vous. (À part.) Je ne me croyais pas autant d’esprit.

roberto, à part.

Eh bien ! ne voilà-t-il pas que cet animal s’avise de parler raisonnablement ?

frédéric, à part.

Je suis tout surpris de l’entendre. — Est-ce le rang où il est monté qui a ainsi corrigé le naturel ?

benito.

Allons, qu’on nous donne des sièges !

roberto.

Ils sont là sous la main de votre altesse.

benito.

Vous allez me payer, l’ami, tout l’arriéré. — (Il s’assied. Haut.) Maintenant je suis bien ; et puisqu’il reste quelques sièges, votre majesté peut s’asseoir.

frédéric, à part.

Le voilà revenu à son caractère.

le roi, bas, à l’Infante.

Et à cette heure, infante, que me direz-vous d’un si aimable soupirant ?

l’infante.

Mais, mon père, est-ce que vous ne le trouvez pas fort bien ? — Comme il avait bon air et bonne grâce ! et avec quelle sensibilité il vous a dit de vous asseoir ! Non, vraiment, quoiqu’on le vante beaucoup, à mon gré on ne le vante pas encore assez.

le roi.

Comment ! vous trouvez quelque mérite à un pareil homme ? — En vérité, plutôt encore que de l’amour, c’est de la folie de ne pas voir à quel point cet homme est vulgaire et grossier.

l’infante.

Hélas ! amour ou folie n’est-ce pas la même chose ?

le roi, à Benito.

Ce que je désire le plus en ce moment, c’est de me consulter avec votre altesse, à l’occasion de l’arrivée de votre frère.

benito.

Mon frère !.. Jamais de ma vie je n’ai eu de frère.

roberto.

On vous dit que l’infant votre frère marche sur Naples. Est-ce que cela n’est pas clair ?

benito.

Eh bien ! je ne connaissais pas mon frère l’infant. (Tirant l’oreille de Roberto.) C’est votre faute, drôle ; vous m’avez caché jusqu’à ce jour que j’eusse un frère. Vous me le payerez. Qu’est ceci ?

le roi, bas, à l’Infante.

Et en ce moment, que dites-vous ? Sont-ce là les manières d’un prince, d’un gentilhomme ?

l’infante.

Il m’a semblé d’une vivacité charmante. Il m’aurait fait rire !

le roi.

Ma foi ! si de telles façons d’agir vous plaisent, vous n’êtes pas difficile.

l’infante.

Il avait une colère adorable.

le roi.

Eh bien ! ma fille, je ne juge pas du tout cet homme comme vous le jugez ; et plutôt que de vous donner à lui, j’aimerais mieux voir mon royaume à feu et à sang.

l’infante.

Eh bien ! dût mon père et mon roi me blâmer de m’obstiner dans ma folle passion, je ne serai heureuse que lorsque j’aurai épousé Frédéric, qui m’écoute en ce moment.

frédéric, à part.

Cette réponse me ranime.

benito.

Votre majesté en est témoin, ma cousine m’aime à la rage.

l’infante, au roi.

Que peut-on trouver à redire à cet amour ? Le prince Frédéric n’est-il pas de noble race ? n’est-il pas héritier présomptif du royaume de Sicile ?

le roi.

Sans doute ; mais quel homme !

l’infante.

Tout le monde l’estime pour son courage et son esprit.

benito.

Oh ! oui, décidément, ma cousine m’aime à la rage.

le roi.

Je suis confondu !… Penser que cet homme est prince, et que ma fille lui trouve du mérite !

l’infante.

Oui, mon père ; et je ferais l’éloge du prince Frédéric, s’il ne nous écoutait en ce moment.


Entre LE CAPITAINE.
le capitaine.

Sire, un ambassadeur du roi de Sicile attend que vous lui permettiez de se présenter devant vous.

roberto.

Allons, tout va se découvrir.

l’infante.

Cet ambassadeur vient à point pour vous dire la vérité.

le roi.

Il sera bien que je descende pour le recevoir. (À Benito.) Votre altesse peut rentrer chez elle.

benito.

Ma foi ! je n’en suis pas fâché ; je n’ai pas dîné, et j’ai faim. Je vais manger un bon pâté de veau froid, une demi douzaine de perdreaux, deux ou trois lapins, une trentaine de pommes de terre, un fromage et douze poires ; car on ne jeûne pas quand on est Albéric de Cécile[38]. Je vais m’en donner comme un bienheureux ; je m’en mettrai jusqu’aux dents.

Il sort.
frédéric.

Je me retire, de crainte que l’ambassadeur ne me fasse reconnaître.

Il sort.

Scène III.

La cour du château.
Entrent ANTONA et DES VILLAGEOIS.
antona.

Pardieu ! il faut que nous voyons comment les emballeurs[39] parlent aux rois, et ça ne sera pas une des choses les moins curieuses que nous aurons vues à Belflor.


Entrent LE ROI, L’INFANTE et ROBERTO.
roberto.

Sire, si mes yeux ne me trompent, l’ambassadeur qui vient, c’est l’infant lui-même.

le roi.

Oh ! si cela devait enfin terminer tous mes ennuis !

l’infante.

Puisse-t-il mettre un terme à mes peines !


Entre L’INFANT.
l’infant.

Sire, que votre majesté me permette de baiser sa main.

le roi.

Oh ! nous vous connaissons ; et je ne souffrirai jamais cela de votre altesse.

l’infante.

Ce serait étrange.

l’infant.

J’ai voulu être moi-même mon ambassadeur. Bien que ma personne soit connue, je réclame leurs privilèges ; — et après vous avoir remercié de votre bienveillant accueil, je commence mon message. — Le prince Frédéric est entré seul dans la lice où il devait combattre don Pèdre Sforze ; il s’est mesuré avec lui corps à corps et lance contre lance ; et s’il lui a donné la mort, ç’a été de la façon la plus loyale : il ne mérite donc pas le traitement que vous lui avez infligé comme s’il s’était conduit traîtreusement. On dit que vous vous proposez de lui ôter la vie ; je ne puis le croire : cela serait indigne de votre rang, indigne de votre caractère, indigne de vous. Rendez-moi donc mon frère, ou je soutiendrai dans le champ que vous êtes un roi perfide, puisque vous faites périr mon frère, vous qui lui deviez votre protection par cela seul que, se fiant à votre loyauté, il se présentait à un tournoi donné dans vos états.

le roi.

Un roi qui donne un tournoi doit, je l’avoue, laisser à tous le champ libre ; mais il ne doit pas souffrir qu’un aventurier inconnu, ou qu’un prince qui ne se fait pas connaître, joue de l’épée sérieusement en sa présence. Ceci vous explique l’emprisonnement du prince Frédéric. — Quant à ce qu’on vous a dit que je voulais lui ôter la vie, et même peut-être que je la lui avais déjà ôtée, je n’ai qu’une réponse à vous faire, et la meilleure à mon avis, — c’est de vous le montrer vivant. (Appelant.) Holà ! gardes, qu’on dise sur-le-champ au gouverneur de venir ici avec le prisonnier (À l’Infant. ) Songez-y donc ; je ne pouvais pas vouloir la mort du prince Frédéric, alors que, pour tout arranger, je m’occupais de son mariage avec Marguerite ; et ce mariage, je l’eusse fait, vive Dieu ! si je ne considérais que le prince n’a pas toute la prudence nécessaire.

l’infant.

On m’avait trompé, sire ; je vous en demande pardon, et m’en remets à votre bienveillance.


Entre HÉLÈNE.
hélène.

Si les larmes d’une femme peuvent toucher le cœur des hommes et des rois, je viens, sire, à vos pieds en pleurant. Comment, sire, pouvez-vous manquer à la justice à tel point que vous récompensiez un homme qui m’a tant offensée ? Comment mettez-vous Frédéric en liberté, et lui donnez-vous la main de l’infante, sans considérer que j’ai contre lui de si graves motifs de plainte ?… Sire, j’ai perdu mon frère ; donnez moi un époux qui le remplace, qui défende mon honneur comme il l’eût défendu lui-même, et alors vous pourrez faire grâce au prince. Tout ce que je vous demande, sire, pour dédommagement de tous mes malheurs, c’est que vous traitiez pour moi d’une alliance avec le duc de Mantoue, qui est, à votre insu, dans votre royaume, et alors je me tiendrai pour satisfaite et honorée.

le roi.

Le duc de Mantoue ici ?… En ce cas, je vous promets de vous le donner pour époux aujourd’hui même.

hélène.

Ah ! sire, quelle reconnaissance ! (À part.) Ô amour ! me voilà bien vengée de la jalousie que me causait Marguerite ! J’ai remporté la victoire en trompant qui me trompait.

le roi.

Tenez, voilà le prisonnier qui parait sur le rempart avec le gouverneur. Vous voyez que je ne l’ai pas tué.

On voit paraître sur le rempart FRÉDÉRIC et BENITO.
l’infant.

Ah ! mon cher frère !

l’infante, à part.

L’infant les voyant tous deux et ne sachant lequel est le prisonnier, lequel est le gouverneur, parle au premier comme à son frère.

hélène, à part.

Dieu me soit en aide !… Que vois-je ?… Quoi ! c’est là le prisonnier ? Je jurerais que je le connais.

antona.

Regardez donc, Berto, Belardo ; ou je suis ivre, ou ce prince-là n’est autre chose que Benito.

un villageois.

Ne parle pas tant, Antona ; regarde et tais-toi.

antona.

Pourquoi donc lui parle-t-on comme ça, puisque je le connais ?

l’infant.

Ô mon frère ! combien tes malheurs n’ont-ils pas fait verser de larmes à mes yeux ! Mais enfin je te vois, il suffit, tout est oublié.

benito.

Quoi ! c’est là l’infant mon frère ? En ce cas, il n’est pas bien malin mon frère l’infant. — Mais voilà Antona.

frédéric.

Tais-toi.

benito.

Tiens ! les princes ne peuvent donc pas parler à Antona.

frédéric.

Silence !

benito.

C’est bon ! ne criez pas si fort.

antona.

Berto, remarques-tu ce qui se passe ? — L’infant en personne est venu, et il parle à Benito comme s’il était le prince son frère.

frédéric, à part.

Je vais répondre pour tous deux de manière à prolonger leur erreur. (Haut.) Je suis si troublé, infant, que ne puis vous exprimer ma joie. Je me contente de sentir et de me taire.

Il s’éloigne avec Benito.
l’infant.

Maintenant, sire, permettez-moi de vous demander pourquoi vous renoncez à lui donner la main de l’infante Marguerite.

le roi.

Parce que je le crois incapable de gouverner.

l’infant.

C’est lui faire injure… Ou a toujours reconnu en lui une intelligence supérieure.

le roi.

N’est-ce donc pas celui à qui vous avez parlé ?

l’infant.

Oui, sire, c’est celui-là même.

le roi.

Eh bien ! celui-là même a un langage et des manières d’une telle rusticité, qu’on le prendrait pour un paysan brutal plutôt que pour un gentilhomme.

l’infant.

Alors il faut que la prison lui ait ôté le jugement, car il n’y avait pas de cavalier plus distingué dans toute l’Italie.

l’infante, à part.

Que se disent-ils donc là a voix basse ?

le roi.

Vos incertitudes vont cesser. (À un Domestique.) Qu’on amène à l’instant le prince Frédéric. (Le Domestique sort.) Et si vous lui trouvez la moindre raison, je m’engage de nouveau à lui donner ma fille.

hélène, à part.

Pour que je puisse le croire, il faut qu’il l’appelle son frère en le voyant de plus près.


LE DOMESTIQUE rentre avec BENITO.
benito.

Je suis comme un cheval qu’on veut vendre au marché ; tous m’essayent l’un après l’autre. (Au Roi.) Eh bien ! qu’y a-t-il pour le service de votre majesté ? Dites, est-ce celui-là qui est mon frère ?

le roi, à part.

Il s’est déjà trahi. (À l’Infant.) Eh bien ! vous avais-je trompé ?

l’infant.

Certes, oui, puisque au lieu du prince Frédéric vous faites amener un homme qui n’a pas avec lui la moindre ressemblance.

le roi.

Ce n’est donc pas celui-là que vous voyiez tout-à-l’heure et que vous avez reconnu pour votre frère ?

l’infant.

Non, assurément.

le roi.

Quelle bizarre confusion !

hélène.

Cet homme, sire, est un vilain que je connais.

le roi.

Eh bien ! je n’ai pas d’autre prisonnier, et je ne puis vous rendre votre frère.

l’infant.

Cependant je l’ai vu.

le roi.

Qu’on appelle le gouverneur.

hélène.

Songez bien, sire, à le traiter avec distinction, car le gouveineur n’est autre que le grand duc de Mantoue.

le roi.

Encore quelque mystère.


Entre LE CAPITAINE.
le capitaine.

Le voici.


Entre FRÉDÉRIC.
l’infant.

Voilà bien Frédéric !

frédéric.

Ô mon frère ! avec quel bonheur, avec quelle reconnaissance je vous presse dans mes bras ! (Au Roi.) C’est moi, sire, qui suis le prince Frédéric, qui, épris de l’infante Marguerite, et sans craindre vos menaces, ai voulu rester ici comme le geôlier de moi-même ; heureux si vous daignez tenir votre parole.

hélène.

Vous ne le pouvez pas, sire ; car vous m’avez promis, à moi, de me marier aujourd’hui au prince de Mantoue.

l’infante.

Ce prince, Hélène, est Frédéric de Sicile.

le roi.

Puisqu’il n’est pas le duc de Mantoue, donnez-lui la main, Marguerite.

l’infante.

Ma main et mon âme !

frédéric.

Quel bonheur est le mien !

hélène, à part.

Hélas ! tout espoir est perdu.

le roi.

Soyez sans crainte, Hélène ; je me charge de vous trouver un époux digne de votre mérite.

benito.

Et à moi, en sortant de tout ça, est-ce qu’on ne me donnera rien pour avoir été le tambourin qui vous a tous mis en danse ?

frédéric.

Toi, tu auras deux mille écus et Antona. — Et sur ce finit la comédie du Geôlier de soi-même. Pardonnez-en tous les défauts.


FIN DU GEÔLIER DE SOI-MÊME.
  1. Littéralement : Comme celui qui a une douleur qu’il veut tenir secrète, quand il en sent les atteintes, il feint une autre douleur pour pouvoir se plaindre de la véritable.
  2. Le sarao était une espèce de bal particulier à l’Espagne, et dont il serait difficile de donner une juste idée sans entrer dans de longs détails. Quand nous publierons la traduction des comédies de Moreto, nos lecteurs verront, à la pièce intitulée Dédain contre dédain (El desden con el desden), ce qu’était un sarao.
  3. Tan ayroso, y bien dispuesto
    En un cavallo, que un alma
    Informaba á entrambos cuerpos

  4. Tout à l’heure le château d’Hélène s’appelait Miraflor. Maintenant il s’appelle Belflor. Il paraît que ce château avait deux noms.
  5. Il y a ici un jeu de mots intraduisible sur pesame (j’ai du regret), un compliment de condoléance, et pesete (ayez du regret), espèce de malédiction. « Pourquoi veux-tu que je donne le pesame à la comtesse, puisque je ne regrette rien ?… Je lui donnerai le pesete. »
  6. Que son fregonas con ella
    Doña Venus y doña Ana.

    On voit que Benito a entendu doña Anne pour Diane.

  7. Que el murió en su presuncion
    Como el otro fanfarron.

    Benito a entendu fanfaron pour Phaéton.

  8. Au lieu de Sardanapale, Benito a entendu sardina de palo (une sardine de bois).
  9. Au lieu de Matusalèn, Benito, qui a l’oreille très-dure, a entendu Mathéo de Allen.
  10. Nous avons remarqué, dans la notice qui précède le premier volume de Calderon qu’il emploie souvent un langage qui semblerait annoncer la croyance au fatalisme. Mais ce passage surtout semble mériter qu’on le cite :

    Que importa (ay de mí), que importa
    Que él proponga y determine,
    Si ay estrellas que dispongan
    Y executen ? Porque ellas
    Quanto el hombre escribe, borran.
    Que es nuestra vida sombra
    De aquella luz que influye poderosa.

  11. No fue temor, fue piadosa
    Atencion al ser christiano.

  12. Señor desnudo.

    Il parait que l’auteur qui jouait le rôle de Frédéric n’entrait sur la scène que très incomplètement vêtu.

  13. Todos sois hijos del sol.
  14. Littéralement : « Car le coupable est plus en sûreté là où il a commis le délit. »
  15. Dans le texte Calderon a donné à cette pensée des développemens qu’il nous a été impossible de reproduire, tant ils ont de subtilité.
  16. Por cierto el señor don Tal
    Es bueno para Fiscal.

  17. Luneta,
    Atala alla de la Sonsoneta.

    Ces deux vers forment le refrain de la chanson. D’après le mot luneta (orchestre d’une salle de spectacle), nous soupçonnons qu’ils étaient adressés au public ; mais il nous a été impossible de comprendre le sens du dernier vers, et nous le recommandons à de plus habiles.

  18. En quando serà aquel dia
    Que los dos matrimuñemos

  19. Dans le texte Benito dit mochacha’’(jeune fille], au lieu de niña, qui signifie tout à la fois la prunelle de l’œil et une jeune fille.
  20. Moger soy, y sabré hacer
    Una cara cada dia.

  21. Este papahigo de oro
    Y las polaynas de cuero !

    Le papahigo est une espèce de bonnet assez semblable à certaines casquettes de voyage qui ont de chaque côté un morceau d’étoffe pour couvrir les oreilles.

  22. Y andate como Longinos,
    De dia por los caminos
    De noché por los xarales.

    Les deux derniers vers sont tirés d’une ancienne romance espagnole. Dans le premier, Benito probablement dit Longinos au lieu de Calaynos, dont les aventures étaient populaires en Espagne.

  23. Ay señores, que me llevan.

    Très-probablement ces paroles de Benito s’adressaient au public.

  24. Au lieu de dire Federico de Sicilia, Benito dit dans l’espagnol Enrique de Cecina, littéralement, Henri de Salaison.
  25. Le roi vient de dire de la fortune qu’elle est dudosa, légère, inconstante ; et Benito entend golosa, gourmande.
  26. Que no soy, aunque lo piensen,
    El principe Simborrico
    De Sencilla.

  27. Que no conosco à Cecilla, etc., etc.

  28. Ceux de nos lecteurs qui ont lu l’Éneide de Virgile connaissent le fidèle Achates.
  29. Dans l’espagnol Benito au lieu du mot Acates, entend acicates, lequel mot signifie des éperons arabes.
  30. Ici, au lieu de dire Federico de Sicilia, Benito dit frayle rico de Cecina, ce qui signifie, moine riche de Salaison.
  31. Il y a dans ce passage une plaisanterie qu’il nous a été impossible ce reproduire. Les villageois disent qu’une bête féroce (una fiera) a mangé Benito. Antona au lieu du mot fiera entend le mot fea, qui signifie laide.
  32. Nous étions tout à l’heure dans le parc, et tout-à-coup nous voilà transportés dans l’intérieur du château. Comme Frédéric et Roberto n’ont pas quitté le théâtre, il nous est impossible d’indiquer un changement de scène. Mais enfin le lecteur est averti, nous sommes maintenant dans le château de Belflor, ou de Miraflor.
  33. Mot à mot : Et afin que vous sachiez l’aventure la plus curieuse que l’esprit ingénieux trace et met agréablement en action dans les comédies espagnoles, etc. etc.
  34. Nous avons traduit exactement :

    Con saber que me engañas
    Quiero creerte al fin, porque no fuera
    Amante quien lisonjas no creyera, etc., etc., etc.

  35. .....Esta principia
    Me ha venido no se como.

    Le mot principia n’est pas espagnol. Principauté se dit principado.

  36. Les Folies d’Espagne
  37. No me va muy mas con ser
    Fray Francisco de Sencilla.

  38. Que con esto freno rico
    De cocina bien lo passa.

    Freno rico de cecina veut dire frein riche de salaison.

  39. Dans le texte Antona dit baxadores (qui n’est pas espagnol), au lieu de ambaxadores, ambassadeurs.