Le Grand voyage du pays des Hurons/02/01

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Librairie Tross (p. 209-214).

Des Oyseaux.

Chapitre I.


P remierement, ie commencemy par l’Oyseau le plus beau, le plus rare et plus petit qui soit, peut-estre, au monde, qui est le Vicilin, ou Oy-297||seau-mousche, que les Indiens appellent en leur langue Ressuscité. Cet oyseau, en corps, n’est pas plus gros qu’vn grillon, il a le bec long et tres-delié, de la grosseur de la poincte d’vne aiguille, et ses cuisses et ses pieds aussi menus que la ligne d’vne escriture : l’on a autrefois pezé son nid auec les oyseaux, et trouué qu’il ne peze d’auantage de vingt-quatre grains ; il se nourrist de la rosée et de l’odeur des fleurs sans se poser sur icelles ; mais seulement en voltigeant par dessus. Sa plume est aussi deliée que duuet, et est tres-plaisante et belle à voir pour la diuersité de ses couleurs. Cet oyseau (à ce qu’on dit) se meurt, ou pour mieux dire s’endort, au mois d’Octobre, demeurant attaché à quelque petite branchette d’arbre par les pieds, et se reueille au mois d’Auril, que les fleurs sont en abondance, et quelques-fois plus tard, et pour cette cause est appellé en langue Mexicaine, Ressuscité. Il en vient quantité en nostre iardin de Kebec, lors que les fleurs et les poids y sont fleuris, et prenois plaisir de les y voir : mais ils vont si viste, que n’estoit qu’on en peut par-fois approcher de fort prez, à peine les prendroit-on pour oyseaux ; ains pour papillons : mais298||y prenant garde de prez, on les discerne et recognoist-on à leur bec, à leurs aisles, plumes, et à tout le reste de leur petit corps bien formé. Ils sont fort difficiles à prendre, à cause de leur petitesse, et pour n’auoir aucun repos : mais quand on les veut auoir, il se faut approcher des fleurs et se tenir coy, auec vne longue poignée de verges, de laquelle il les faut frapper, si on peut, et c’est l’inuention et la manière la plus aysée pour les prendre. Nos Religieux en auoient vn en vie enfermé dans vn coffre ; mais il ne faisoit que bourdonner là dedans , et quelques iours après il mourut, n’y ayant moyen aucun d’en pouuoir nourrir ny conseruer long-temps en vie.

Il venoit aussi quantité de Chardonnerets manger les semences et graines de nostre iardin, leur chant me sembloit plus doux et agreable que de ceux d’icy, et mesme leur plumage plus beau et beaucoup mieux doré, ce qui me donnoit la curiosité de les contempler souuent, et louer Dieu en leur beauté et doux ramage. Il y a vne autre espece d’oyseau vn peu plus gros qu’vn Moyneau, qui a le plumage entièrement blanc, et le chant duquel299||n’est point à mespriser, il se nourrist aussi en cage comme le Chardonneret. Les Gays que nous auons veus aux Hurons, qu’ils appellent Tintian, sont plus petits presque de la moitié, que ceux que nous auons par deçà, et d’vn plumage aussi beaucoup plus beau.

Ils ont aussi des oyseaux de plumage entierement rouge ou incarnat, qu’ils appellent Stinondoa, et d’autres qui n’ont que le col et la teste rouge et incarnat, et tout le reste d’vn tres beau blanc et noir : ils sont de la grosseur d’vn Merle, et se nomment Oiiaiera : vn Sauuage m’en donna vn en vie vn peu auant que partir, mais il n’y a eu moyen de l’apporter icy, non plus que quatre autres d’vne autre espèce, et vn peu plus grossets, lesquels auoient par tout sous le ventre, sous la gorge et sous les aisles, des Soleils bien faits de diuerses couleurs, et le reste du corps estoit d’vn jaune, meslé de gris : i’eusse bien désiré d’en pouuoir apporter en vie par deçà, pour la beauté et rareté que i’y trouuois ; mais il n’y auoit aucun moyen, pour le tres-penible et long chemin qu’il y a des Hurons en Canada, et de Canada en France. I’y vis aussi plusieurs autres espèces d’oyseaux300||qu’il me semble n’auoir point veus ailleurs : mais comme ie ne me suis point informé des noms, et que la chose en soy est d’assez petite consequence, ie me contente d’admirer et louer Dieu, qu’en toute contrée il y a quelque chose de particulier qui ne se trouue point en d’autres.

Il y a encore quantité d’Aigles, qu’ils appellent en leur langue Sondaqua ; elles font leurs nids ordinairement sur le bord des eauës, ou de quelque precipice, tout au coupeau des plus hauts arbres ou rochers : desorte qu’elles sont fort difficiles à auoir et à desnicher : nous en desnichasmes neantmoins plusieurs nids, mais nous n’y trouvasmes en aucun plus d’vn ou deux Aiglons : i’en pensois nourrir quelques-vns lors que nous estions sur le chemin des Hurons à Kebec : mais tant pour estre trop lourds à porter, que pour ne pouuoir fournir au poisson qu’il leur falloit (n’ayant autre chose à leur donner) nous en fismes chaudiere, et les trouuasmes tres-bons : car ils estoient encores ieunes et tendres. Mes Sauuages me vouloient aussi desnicher des oyseaux de proye, qu’ils appellent Ahoüatantaque, d’vn nid qui estoit sur vn grand arbre assez proche301||de la riuiere, desquels ils faisoient grand estat, mais ie les en remerciay, et ne voulus point qu’ils en prissent la peine ; neantmoins ie m’en suis repenty du depuis, car il pouuoit estre que ce fussent Vautours. En quelque contrée, et particulierement du costé des Petuneux, il y a des Coqs et poulles d’Inde, qu’ils appellent Ondettontaque, elles ne sont point domestiques, ains errantes et champestres. Le gendre du grand Capitaine de nostre bourg en poursuyuit vne fort long temps proche de nostre Cabane, mais il ne la peut attraper : car bien que ces poulles d’Inde soient lourdes et massiues, elles volent et se sauuent neantmoins bien d’arbre en arbre, et par ce moyen euitent la flesche. Si les Sauuages se vouloient donner la peine d’en nourrir de ieunes ils les rendroient domestiques aussi bien qu’icy, comme aussi des Outardes ou Oyes sauuages, qu’ils appellent Ahonque, car il y en a quantité dans le pays : mais ils ne veulent nourrir que des Chiens, et par-fois des ieunes Ours, desquels ils font des festins d’importance, car la chair en est fort bonne, et pour en cheuir les engraissent sans incommodité et danger d’auoir de leurs dents ou de leurs302||pattes, ils les enferment au milieu de leurs Cabanes, dans vne petite tour ronde, faite auec des paux fichez en terre, et là leur donnent à manger des restes des Sagamitez.

En la saison les champs sont tous couuerts de Gruës ou Tochingo, qui viennent manger leurs bleds quand ils les sèment, et quand ils sont prests à moissonner : de mesme en font les Outardes et les Corbeaux, qu’ils appellent Oraquan, ils nous en faisoient par-fois de grandes plaintes, et nous demandoient le moyen d’y remédier : mais c’estoit vne chose bien difficile à faire : ils tuent de ces Grues et Outardes auec leurs flesches, mais ils rencontrent peu souuent, pource que si ces gros oyseaux n’ont les aisles rompues, ou ne sont frappez à la mort, ils emportent aysement la flesche dans la playe, et guerissent auec le temps, ainsi que nos Religieux de Canada l’ont veu par experience d’vne Grüe prise à Kebec, qui auait esté frappée d’vne flesche Huronne trois cens lieues au delà, et trouuerent sur sa croupe la playe guerie, et le bout de la flesche auec sa pierre, enfermée dedans Ils en prennent aussi quelque-fois auec des collets ; mais pour303||des Corbeaux s’ils en tuent, ils n’en mangent point la chair, bien que si i’eusse peu en attraper moy-mesme, ie n’eusse faict aucune difficulté d’en manger.

Ils ont des Perdrix blanches et grises, nommées Acoissan, et vne infinité de Tourterelles, qu’ils appellent Orittey, qui se nourrissent en partie de glands, qu’elles auallent facilement entiers, et en partie d’autre chose. Il y a aussi quantité de canards, appelés Taron, et de toutes autres sortes et especes de gibiers, que l’on a en Canada : mais pour des Cignes, qu’ils appellent Horhey, il y en a principalement vers les Epicerinys. Les Mousquites et Maringuins, que nous appelions icy cousins, et nos Hurons Yachiey, à cause que leur païs est découuert, et pour la pluspart deserté, il y en a peu parla campagne : mais par les forests, principalement dans les Sapiniers, il y en a en Esté presqu’autant qu’en la Prouince de Canada, engendrez de la pourriture et poussière des bois tombez dés long temps.

Nos Sauuages ont aussi assez souuent dans leur pays des oyseaux de proye, Aigles, Ducs, Faucons, Tiercelets, Espreuiers et autres : mais ils n’ont l’vsage ny304||l’industrie de les dresser, et par ainsi perdent beaucoup de bon gibier, n’ayans autre moyen de l’auoir qu’auec l’arc ou la flesche. Mais la plus grande abondance se retrouue en de certaines Isles dans la mer douce, où il y en a telle quantité : sçauoir, de Canards, Margaux, Roquettes, Outardes, Mauues, Cormorans, et autres, que c’est chose merueilleuse.