Le Jardin des dieux/Le Golfe entre les palmes/Africa

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 170-173).



AFRICA



Ma terre qui, sous tes arbres
Aux feuillages assombris,
Recèles de divins marbres
Et d’héroïques débris,

Toi qui, lorsqu’on te déchire,
Rends à l’azur radieux
La démence du satyre
Et la majesté des dieux,


Qui, sous tes herbes piquantes
Couchant les arcs de César,
Fais courir sur les acanthes
Le frisson bleu des lézards,

Et dans tes golfes promènes
Sous les eaux qu’ils font frémir
L’or des galères romaines
Et le butin des émirs,

Où je puis suivre à la trace
Les vétérans redoutés
De quel fier regard j’embrasse
Ta tranquille immensité !

Là, le chacal qui rôdaille
Dans un temple ruiné
Flaire au bord d’une médaille
Le profil de Séléné.


La mer aux belles tuniques
Se souvient qu’un soir lointain
Elle a vu près de Monique
Rêver le jeune Augustin.

Et se remémore encore
Près du môle qu’elle bat
Le son des flûtes sonores
Et des rames de Juba.

Ô suave, ô maternelle,
Dans l’azur vous souriez
Parmi l’odeur éternelle
Des myrtes et des lauriers !

Sur le golfe des corsaires
Vénus qui s’efface au loin
Est comme un grain de rosaire
Frotté d’ambre et de benjoin.


Et, dans l’aurore où s’étire
Son réveil dans les varechs,
Je sens bien que le satyre
Dansant des poèmes grecs,

Du rocher où se cramponne
Sa rousseur qui s’embrasa
Écoute des tours d’Hippone
Au clocher de Tipaza

L’angelus qui se balance
D’un battant limpide et pur
Envahir tout le silence
Et combler l’immense azur !