Le Jardin des dieux/Le Golfe entre les palmes/L’Orage

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Le Jardin des dieuxEugène Fasquelle (p. 133-136).
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L’ORAGE



Oh ! ces puissants éclairs et les gouttes brûlantes
De cette pluie obscure au milieu de la nuit !…
Il parut tout à coup que les tristes Atlantes
Renonçaient dans un cri de révolte et d’ennui.

Les jardins révélés parmi les fulgurances
M’apparurent frappés d’une étrange stupeur
Et je pensais alors aux premières souffrances
Sous leur masque béant ruisselant de sueur.


Ô sombre éclat du monde aux temps de la Genèse,
Bien avant que naquit la fable, bien avant
Que, lourde d’avenir, superbe et pleine d’aise,
L’arche du vieux Noë s’animât dans le vent !

Sous l’averse puissante où se trempait la terre,
La course, la ruée et les trépignements
Remuaient le feuillage et les eaux solitaires
Et la foudre panique embrasait l’air fumant.

Les jardins flagellés reluisaient de prunelles,
Les bêtes que la haine autrefois partageait,
Sentant s’appesantir les forces éternelles,
Se pressaient en soufflant sous l’éclair au long jet.

On eût dit dans ce glauque et trouble crépuscule
Que les bontés luttaient avec le mal naissant
Et j’entendais craquer l’ossature d’Hercule
Et le bec du vautour sur Prométhée en sang.


Les héros s’acharnaient au fond des précipices,
Leur rêve au souffle obscur des monstres confondu,
Et leurs yeux révélaient sous les éclairs propices
Le regret éternel du Paradis perdu.

Mais le matin revint avec son pur cortège,
Chassant la triste nuit de ses armes d’argent
Et déliant enfin du sombre sortilège
Les hommes, du sommeil et du songe émergeant.

Le monde renaissait, tirant ses mers sonores
De l’ombre où s’égarait une lividité,
Tandis que les Héros s’avançaient dans l’aurore,
Rouges enfin du sang des monstres rejetés.

À leur poing ruisselaient la Gorgone muette,
Et la tête de l’hydre et le cœur du dragon
Et tout ce que la nuit cache, embusque ou secrète
Dans ses profonds jardins de haine et de poison.


Ils s’avançaient, légers et clairs, dans la lumière,
Ayant sur eux la peau du poulpe et du python
Et si beaux dans l’azur immense où, la première,
L’aube foulait la nuit qui fuyait à tâtons.

Des nuages pareils à des cariatides
S’élevaient lentement mêlés à l’arc-en-ciel,
Tandis que les tronçons de la Bête fétide
Gisaient au bord des mers luisantes de leur sel.

Des triangles d’oiseaux coupaient l’aube profonde,
Un long rayon partit de l’horizon tranché
Et le jour assura l’arche immense du monde
Sur la nuque et le dos des Atlantes penchés.

Alors, tout s’exalta d’une énorme allégresse,
Alors, tout s’embrasa d’un flamboiement vermeil,
Et j’entendis enflant son hymne qui progresse
La grande lyre d’or vibrer dans le soleil !