Le Jeu des épées/Le Triste Domaine

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Le Jeu des épéesMercure de FrancePoèmes 1887-1897 (p. 198-199).
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LE TRISTE DOMAINE

Mon domaine est celui de l’automne :
Tous mes châteaux, au bord des étangs,
Y rêvent aux guerres du vieux temps
Sous leurs tours que le lierre lourd festonne.

Faible comme un regret, le soleil
S’achève dans les vasques de marbre
Où l’eau verte croupit ; et chaque arbre
Ouvre ses nids aux ailes du sommeil.

Le vent semble la voix d’un fantôme
Revenu pour remourir d’amour
Au rendez-vous faux du carrefour
Où le petit temple arrondit son dôme.


Parfois on entend qu’un enfant rit
Dans la maison lointaine du prêtre
Dont la lampe, au bord de la fenêtre,
Luit comme la flamme du Saint-Esprit

Puis rien. Seul un platane balance
Sa cime dont les feuilles, la nuit.
Se frôlant lentes, presque sans bruit,
Font à peine frissonner le silence.

Le seigneur du domaine, c’est moi
Qui traîne au fond des anciennes salles,
Au pied des armures colossales,
Sa honte de ne pouvoir être roi.