Le Jeu des épées/Panique

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Le Jeu des épéesMercure de FrancePoèmes 1887-1897 (p. 200-201).

PANIQUE

Tu me disais : « Voici mes seins, voici mes lèvres,
Voici mes mains savantes à toutes caresses,
Voici mes frais cheveux où dormiront tes fièvres,

Voilà le lit jonché de fleurs pour nos tendresses,
Et les lampes en l’alcôve, ou mieux, les ténèbres,
Si la nuit, mon Poète, est douce à tes détresses.

Car je veux être la femme que tu célèbres,
Bien-aimé qui ne m’aimes pas, et je veux être
Celle que tu pleureras sur les seuils funèbres.

Je t’aime ! je t’aime ! je t’aime ! et sois-moi traître,
Qu’importe ? pourvu qu’aux heures qui seront nôtres,
Je puisse à tes genoux te proclamer mon maître.


Et si tu méprises ce corps que pourtant d’autres
Ont trouvé trop beau pour ne pas en mourir, daigne,
Oh ! daigne avoir pour moi la pitié des apôtres !

Je suis Madeleine. Voici mon sein qui saigne.
Voici mes lèvres en flamme et mes mains en peine,
Et mes cheveux épars sur tes pieds que je baigne

De larmes. — Tu dis non ? — Alors, ô douleur vaine !
Accorde à cet amour qui plus ne se rebelle,
Pour qu’au moins tu te souviennes de moi, ta haine. »

Ainsi me parlais-tu, femme qui fus trop belle !
Pourquoi, voyant ces mains que mon âme redoute,
Et ces lèvres aux chauds baisers de colombelle.

Et ces seins sous ces cheveux, et ta splendeur toute,
Me suis-je, comme un fou pressentant des désastres.
Enfui vers où ? vers où ? par la mauvaise route

Où tonnait, au chant des vents, la chute des astres ?