Il me va donc falloir te rendre,
Bon fusil, que pendant six mois
J’ai couvé d’une amitié tendre,
Et frotté tant et tant de fois !
Or çà, notre tâche est finie ;
Nous avons, malgré nos regrets,
En fait de gloire, une élégie,
En fait de lauriers, des cyprès.
Lorsque nous fîmes connaissance
Au camp, jadis, te souviens-tu
Combien nous avions de vaillance
Et quelle était notre vertu ?
Pendant six mois j’ai cru sans cesse
Qu’un jour viendrait où nous pourrions
Sauver la Patrie en détresse
Et trouer d’épais bataillons…
Va donc ! je te quitte sans peine,
Et te laisse aller de ma main
Comme on jette un bâton de chêne
Qu’on a coupé sur son chemin…
⁂
Que belle était la vieille guerre,
Que beaux étaient les vieux combats,
Dans le soleil, dans la lumière,
Cœur contre cœur, bras contre bras !
Ô les vaillantes équipées
Du seigneur et de son coursier !
Et les chocs des lourdes épées
Qui retentissaient sur l’acier !
Ô les rencontres gigantesques
Dans les forêts et les ravins,
Lances contre sabres moresques,
Et Français contre Sarrasins !
Quand un canon, la poudre née,
Au troisième coup éclatait ;
Quand un fusil, dans la journée,
Partait vingt fois… oui, s’il partait ;
Que c’étaient choses encor belles,
Les grandes charges d’escadrons,
Les régiments prenant des ailes
Au souffle fiévreux des clairons !
Aux accents de la Marseillaise,
Les sombres remparts emportés,
Et la baïonnette française
Trouant les rangs épouvantés !
Vive l’ardente et chaude ivresse
Du soldat qui va de l’avant
À l’assaut d’une forteresse,
Le front levé, l’épée au vent !
Vive la bravoure qui bouge !
En plaine, au soleil, loin des bois,
L’acier est bleu, le sang est rouge
C’est la bravoure des Gaulois !
Alors on pouvait être brave ;
Maintenant on n’est plus que fort.
À plat ventre comme un esclave,
On attend froidement la mort ;
Sur une colline lointaine
Votre lorgnette apercevra
Un peu de fumée, à grand’peine…
Et c’est le coup qui vous tuera.
|