Le Laurier Sanglant/18

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Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 61-64).

APRÈS LA TOURMENTE




Juin 1871.


Quand, l’orage fini, le ciel se rassérène ;
Quand le vent s’adoucit et sur les blés ployés
Glisse, effleurant le sol de son humide haleine,
Ridant les flaques d’eau dans les sillons mouillés ;

Quand du soleil craintif les rayons encor ternes
Perçant le voile épais des gros nuages noirs,
S’étendent en dorant les grands champs de luzernes,
Quand le ciel bleu sourit au fond des réservoirs ;


Le laboureur pensif vers son champ solitaire
S’achemine, et, voyant le terrain dévasté,
Les beaux épis, tordus, inclinés vers la terre,
Tout l’effort d’une année en un jour emporté,

Tenant sur ses genoux ses deux mains attachées,
Le désespoir au cœur et les larmes aux yeux,
Il s’assoit au milieu de ses herbes fauchées
Et rêve tristement en regardant les cieux.

Mais bientôt, secouant la torpeur qui l’oppresse,
Mâle, essuyant son front d’un revers de son bras,
Il retourne chez lui, sourit avec tendresse
À sa femme, aux enfants qui lui parlent tout bas ;

Puis, sortant du hangar son bœuf et sa charrue,
Il regagne le champ… Le ciel est clair et bleu ;
Les vents sont apaisés, et, dans la plaine nue,
Il travaille en chantant sous le regard de Dieu.



Après tant de douleurs, de tourments, de misère,
Après tant de souffrance et tant de sang versé,
Enfin, voici la paix après l’horrible guerre…
L’avenir pourra-t-il effacer le passé ?

Ô France ! quel destin mystérieux t’entraîne ?…
Ton horizon est-il pour toujours obscurci ?
Ne reprendras-tu point la place souveraine
Que ton noble passé t’assurait jusqu’ici ?

Sous un ciel plus clément le canon fait silence,
Retournons à pleins bras notre champ dévasté ;
Comme le laboureur, reprenons confiance ;
L’hiver a fui devant les splendeurs de l’été.

Notre malheur finit, le ciel est sans nuage :
Au travail ! c’est l’instant ! Français, levons-nous tous !
Car le temps est plus sûr au sortir de l’orage,
Au sortir des douleurs le sourire est plus doux.