Le Laurier Sanglant/23

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Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 97-102).

MADAME ANDRÉ




1914.


Entre les lits de nos blessés
Trottant à petits pas pressés,

Accorte et vive,

Madame André s’en vient, s’en va…
Et dès qu’il lui faut être là,

Vite, elle arrive.


C’est notre infirmière major…
Une infirmière ? mieux encor :

C’est une mère,

Une sœur, une amie aussi
Pour tous les chers blessés qu’ici

Conduit la guerre.


Son âge ?… Je n’en sais trop rien…
Ses yeux ?… bleu clair ; son nez ?… moyen ;

Sa taille ?… ronde ;

Ses cheveux ?… sous son blanc bonnet
Nul ne peut assurer qu’elle est

Ou brune, ou blonde.


Signes particuliers : bonté,
Bonne grâce, simplicité,

Dévouement tendre ;

Tout ce que d’un cœur généreux
À l’adresse des malheureux

On peut attendre.


Chaque jour, du matin au soir,
À l’hôpital, il faut la voir

Sans nulle plainte,

Sans s’y dérober un moment,
Accomplir — si gaillardement ! —

Sa tâche sainte.


« Madame André !… Madame André ! »
Chacun de nous est assuré

Qu’on ne prononce

Jamais ce nom-là sans qu’on ait
Avec un bon vouloir tout prêt

Une réponse.


À gauche, à droite, en bas, en haut,
Toujours à la place qu’il faut,

Ne chômant guère,

Vous regardant de son œil clair,
Elle fait tout, — en ayant l’air

De ne rien faire.


Que de blessés elle a guéris !
Que de pauvres êtres aigris

Par la souffrance

Elle sauva du désespoir,
En parlant de Dieu, du devoir,

De l’espérance !


Elle ignore les longs discours ;
Mais elle sait trouver toujours

La phrase juste,

Le mot qu’on saura retenir
Et qui donne dans l’avenir

La foi robuste.


Noble femme aux sentiments droits,
Au cœur vaillant, quand je la vois,

Souvent je pense

À toutes les « Madame André »
Remplissant leur rôle sacré

Dans notre France ;


À ces doux anges d’ici-bas
Qui, soignant de nos chers soldats

La chair meurtrie,

N’ont d’autre but que de guérir
Tous ceux qui faillirent mourir

Pour la Patrie.


Ô sœurs françaises, nobles sœurs
Qui calmez en vos bras berceurs

Tant de misères,

En ces temps sombres et troublés,
Déjà chères, vous nous semblez

Cent fois plus chères.


Vous joignez à votre bonté
Le dévouement, la charité,

Aigrettes pures,

Qui remplaceront désormais
Les invraisemblables plumets

De vos coiffures…


En vous déjà l'on aimait tout,
La douceur, la grâce, le goût

Et le sourire…

Maintenant qu’on vous connaît mieux
C’est votre âme, autant que vos yeux,

Que l’on admire !