Le Laurier Sanglant/24

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Le Laurier SanglantCalmann-Lévy, éditeurs (p. 103-106).

LE PETIT TOURANGEAU




1914.


Il allait, chaque jour, de plus mal en plus mal…
Et comme j’arrivais, hier, à l’hôpital,
J’appris qu’il était mort dans la nuit, sans souffrance,
En murmurant : « Maman ! » et puis : « Vive la France ! »

Je m’étais bien souvent assis à son chevet.
Nous causions. Il disait le désir qu’il avait
De retourner se battre avec les camarades.
Il parlait doucement, sans phrases, sans bravades,
Avec un sentiment très profond du devoir.
Il me contait sa vie et ses rêves du soir,

Son travail fait, au bord de la Loire ensablée…
Vingt ans, de taille frêle, une tête bouclée,
Un teint rose, un front clair et de jolis yeux gais.
Tailleur de son métier, habitant sur les quais
Avec sa mère veuve… Une existence grise,
Humble, paisible, heureuse… et qui d’un coup se brise !



Ce matin, nous avons enterré le pauvret.
Sur le mince cercueil que la foule entourait,
Un drapeau déroulait sa fierté tricolore.
Puis, par un temps d’octobre aimable et tiède encore,
On conduisit, parmi les lents signes de croix,
Parmi les bérets bleus levés par les gros doigts,
Parmi tous ces saluts qui font une prière,
Les restes du soldat vers le haut cimetière
D’où l’on voit le vieux port encombré de bateaux,
La Nivelle, coulant parmi les verts coteaux,

Puis, derrière la ville aux maisons alignées,
Le profil onduleux des brunes Pyrénées…

Et, songeant à ta mère en larmes, à ta mort,
Je maudissais la guerre et l’implacable sort
Qui te fait pour toujours, en sa rage fantasque,
Bon petit Tourangeau, dormir au pays basque !