Le Laurier noir/III/Sur le Plateau de Moyen

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Société de la Revue Le Feu (p. 41-43).

SUR LE PLATEAU DE MOYEN


Quelle ombre me retient et quelles voix m’appellent ?
L’ange de la douleur a déployé ses ailes
Sur ce champ de combat qui n’est plus qu’un tombeau.
Les enfants les plus grands du pays le plus beau
Sont couchés dans la nuit profonde de la terre.
Ils dorment. Que ce lit de ténèbre et de pierre
A sur son étendue de glaives et de croix !
Gloire éternelle à eux ! Miséricorde à moi, Seigneur !
Je suis vivant lorsqu’ils sont morts… Des âmes
Flottent dans un ciel bas ravagé par des flammes ;

La trace des obus sillonne le charnier ;
La rose de Lorraine et le jeune laurier
Ne couvrent point encore l’immensité des plaines ;
L’arbre de la pitié — tragique souveraine —
Emplit seul le silence entouré de cailloux.
Je marche… les corbeaux me suivent… les hiboux
Hulluleront ce soir. Triste sollicitude !
Je cherche la victoire et l’âpre solitude
N’accorde que l’ivraie au soc du laboureur.
Vous qui dormez, répondez-moi ! Les fossoyeurs
Ont-ils, sur votre corps, entassé trop d’argile ?
J’ai couru les forêts, j’ai traversé les villes
Pour entendre les cris de votre liberté.
Héros de la patrie, une sérénité
Est-elle contenue en ce vaste silence ?
Je voudrais, me penchant sur ce lambeau de France,
Écouter vos transports, soldats de mon pays !
Je voudrais que vos yeux dans mes yeux éblouis
Reconnaissent l’ardeur que vous avez pressée ;
Je voudrais réchauffer vos chères mains glacées
Et, greffant votre sang sur le soleil de Dieu,
Changer en manteau d’or votre uniforme bleu !
Espoir muet, désert sans fin, plainte inutile !
Ma détresse est liée à mes appels stériles.
Moissonneur de la vie, où retrouver le blé ?
Gerbeviller détruit, Clezentaine brûlé,
Est-ce tout le bouquet que la guerre m’apporte ?

Ô plateau de Moyen, vous êtes une porte
Qui ferme à double tour de secrètes maisons.
L’acier ne tremble plus. Dans tout cet horizon
Il n’est pour mes sanglots maintenant qu’une place.
Où frapper pour qu’on ouvre à ce vivant qui passe ?
J’ai honte de mon cœur et du bruit de mes pas
Qui marchent sur la gloire et ne l’entendent pas.