Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Lettre D

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Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 126-141).
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D


DADA, s. m. — Un grand dada, Un grand dadais, un grand nigaud. Depuis que Molard a signalé ce mot, il s’est répandu partout. Vraisemblable est-il, au reste, que dadais a été fait sur dada.

DAGNE, s. f. — Au sens de tige creuse dans une vieille chanson lyonnaise : « Arrosons-nous — La dagne, la dagne, Arrosons-nous — La dagne du cou. » — Patois dagni, tige du chanvre. On sait que cette tige fait tuyau.

DAMAGE, s. m. — Action de damer (voy. ce mot).

DAME, s. f. — 1. Hie, instrument pour battre le pavé. N’est pas au Dict. de l’Acad., mais se trouve dans Barré, Littré, etc. Vient de ce que le paveur tient sa dame à peu près comme il en tiendrait une en viande avec laquelle il valserait. Littré ajoute qu’on dit plutôt demoiselle, mais nous ne connaissons que dame. Du reste la différence est si mince ! Il y a, il est vrai, peu de dames qui soient demoiselles (j’en ai connu cependant, et des Lyonnaises), mais tant de demoiselles qui sont dames.

2. Écouvillon de four. Probablement de ce que le linge mouillé qui fait la tête de l’écouvillon rappelle vaguement une espèce de poupée.

DAME. — Bien le bonjou, Mecieu Capouillu ; comment que va vot’ dame ? — Merci bien, Mecieu Godivaud, a va ben tout plan plan. — Et vos demoiselles ? — Y a l’aînée que va comme le pont de la Guiyottière, mais la cadette, le sanque lui fait un peu la guerre.

En pareil cas les grands délicats disent femme au lieu de dame, et fille au lieu de demoiselle. Mais l’expression était bien ancrée, en dépit de Molard, et même chez les gens chargés d’enseigner la jeunesse. Je lis en effet cette annonce dans un journal de Lyon de 1823 : « Madame Joulain et sa demoiselle, sous la recommandation de beaucoup de personnes considérées, ont l’honneur d’offrir leur plan d’enseignement, etc. » Et pas plus tard qu’hier, je lisais dans un grand journal de Lyon un article écrit par un ancien professeur de l’Université, sur une fête musicale. Il était parlé des « musiciens et de leurs dames ». Or, à qui ferez-vous croire que les musiciens n’aient pas trouvé cela plus poli que s’il avait dit grossièrement « leurs femmes » ?

Un temps de dame : Ni pluie, ni vent, ni soleil. Soit, mais c’est de tous les temps le plus ennuyeux. Peut-être est-ce pour cela qu’on l’a nommé de dame.

DAMER, v. a. — Serrer le pavé ou pilonner la terre avec une dame.

DAMOCHE, s. f. — Une dame qui n’est pas dame et qui veut faire la dame. Je ne connais rien de plus laid. Le même air que moi si j’étais habillé en général. Quidque in loco. Mais par ce temps où le peuple est tout, personne ne consent à être peuple.

DAMOISEAU, s. m. — « On appelle ainsi un jeune homme qui fait le beau, et qui affecte de s’attacher aux dames ; dites dameret. » (Molard.) — Observation bien erronée. Damoiseau, au xviexviie siècle, existait déjà au sens de a neat fellow, spruce yonker, effeminate youth (Cotgrave), et se trouvait, au temps de Molard, au Dict. de l’Acad. avec la définition à peu près littérale qu’il en donne.

DANDOUILLARD, s. m. — Flâneur, lambin, cogne-mou. — De dandouiller, avec un suffixe accentuant le caractère péjoratif.

DANDOUILLER (SE), v. pr. — Flâner, perdre son temps. — Du rad. qui a fourni l’angl. to dandle, dodeliner; to daddle, marcher à pas chancelants.

DARE, s. f. — Faire une dare, Faire une scène. La petite apprentisse : La Bargeoise m’a-t-elle pas fait une dare parce que je prenais un agacin au ventre ! J’y ai dit : Vous êtes ben enceinte, vous ! — Moi, qu’elle m’a dit, c’est du Bargeois ! — Moi aussi, que j’y ai fait !

Être tout en dare, Être tout agité, tout ému, hors de soi. La Francine est tout en dare, son pipa veut pas la marier au Jirôme.

Être dans ses dares. Se dit de quelqu’un qui est dans un accès de nervosité. Le miron a don sentu de la valériane, qu’il est si tellement dans ses dares ? Ou bien : Faut pas parler à ma femme aujourd’hui, elle est dans ses dares.

Mener une dare, Faire grand bruit.

Le mot existe dans une foule de dialectes. Comp. le français dare-dare. Vraisemblablement d’origine celtique : kymri dar, bruit, tumulte ; gaélique dararach, grêle (de flèches, etc.) ; irland. daradh, rut ; cornique dar, tristesse, affliction (probablement mal traduit pour agitation d’esprit).

DARBON, s. m. — Taupe.

DAUDON MEDÉE (LA). — Nom d’une pièce canuse inédite, d’auteur inconnu, et qui doit dater de la Restauration. En voici l’intitulé : À Mameselle Daudon Medée (voyez medée), Montée de Tire-Cul, chez Messieu Cochonneau. Elle est signée : Jean-François-Benoni Pelavet, compagnon taffetatier, et comprend 60 vers, faiblement comiques. Voici les deux meilleurs :

La bourre que descend sur votre cotivet
Me semble d’organsin que n’a fait de déchet.

On voit du reste que la pièce est faite par quelqu’un de la partie. Chose assez rare en ce genre, elle ne renferme aucune allusion risquée.

DAUPHIN, s. m. — Morceau de cornet en fonte (vu qu’en zinc ou en ferblanc, il serait trop vite pourri), au bas des cornets de descente. — De ce qu’au xviexviie siècle l’usage était de décorer de têtes de dauphins à gueule ouverte l’extrémité de ces tuyaux. Voyez encore les dauphins de l’hôtel de ville.

DAUPHINÉ. — Pour boire une bouteille de bon vin avec un brave homme en Dauphiné, il faut porter le vin et mener l’homme (à ce que prétendent les Lyonnais).

DAUPHINOIS. — Le Dauphinoïs, fin et courtois, sent venir le vent et connaît la couleur de la bise.

DAVANT QUE. — Il faut toujours aller chez son marchand davant que d’aller chez sa canante. C’est ce que les bourgeois appellent les affaires avant tout.

DE devant un verbe (voy. connaître). — La tournure s’emploie pour beaucoup de verbes. Y a Bougrachaud qu’a quasiment cassé les reins de sa femme. — Ça, d’abord, c’est des choses qui sont pas de faire. — Ça n’est vraiment pas de pardonner. — Paraît que c’est un homme de craindre. — Oui, mais qui t’y a dit ? — C’est M. Couyonnet. — Oh, c’est un homme de croire ! etc. Ces tournures sont vives et heureuses. Comp. l’italien : cosa non da fare, uomo da temere.

De, article partitif, au lieu de du, des. Cadet, veux-tu de mélasse pour « Veux-tu de la mélasse ? » En français, pour qu’on puisse employer de, il faut qu’il soit suivi d’un adjectif : « Voilà de mauvais fromage. » Oui, mais il faut dire : « Voilà du fromage mauvais. » Est-ce assez benoni ?

Car il n’importe guère,
Que mauvais soit devant ou bien qu’il soit derrière.

De ce que pour Pendant que. De ce que je vas chez le plieur, va donc me chercher de trame au magasin.

De absolu. Ont-i fait pache ? — I sont convenus d’un prix de. C’est-à-dire ils ont fixé un prix, que j’ignore.

De explétif. Il ne fait que de m’embêter pour « que m’embêter ». Ellipse : Il ne fait (autre chose) que de m’embêter. » Passez donc de là pour « passez là ». Autre ellipse : « Passez donc de (ce côté-)là. »

DÉBAGAGER, v. n. — Trousser bagage, s’en aller prestement. Je nous sons débagagés de bonne heure pour aller à la messe. S’emploie quelquefois au sens actif pour chasser. J’ai trouvé deux marque-mal dans le jardin. Je les ai débagagés !

Se débagager le ventre, Se purger. Peut-être par analogie avec dégager.

DÉBARRAS, s. m. — Chambre borgne où l’on met les vieilles barafûtes, les vieux grollons, les vieilles rouillardes, les crossons quand les mamis sont venus grands et qu’on n’en attend plus d’autres, parlant par respect, les vieilles seringues, tout ce qui ne serait pas à sa place au salon. Enfin un débarras sert à se débarrasser de tout ce qui embarrasse. Cela coule comme un rhume de cerveau.

DÉBAROULER, v. n. — Voy. barouler.

DEBITORIBUS. — Débitoribus à gauche, à droite. Un envieux : As-te vu le prétendu à la Glaé ? On dirait qu’i lui manque une miche : i marche tout debitoribus à gauche. — Mot forgé, en imitation du latin, sur le vieux lyonnais débitors, contrefait, de bis torsus. On trouve debitoribus dans Rabelais, qui l’aura vraisemblablement recueilli dans son séjour à Lyon.

DÉBONDER, v. n. et a., terme bas. — Se dit du cataclysme qui communément suit, parlant par respect, la constipation prolongée. Au temps où le carême entier était maigre, un très bon homme me disait : Le jour de Pâques, j’ai débondé tout mon carême.

DÉBORD, s. m. — Le débord du Rhône a tout ablagé Villeurbanne. Un imprimé de 1570 est intitulé : « De l’effroyable et merveilleux desbord de la Rivière du Rhosne… en 1570. » — Ce subst. verbal de déborder, m’écrivait M. Egger, méritait infiniment mieux de pénétrer dans le français que l’ennuyeux dérivé débordement.

DÉCABANER (SE), - v. pr. — Changer de résidence ou simplement de place. Faut se décabaner ; la bourgeoise gongonnerait. — Fait sur cabane, visiblement.

DÉCALER, v. n. — Diminuer, faiblir, être à cras. Je viens de voir le pauvre Nizier, il décale, Il va mourir. — C’est le vieux franç. caler, descendre, enfoncer, avec le préfixe de au sens intensif, comme dans défaillir.

DÉCAMOTTER, v. a. — Défaire quelque chose qui est aggloméré, capiyé ; désagréger des catolles. Décamotter des jaunes d’œuf dans la barbe. Quand vous voyez un pauvre tousseur qui se travaille, parlant par respect, pour expectorer, vous devez lui dire avec bienveillance (il faut toujours donner du courage aux malades) : Allons, te vas mieux, velà ton rhume que commence à se décamotter. — De motte, au sens de petite agglomération, avec le préfixe disjonctif de et l’insertion de la syllabe péjorative ca. Comp. le berrichon décacrotté pour un enfant tout grandi, tout décrotté.

DÉCANILLER, v. n. et a. — Faire sauver, se sauver. Magine-te que j’ai biché me n’epouse sus la suspente n’avè le Joset, que n’avait pas rien laissé sa roupe, comme l’autre, hi, hi, hi ! — Et tu leur z’y a cogné ? — Oh, non, mais je te les ai fait décaniller un peu vite ! I sont allés où i n’ont voulu. — Un bon homme à sa femme le matin : Allons, ma coque, c’est pas le moment de jouer au bouchon, lève-toi, velà cinq heures. Faut te décaniller pour faire la soupe.Décaniller : jouer des canilles.

DÉCAPIER, DÉCAPIYER, v. a. — Détacher des fils capiés. Au fig. Le Zupère voulait se décapiyer d’avè la Pothine ; mais ce fennes, ça tient, parlant par respect, comme un pou sur une rogne.

DÉCATOLER v. a. — Faire cesser d’être catole. Le fils Cugniasse, c’est z’un vrai benoni. Y va se marier avè Mlle Brûlard. I saura pas comment s’y prendre. — Oh ! Mlle Brûlard se chargera ben de le décatoler.

DECENDRE. — C’est notre manière de prononcer descendre. Un bon canut, sur le pas de sa porte d’allée. Son gone est à la fenêtre au cinquième. Le canut : Joannesse, la mère decend-elle ?Joannesse : Pepa, je vas voir. Il revient : Oui, pepa, la mère decend. — En principe, nous remplaçons tant que nous pouvons les é et les à atones, à l’initiale ou à l’intérieur des mots par des e muets. C’est ainsi que nous disons confeceur, profeceur (et aussi le simple feceur), genereux, desolation, devider, detailler, netèyer, drecer, melasse, epoux ; parlant par respect, peter, etc., etc.

DÉCESSER, v. n. — Cesser, mais ne s’emploie qu’au sens négatif. Quel avocat ! trois heures sans décesser de dégobiller ! Mais on ne dira pas, au sens affirmatif, même en style noble : « Ici maître Braillard décessa de discourir. » — Molard, en blâmant l’expression, ajoute : « Si elle était permise, elle signifierait le contraire de ce qu’on veut dire. » Si Molard a raison, découler est le contraire de couler ; déchoir est le contraire de choir ; découper est le contraire de couper ; détailler est le contraire de tailler ; déchiqueter est le contraire de chiqueter, et faillir est le contraire de défaillir.

DÉCHARGE, s. f., terme de construction. — Pierre de taille ébauchée, épaisse, que l’on place au-dessus de la couverte d’une baie pour décharger cette couverte, et empêcher que celle-ci, qui est ordinairement taillée et mince, ne pète sous un tassement.

DÉCHARPILLER, v. a. —. Voy. charpiller.

DÈCHETÉ, ÉE, adj. — Qui a dépéri, qui est diminué, affaibli. J’ai vu le pauvre Coquasson, que vient de passer trois mois au Grand Dôme. Comme il est dècheté ! Ou encore : Depuis que le Maquiu s’est marié, il est tout dècheté. — Fait sur déchet. Se confond souvent avec déjeté, qui est un mot différent.

DÉCHICOTER, v. a. — Déchiqueter. Totole, veux-tu bien ne pas déchicoter ton pain comme ça, petit cayon ! — Vieux franç. deschicoter, qu’on trouve dans Cotgrave, et qui doit venir de chicot, comme déchiqueter de chiquet.

DÉCIZE, s. f. — Descente au fil de l’eau. Au temps des Modères, la descente d’un bateau, de Serin à Ainay, constituait une décize, comme la remonte constituait une mode. — De descensa.

DÉCLAVETÉ, ÉE, adj. — Malade, mal en train. Depuis que j’ai pris un coup de froid à la vogue des Choux, je suis tout déclaveté.

DÉCLAVETER, v. a. — Se déclaveter l’épaule, le genou, l’épine du dos, Se déboîter les os dont s’agit.

DÉCOCHONNAGE, s. m. — Action de faire sa toilette. Je vas dîner à la Préfecture, c’est le coup du grand décochonnage !

DÉCOCHONNER (SE), v. pr. — Expression élégante pour « faire sa toilette ». Très usité. Une bonne bourgeoise disait devant moi à l’une de ses amies : Moi, j’ai trop à faire pour m’approprier sur semaine, mais le dimanche je me décochonne à fond ; ça fait plaisir à mon mari. À quoi l’autre de répondre : Moi je me décochonne bien pour aller à la messe, mais quand je reviens, je me mets en sale pour faire mon ménage.

DÉCOMPOSER, v. a., terme de fabrique. — Décomposer une étoffe. C’est, en l’examinant à l’aide du quart de pouce, en compter les fils, relever leur mode de baisser et de lever, et, d’après ces éléments, reconstituer le dessin, l’empoutage et le remettage, de manière à pouvoir au besoin reproduire l’étoffe sur le métier.

DÉCOMPOSITION, s. f., terme de fabrique. — Action de décomposer (voy. ce mot).

DÉCORÉ, ÉE, adj. — Se dit parfois de quelqu’un qui a le cœur sur les lèvres. Je me sens toute décorée ce matin. — Vous avez p’t-être une poire à deux yeux que vous bouligue le ventre. Hi, hi, hi ! De cor, cœur. C’est une forme d’écœuré avec changement de préfixe.

DÉCOCONNER, v. n. — Perdre la boule, devenir gaga.

DÉCOUVRIR. — Découvrir un lit est proscrit par Humbert, qui le traduit par « faire la couverture d’un lit, préparer le lit avant que de se coucher ». Mais c’est faire la couverture qui n’est pas français ! Le matin, que bien s’accorde, on a fait votre lit. Le soir venu, la Marie relève la couverture en manière de mouchoir, à celle fin que vous puissiez entrer dans votre lit tout de go ; place votre cascamèche et votre chemise sur le lit, et vos bamboches à portée. Si ce n’est pas là découvrir un lit, que diable est-ce faire ?

DÉCRASSER. — Décrasser le cœur. C’est assez connu de tous nos anciens que de dormir encrasse le cœur. Aussi le matin, si vous êtes décoré, dégoûté, affadi, prenez-moi une bonne tasse de café noir sans sucre, avec du jus de citron dedans. N’y a que ça pour bien décrasser le cœur.

DÉCRASSOIR, s. m. — Linge pour se décrasser. Au beau de l’Empire, un artiste lyonnais de grand talent avait été invité aux fêtes de Compiègne. Dans sa chambre, on avait oublié de garnir la toilette. Il sonne. Apparaît un grand laquais, doré comme un calice. — Que désire Monsieur ? — Un décrassoir. — Le laquais s’enfuit épouvanté. C’est singulier, me disait l’artiste en me narrant l’histoire, j’aurais cru que dans cette maison l’on était plus propre. — Ce mot est si usité et si naturel à la fois que ni Molard, ni Humbert, ni Grangier, ni aucun des puristes qui se sont donné mission de corriger le mauvais parler, ne l’a signalé ; ils l’ont cru français !!

Il n’y a pas de terme inutile : les décrassoirs sont pour le visage, les essuie-mains pour les mains. Comment font-ils donc à Paris leurs notes de blanchissage ? Je suppose qu’ils désignent tout sous le nom commun de torchons.

DÉCROCHETER. — Décrocheter un corset, une robe, « dites dégrafer » (Humbert.) — L’un vaut l’autre : l’agrafe n’est qu’une sorte de crochet.

DÉCUTIR, v. a. — 1. Démêler les cheveux cutis (voy. cuti).

2. Écorcher, enlever la peau. Je m’ai tout décuti le doigt d’un coup de râpe. — De cutem. On devrait avoir décoti, mais le mot a subi l’influence de décutir 1.

DEDANS. — Mettre quelqu’un dedans, Le tromper dans une affaire. Quand je me suis marié, je me suis mis dedans, disait le pauvre Patient, de la rue des Chevaucheurs. Tout le monde comprend ces phrases, et pourtant je ne puis saisir l’ellipse. Dedans quoi ?

DÈDELA, adv. — Au delà, par là, par delà. Ce thomas embarrasse au milieu de la chambre. Porte-le don dèdelà ! Ou bien : Je suis allé partout dèdelà pour chercher la grosse. Humbert remarque qu’à Lyon dèdelà l’eau veut dire de l’autre côté du fleuve. — C’est drôle, les doctissimi s’in- dignent de dédelà, et ils ne s’indignent pas de de deçà, qui est à l’Académie. Pourtant, si l’on peut rester de deçà, on peut bien rester de delà : cela tomberait sous le sens du plus bugne.

DÉDITE, s. f. — Congé d’un logement. Mon regrettier m’a donné ma dédite. Ou encore : Y a si tellement de sempillerie de monde dans c’te maison, que je n’ai été obligé de donner ma dédite. — Molard écrit : « Il faut faire usage du mot dédit. » Pas du tout, Molard ! On ne peut pas dire : « J’ai donné dédit de mon logement. » Si vous ne voulez pas employer le mot lyonnais, il faut dire : « J’ai donné congé. » De même nous ne dirions pas : « Ce comédien a été obligé de donner une dédite de trois mille francs à son directeur. » Ici il faut dédit. Chacun en sa place. — C’est du bon vieux français, dont nous avons particularisé le sens : « Le repentir n’est qu’une desdicte de notre volonté », dit Montaigne.

DÉFAIRE. — Dans un magasin de nouveautés : Le commis, aimable : Madame, j’ai là ce qu’il vous faut ; tout ce qu’il y a de plus nouveau (c’est un rossignol de quatre ans, sur lequel le patron lui a promis une forte guelte). — La dame : Ne défaites pas cette pièce, je veux quelque chose de moins nouveau. — Ça, nous le disons à chaque fois que nous achetons de l’étoffe.

DÉFARDE, s. f. — Désordre, trouble, panique tumultueuse. Nous sons été voir les courses au Grand-Camp. Il est venu une avale d’eau ! Si t’avais vu c’te défarde ! — Vieux franç. fardes, bagage, avec le préfixe de au sens de séparation, éloignement. La défarde est littéralement la mise sens dessus dessous des bagages.

DÉFENDRE. — Je m’en défends des pieds, des mains et je touche talon. Phrase magique que, lorsqu’un gone veut se retirer d’un jeu, il prononce rapidement en pliant la jambe droite et en se touchant vivement le talon, par exemple au moment où, à la tape, il va être atteint par un coureur plus agile. Ces mots le déclarent tabou, mais il ne peut plus prendre part au jeu.

DÉFICELER. — Dire qu’on peut ficeler un paquet en parlant bien, et que, pour le déficeler, il faut parler mal. Ô Seigneur !

DÉFINITION, s. f. — Fin, achèvement. Un soir, montant le Gourguillon, j’entendais un bon canut parler à son voisin : I m’ont dit comme ça : Je voulons la définition de cette affaire ; j’irons voir Cussonnet (un agent d’affaires). Et moi je leur z’y ai dit : Allez voir Cussonnet, allez voir Cussonnant, vous en serez toujours de vos argents. — Dérivé logique de finir. Finition, action de finir, plus le préfixe intensif de.

DEFORE, adv. — Dehors. I l’ont metu defore. Ils l’ont mis à la porte. Ce mot, encore très usité dans mon enfance, me paraît tombé en désuétude, sauf dans la batellerie. On avait ramené de nourrice un gentil mami, bien élevé. On lui avait recommandé de ne jamais descendre au jardin sans prévenir sa maman. Il arrive, bien obéissant, dans le salon plein de monde : Môre, vo ch… defore ! J’ai connu beaucoup ce mami. — C’est le latin de foras.

DÉFUNTER, v. n. — Mourir.

DÉGAGER (SE), v. pron. — Se dépêcher. Allons, Fine, dégageons-nous : c’est tard ; le pucier nous attend. — En effet, pour pouvoir aller vite, il faut être dégagé.

DÉGAILLER, v. n. — Rendre son royaume. Tè, tè, v’là la petite que dégaille ! entendais-je un jour un bon mari dire à sa bonne femme. Vienne le jour de l‘an, vous n’entendrez que parents gongonnant leurs mamis : Veux-tu bien ne pas manger de bons comme n’avanglé ! Par après, te dégailleras, et c’est nous qu’aurons la petouge ! — Du provençal degalha, même sens, de dis-vaculare.

DÉGAINE, s. f. — Tournure, démarche. S’emploie généralement dans un sens péjoratif. Un jeune enflammé, d’une dame à demi accroupie sur une bergère : Quelle adorable désinvolture !Un Monsieur, à côté, revenu des illusions : Mon Dieu, quelle dégaine ! — Ce terme, que j’aurais à peine osé employer dans une oraison funèbre, est au dictionnaire de l’Académie ! Moi qui le croyais pur Gourguillon ! N’empêche que les demoiselles du cours « normal » ne le trouveraient pas (normal). — C’est un subst. verbal de dégainer. Cotgrave, après desgaine, action de dégainer, donne l’exemple : « Il y marcha bien d’une autre desgaine », he proceeded in a far quicker fashion, qui indique comment l’idée de démarche a pu se lier à celle de dégainer une épée.

DÉGOBILLER, v. n. — Parlant par respect, Vomir. — J’avais la folle vanité de le supposer lyonnais. Hélas, il s’étale au Dict. de l’Académie ! Je ne crois pas cependant que Bossuet l’emploie dans son oraison funèbre de la Palatine, mais si bien le bon Tallemand dans son Historiette XIII : « On dit qu’un jour M. de. Turenne, depuis M. de Bouillon, étant ivre, lui dégobilla sur la gorge en la voulant jeter sur un lit. » — Au fig. Parler éloquemment et avec abondance. Un de mes amis, en 1845, était allé à Paris. Eh bien, lui dis-je, tu as entendu Berryer ? — Si je l’ai entendu ! Mon ami, si tu voyais comme à te vous dégobille ça ! — Notre bonne était allée aux vêpres de Saint-Irénée : Marie, dit la maman, sur quoi a prêché le prédicateur ? — Madame, il a dégobillé tout le temps sur le Parisien et sur le Républicain.

Composé de de et gober, avec l’insertion de la syllabe ill à significat. péjorative, en même temps qu’elle répond à l’idée de menues choses. C’est cet ill qui donne cette physionomie charmante à dégobiller. Il semble qu’on y est.

DÉGÔGNER (SE), v. réfl. — Se remuer, s’agiter par des mouvements dislocatoires. Une mère à sa fille, au bal de la Préfecture : Veux-tu bien ne pas danser en te dégôgnant comme ça ! Te crois-tu à l’Alcazar ? — « Il y a ici (à Vichy) des femmes fort jolies, écrit Mme de Sévigné. Elles dansèrent hier des bourrées du pays, qui sont en vérité les plus jolies du monde. Il y a beaucoup de mouvement, et l’on se dégôgne extrèmement. » Et ailleurs : « Elles (les Bohémiennes) font des dégognades où les curés trouvent un peu à redire. » Enfin le bon Fléchier écrit : « La goignade, sur le fond de gaieté de la bourrée, ajoute une broderie d’impudence. » — Un coxinare, de coxa, donnerait goigner, gôgner, dégôgner.

DÉGOULER, v. n. et a. — Parlant par respect, Vomir. Toutes les fois que je vais en voiture, me disait une grande dame, je suis sûre et certaine de dégouler. — C’est le vieux français desgouler (de gula), que les Parisiens ont remplacé par leur ignoble dégueuler.

DÉGOURDI, a. — Débrouillard. Ironique aussi, quand on s’adresse aux patets.

DÉGOUT, s. m. — Goutte d’eau. Jean Brunier (prononcez Bruni), notre granger, pour prédire le temps, étaitun véritable observatoire. Jean, qu’on lui faisait, vous qui vous y connaissez, quel temps va-t-il faire ? Jean Brunier (prononcez Bruni) mouillait son doigt, le levait en l’air, regardait au matin, au couchant, du côté du vent, du côté de la bise, interrogeait la marche des nuages, réfléchissait un moment, puis il disait : Euh, euh, des fois pleuvra ; des fois pleuvra pas ; des fois ça sera quèques dégouts. Chose extraordinaire, il ne se trompait presque jamais. — Subst. verbal de dégoutter. Le bon Regnier dit :

Et du haut des maisons tomboit un tel desgout,
Que les chiens altérez pouvoient boire debout.

DÉGOÛTÉ. — Dégoûté avant de plaire. Se dit de quelqu’un qui tord le nez à quelque chose ou à quelque besogne, par exemple à un plat dont on lui offre.

DÉGRENÉE, adj. — Se dit d’une pompe, qu’en pompant, l’on ne pompe plus. Cela vient de ce que le cuir, étant trop sec, s’est recrenillé, inévitablement. Alors comme alors, le piston laissant passer des courants d’air, la pompe s’enrhume (comme on le connaît au bruit), et l’eau ne monte plus, provisoirement. Le remède est de vider de l’eau par le haut dans le corps de pompe, abondamment. L’eau mouille le cuir ; et quand il est gonfle, l’eau d’en bas monte, ascensionnellement. — Dégrené est l’opposé d’engrené, de in-crenare, lui-même de crena, cran. Au fig. Misérable, affamé ; quelqu’un dont le piston ne fonctionne plus. « Mange et bois, dégrené, remplis-toi la bredouille, » a dit Lamartine, ne sais plus où. Ce doit être dans la Chute d’un ange.

DÉGRENER, v. a. — Enlever les dorses des petits pois, des fiageôles, etc. Dégrener des groseilles, Faire entrer le picou entre les dents d’une fourchette, et en insistant, faire tomber les graines dans un coupon, pour les convertir en confiture. — De grain : dégrainer, dégrener.

DÉGROBER, v. a. — Désencutir quelqu’un ; l’arracher à son immobilité semblable à celle d’une grobe. Allons, faut pourtant se dégrober du cabaret. Jules, vons-nous-t’i ou vons-nous pas-t’i ?

DÉGUENILLER, v. a. — Dégueniller quelqu’un, Le faire se dépêcher par des invectives ou des menaces. Mon mari a la cagne tous les matins, me disait une aimable dame, il faut toujours que je le déguenille pour le faire lever. En partie toutes les dames ont la fâcheuse habitude de dégueniller leurs bonnes du matin au soir.

DÉGUILLER, GUILLER, v. n. — Tirer au sort dans les jeux des gones pour désigner le chat ou le maire. — Composé avec le préfixe disjonctif de et guille, en suisso-romand pointe, sommet, du vieux haut allemand chekil, chegil. D’où déguiller, tomber, faire tomber. Comp. tomber au sort.

Il n’y a qu’une méthode classique de déguiller. À cha trois, les gones crient en se tapant sur la cuisse (les loustics se tapent sur la fesse) zig, zing, zoug, et relèvent la main en tendant les bras dans la position du serment du Grütli. Alors, de deux choses l’une, ou les trois mains sont tournées de même, paume dessus ou dessous, et alors rien de fait, on recommence, ou une des mains est tournée différemment des deux autres, et celui à qui elle appartient se retire. On continue ainsi jusqu’à la gauche et le dernier qui reste sans s’être retiré est maire.

Les jeunes personnes préfèrent à ce mode trop mâle la désignation du chat par la chanson :

Uni, Unelle,
Gazin, gaselle,
Du pied, du jonc,
Coquille, bourdon,
Un loup, etc.

DÉHONTÉ, ÉE, adj. — Sans honte, sans pudeur. Mme Évesque, qui signale ce mot, ajoute : « Dites éhonté ». Ce qui pouvait être une incorrection au temps de Mme Évesque ne l’est plus aujourd’hui. Dans son édition de 1835, l’Académie a recueilli déhonté qui est d’ailleurs plus euphonique qu’éhonté, et plus expressif, le préfixe ayant pour le populaire une signification plus marquée que son collègue é.

DÉJÀ. — Ma fois, ce n’est déjà pas si fameux !Comment s’appelle-t-il déjà ? Dans ces phrases, « déjà » a une valeur expressive qui se sent à ravir, mais que je ne sais comment exprimer.

DÉJETÉ, ÉE, adj. — Abattu, affaibli, diminué, dècheté. À quatre-vingts ans on est bien déjeté. — Vieux franç. dejecté, « brought low, cast down » (Cotgr.), de dejectare.

DÉJOINDRE, v. a. — Disjoindre. Le préfixe populaire a été substitué au préfixe savant dis. C’est ainsi qu’en patois ripagérien déloqué est pour disloqué. Si à l’inverse, nous disons dispenser pour dépenser, c’est que c’est un archaïsme.

DÉLACER, v. a., terme de canuserie. — Délacer un dessin, Enlever les cordes qui relient entre eux les cartons composant un dessin.

DELAPIDER. Voy. lapider.

DÉLAVORER, v. a. — Augmentatif de dévorer. Je connaissais une jeune épouse qui consolait son mari, tout triste d’avoir fait en grand « l’opération du père de famille (décembre 1881) ». Allons, à quoi que ça te sert de te délavorer le fège comme ça ? disait-elle. « Ô femmes, écrit le grand Chateaubriand, vous avez des baumes pour toutes les blessures ! » — De dévorer, avec l’insertion d’une syllabe, qui, en pareil cas, accuse le caractère préjoratif.

DÉLICAFOIREUX, adj. — Se dit d’un enfant qui tord le nez devant ce qu’on lui donne à manger. Veux-tu bien manger tout de suite les fiagôles ! Qui est-ce qui m’a fait un délicafoireux comme ça ?

DÉLICATESSE. — Être en délicatesse. Être en froid, sans être précisément brouillés. Tout le monde connaît l’histoire de Voltaire qui avait ôté son chapeau devant le viatique. Quelqu’un lui dit : « Je vous croyais brouillé avec le bon Dieu. — Nous nous saluons, mais nous ne nous parlons pas. » C’est exactement le cas pour ceux qui sont en délicatesse.

DÉLINGUER, v. n. — Décliner, décroitre, s’affaiblir, mourir. Comment que va l’Ustache ? — Hélas, le pauvre b… est en train de délinguer de la poitrine. — De disliquare.

DELPHINATI. — Delphinati coquinati. La forme « latine » de ce proverbe anti-dauphinois me semble indiquer une origine de séminaire.

DEMANDER. — Demander à ce que. Faute grossière que commet maint journaliste. Je demande à ce que l’on vote sur ma proposition. Formule règlementaire dans les assemblées et corps délibérants.

DÉMANGOGNER (SE), v. pr. — Se démener avec des mouvements dislocatoires. J’ons été au cirque. Y a de grands couyons que se démangognent. Si te voyais ça ! — Mot fait sur le patois manço, manche, de manicum. Se démangogner, littéralement se démancher.

DÉMARCOURER (SE), v. pr. — Se maucœurer, s’abimer de chagrin. La petite Lympe était aux cent coups de ce que son prétendu l’avait lâchée, landis que sa bonne amie Zélie épousait le sien. C’est pas juste que je soye si malhureuse, et que la Zélie soye si n’hureuse ! disait-elle tout en pleurs. — Faut pas te démarcourer comme ça, répondait Mlle Filandouille, plus âgée, et qui avait de l’expérience, te feras la connaissance de se n’homme.

DÉMATINER (SE), v. pr. — Se lever de grand matin. J’ai connu un bon-papa qui avait depuis peu marié son petit-fils. Mes enfants, disait-il aux jeunes mariés, prenez l’habitude de vous dématiner. Ce que j’en dis, ce n’est pas pour vous empêcher de vous reposer : au contraire.

DÉNENET, ETTE, s. — Qui s’agite beaucoup, vif, alerte, empressé, trop empressé. Nasie et Titine avaient quatorze ans. Je leur demandais un jour comment elles voulaient leur mari. Titine répondit : J’en voudrais un qui porterait cent livres à bras tendu. — Moi, fit Nasie, souriant finement, je voudrais un petit démenet. — Sub. verbal de démener. Comp. le vieux franç. endemené. « Or ces deux cousines s’estans gouuernees la nuict ie ne scai comment, ou estans maugesantes et endemenees, se trouuent toutes descouuertes dessus le lict. » (Bouchet.) — Voyez aussi Regnier, sat. XI.

DEMEURANCE, s. f. — Logis, domicile. C’est du vieux français.

DEMI-AUNE, s. f. — Le bras, Allonger la demi-aune, Mendier. (P. B.)

DEMOISELLE. Voy. dame.

DENT. — Mettre ses dents. — Votre dernier mami a-t-il mis toutes ses dents ? Un mami ne se met pas lui-même ses dents, d’accord, mais il se les fabrique encore moins. Pourtant Faire ses dents se trouve dans Littré.

La bonne Mme Pelossard me disait avec orgueil : J’ai encore toutes mes dents moyennant deux ou trois qui me manquent.

Une dent d’en bas, Une dent d’en haut, Dent de la mâchoire supérieure, Dent de la mâchoire inférieure.

J’ai une dent qui me manque. Voy. avoir.

La dent de l’œil. Parait qu’il faut dire la dent œillère. Il me semble que, pour changer, c’est la même chose, puisque les dictionnaires traduisent œillère, par « de l’œil ».

Avoir les dents longues, au fig. Avoir très faim. Avoir les dents longues comme les dents d’un râteau, au propre Ne les avoir pas courtes ; au fig. Avoir horriblement faim.

Mal de dents, mal d’amour. — Nous avons à Lyon divers remèdes pour le mal de dents. Un des plus assurés, c’est de prendre une pomme calvire entre les dents et de mettre la tête devant la gueule d’un four. Lorsque la pomme est cuite, le mal de dents est guéri. D’aucuns préfèrent se mettre la pomme dans la bouche et s’asseoir sur le poêle jusqu’à tant qu’elle soit cuite.

Un autre moyen qui n’est pas mauvais, c’est de prendre un pavé en silex, comme ceux qui servaient jadis à paver nos rues. Vous le lavez avec soin, puis vous le prenez de la main gauche et le tenez derrière la tête. De la main droite vous frictionnez doucement le caillou de manière à le faire fondre. Quand il est fondu, c’est bien rare si l’on n’est pas soulagé.

Voilà les remèdes pour le mal de dents. Pour le mal d’amour : en aimer une autre.

Dent de peigne, terme de canuserie, Intervalle entre deux des lamelles d’acier composant le peigne.

Dent corrompue, Dent du peigne qui a plus ou moins que le nombre des fils voulus.

DÉPARLER, v. n. — Dire des sornettes, des choses qui n’ont pas le sens commun. Te dis que les majors en sav’ autant que les rhabilleurs ! Te déparles ! — Le préfixe exprime ici le contraire du thème. Déparler, parler comme si l’on ne parlait pas.

DÉPART. — Être sur son départ, Être sur le point de partir pour un voyage. — Pardon, chère Madame, de vous faire une visite en courant d’air, nous sommes sur notre départ.

DÉPASSER. — Dépasser sa trame, terme de canuserie. Lorsqu’on s’aperçoit qu’il y a un bousillage dans la façure, on dépasse sa trame jusqu’au défaut pour recommencer le travail. Au fig. se dit quand on a fait une fausse manœuvre. Ma fenne qu’a fait un bousiyage : alle s’est blessée ! — Ben quoi ! faut dépasser la trame pour recommencer, mon pauv’ vieux !

DÉPATROUILLER (SE) v. pr. — Se débrouiller, se tirer d’embarras. Le Pothin s’est enfin dépatrouillé de la Catherine. C’est pas trop tôt ! — Se dépatrouiller, cesser de patrouiller.

DÉPÊCHER. — Dépêchez-vous vite. On dit que c’est une faute. Pourtant il y a des fois que, si l’on veut bien faire, il faut se dépêcher doucement. C’est le moyen d’aller plus vite.

DÉPENDEUR. — Dépendeur d’andouilles. Voy. andouille.

DÉPILLANDRER, v. a. — Mettre en pillandre, déchirer, dégueniller. Une dame ne doit jamais sortir dépillandrée, même pour faire son marché ou aller à la première messe. Ce n’est pas convenable. As-te vu la Glaudine ce matin, comme elle était dépiyandrée ! On lui aurait accroché toutes les cuillères à pot du quartier ! Voilà des observations qu’on ne doit pas s’attirer. — De pillandre.

DÉPILLOCHER, ÉPILLOCHER, PILLOCHER, v. a. — Enlever avec peine et minutie l’écorce, la peau de quelque chose. « Quand i vous vient de langues de chat, de mensonges autour de z’ongles, faut pas s’amuser à les dépillocher, ça fait venir de postumes, ou de rognes, si c’est dans les froids. » (Conseils d’un grand-père à ses petits-enfants.) — Dépillocher de fiageôles, de pesettes, ôter la dorse. « Ne pilloche don pas c’t’ orange avè tes doigts qu’on dirait le cul de la casse. » (Mme de Genlis : Recommandations d’une mère à sa fille.) — « Il ne faut jamais trop épillocher les grands hommes, on risque d’en trouver de petits dessous. » (La Rochefoucauld.) — De pellem.

DÉPOITRAILLÉ, ÉE, adj. — J’ai été au bal de Mme de Saint-Bavons. Les dames étaient si tellement dépoitraillées que ça faisait regret.

DÉPONDRE, v. a. — Se dit lorsqu’on rompt un lien qui tenait une chose suspendue. Glaudius, va don me dépondre un saucisson du plancher ! Ou encore : Tention, Nasie, ta jupe qu’est dépondue !

Se dépondre le cou, Se rompre le cou.

Se dépondre le gigier, Se dépondre la corée (voy. corée). C’est de mauvaises maladies.

Dépondre une croûte, Manger un morceau. Comp. casser une croûte.

Il ne dépond pas de parler, Il ne décesse pas de parler. — De deponere, comme appondre de ad ponere.

DÉPONTELER, v. a. — Enlever les ponteaux qui retiennent le variement du métier (voy. ponteau).

Se dépondre le gigier, l’estôme. Ceux qui connaissent l’anatomie savent que l’estôme est appondu au brichet. Mais tout le monde ne sait pas que, comme il gasserait manquablement dansle coffre, il est retenu des deux côtés par des ponteaux. Des fois un ponteau se lâche. C’est des fois d’une forçure, plus souvent de misère. Ça arrive surtout aux enfants de quatorze à quinze ans, qui sont ch’tis. Alors ils maigrissent, n’ont plus d’appétit, prennent les lèvres pâles, et souvent finissent par délinguer. Malheureusement les majors n’y connaissent rien. Mais M. Chrétien avait de remèdes et de bons remèdes. Je crois vous rendre service en vous indiquant le remède pour le gigier dépontelé. Vous faites frire à la poêle un bon morceau de lard et vous versez la graisse toute chaude dans une bouteille de bon vin vieux. Tous les matins, vous en faites boire deux grands verres au malade, après avoir bien gassé la bouteille. Il ronfle du nez là-dessus pendant trois heures à poings fermés, et quand il se réveille, la tête lui tourne un peu. Mais ça ne fait rien. — Avec ça, bien entendu, le remède que nous portons tous avec nous (ça, c’est pour toutes les maladies). Puis vous lui frottez tous les jours le brichet avec de la graisse de chrétien (malheureusement on ne peut plus s’en procurer). Après deux mois de ce régime, c’est bien rare si votre gone ne reprend pas de couleurs. C’est signe que le ponteau lâché commence à se recaler.

Au fig. J’ai l’estomac tout dépontelé, J’ai une faim dévorante.

DÉPOTENTER (SE), v. pr. — S’épuiser en efforts, s’abîmer, s’anéantir. Je me suis dépotenté pour monter cette bareille. Ou bien : Je me suis dépotenté pour faire plaisir à la bourgeoise. — De potentem. C’est un mot de formation savante.

DEPUIS. — Depuis lors, blâmé par des écrivains suisses comme une locution incorrectement employée par Rousseau, est considéré avec raison par Littré comme correct au même titre que dès lors.

Depuis vous, depuis lui. Ellipse pour « depuis que je vous ai vu, depuis que je l’ai vu ». Depuis toi, j’ai-t-ayu une poire à deux yeux. Devine ce que c’est ! — Un gone ? — Non — Une bôye ? — Ah, finaud, on te l’avait dit !

DÉRANGER. — Déranger une jeune personne, La faire sortir de ses devoirs. Te sais pas ? Y a le Guiyaume qu’a dérangé la demoiselle aux Pouillon ! — Plaît-i ? Alors c’est saint Joset qu’a dérangé la Putiphar ? Hi, hi, hi !

Se déranger, Commencer à se mal conduire.

En visite. La maîtresse de maison : M. Oscar, voulez-vous vous rafraichir ? — Merci, Madame, ne vous dérangez pas ! — Oh, y a ben longtemps que je suis dérangée !

Être dérangé, parlant par respect, Avoir la vasivite. Cete courle, avè cete tripaille m’ont dérangé. On dit aussi Avoir le ventre dérangé, mais plus élégamment Avoir le ventre en liaque.

DERNE, s. m, — Pie-grièche. Méchant comme un derne.

DERNIER. — En dernier. Ellipse pour « en dernier lieu ». Il habitait en dernier le cul-de-sac Saint-Charles.

DERNIER, DARNIER, DARGNIÉ, s. m. — 1. Derrière, dans tous les sens. Tomber sur son dernier, Demeurer sur le darnier. On lit dans une délibération du Consulat, du 15 septembre 1509 : « … Ou (au) moyen de quoi plusieurs, ayant des dictes galleries sur la Saône, sont découverts par le derrenier de leurs maisons. »

Les bonnes religieuses de Marlhes, célèbres dans tout le diocèse, étaient trop instruites pour dire derrenier. Un jour qu’elles faisaient visiter à S. E. Mgr le cardinal de Bonald leur couvent, qui était sens dessus dessous, à cause des réparations : Monseigneur, dit humblement la supérieure, voilà le devant du bâtiment ; nous vous montrerions bien le derrière mais il n’est pas propre. Je tiens la gosse de l’excellent abbé Beaujolin, alors grand-vicaire du cardinal. Il avait une manière de la dire inimitable.

2. Adv. « L’amoureux, qu’était caché à grabotton dargnié le chevessié du lit de la mama, arrive tout couâme. » (La Seduction reparée.)

Derrenier, darnier est dérivé de l’ancien français derrain, qui signifiait derrière, de deretranus, fait sur retro.

DÉROCHER (SE), v. pr. — Tomber d’un lieu élevé. — Vieux franç. desrocher, de roche, pris au sens d’escarpement, de sommet. Latin du moyen âge derochare.

DÉSABONNER. — Abonnez-vous à un journal, c’est français, mais vous êtes obligé de le garder, car vous y désabonner n’est plus français. Entre nous, il faut que le Dict. de l’Acad. soit fait avec quelque légèreté pour qu’on n’y ait pas inséré ce mot, qui figure dans Littré, mais que Landais, Barré, Bescherelle ne connaissent pas plus que l’Académie ne le connaît !

DÉSACUTIR, DÉSENCUTIR, v. a. — Faire perdre l’habitude d’être acuti. La Marion a eu tôt fait de désacuti le Georget. Il est maintenant démenet comme de vif-argent.

DÉSAMASSER, v. a. — Dissiper, gaspiller. Il a désamassé tout ce que son père lui avait laissé.

DÉSASSORTIR, IE. — Rappelez-vous que, — de par les grammairiens. — de la marchandise, de la porcelaine, par exemple, peut être désassortie, mais un marchand, jamais. — C’est extraordinaire, dites-vous, j’en ai vu cependant qui n’avaient pas grand’chose en magasin. Ça ne consiste en rien.

DESCENDRE. — Descendre en bas. N’est toléré que dans cette expression : Descendre en bas de soie.

Descendre la garde, Mourir. Cela se comprend : on quitte son « poste ». Se dit quelquefois pour tomber : J’ai descendu la garde jusqu’en bas des escaliers du Change.

DESCENTE. — Descente de gosier. Sorte de maladie très grave. On l’a souvent sur le coup de quinze ans. — Comment va Flapouille ? — Oh, il est bien malade ; il a une descente de gosier : quand il croit mâcher, il avale. Dicton pour exprimer qu’on est d’un si gros appétit que les morceaux s’engouffrent dans la gargagnole avant qu’on ait le temps de les mâcher.

DÉSHABILLER. — Il ne faut pas se déshabiller avant que de se coucher. Manière de dire qu’il ne faut pas céder son bien avant de mourir.

DÉSONDRER, v. a. — Gâter, abimer, défigurer. Ta prétendue est-elle jolie ? — Elle n’est pas mal, seulement qu’elle a un œil crevé et la bouche en Mort-qui-file, ce qui la désondre un petit peu. À ceux qui ont des ronfles de longueur, nous leur disons en commun proverbe, par manière de consolation :

Jamais un grand clocher n’a désondré village,
Ni grand nez désondré visage.

De dishonorare.

DESSAMPILLER, v. a. — Mettre en sampilles, en lambeaux. La m’man : Te vas faire la polisse sur le port avec des pas-rien, puis te me reviens tout dessampillé ! Attatends ! C’est moi que je vas te dessampiller les fesses ! — C’est sampiller avec préfixe intensif de.

DESSINANDIER, s. m.— Dessinateur. Le célèbre Bony était connu sous le nom de Jean-François Bony, dessinandier de Givors, parce que son père, un bon cu-de-piau de Givors, étant venu voir son fils à l’École de dessin, avait demandé tout le long de sa route, à partir de la Mulatière : Connaissivos pôs Jean-François Bony, dessinandier de Givors ?

Un dessinateur est un qui dessine. Un dessinandier est un qui fait sa profession de dessiner. Le suffixe andier, au lieu de ier, est ici par analogie avec battandier, dinandier.

DESSORCELER, v. a. — Désensorceler. — Fait sur le vieux franç. sorceler, tandis que désensorceler est fait sur ensorceler.

DESSUS DE LIT. -— Grande couverte en étoffe, qu’on étend sur le lit quand il est fait, et qui recouvre tout. C’est le cache-guenilles du lit.

DET, s. m. — Gros det. Voy. sous cortiaud.

DÉTACHER, v. a. — Lever les taches d’un vêtement avec de l’eau à détacher. Dans mon enfance, un marchand d’eau et de savon à détacher avait ouvert en rue Mercière un étalage qui avait pour enseigne Au fort détaché. C’était le moment de la discussion des fortifications de Paris, où il était constamment question des forts détachés.

DÉTOUR. — Se faire un détour, se donner un détour, Se faire une entorse, se fouler un muscle. Quand on s’est fait un détour, il faut vite aller chez le rhabilleur. — De ce que le nerf (que vous appelez muscle) a été détourné de sa place, comme cela se comprend oculiquement.

DÉTRANCANER, v. a. — 1. Trancaner (voy. ce mot).

2. Déménager, avoir l’esprit qui se dérange. Te sais, y a Melachon qu’on va mener à l’Antiquaille ; i détrancane. — L’idée d’un objet déplacé se lie dans le peuple à l’idée d’esprit troublé. À détrancaner comp. déménager.

DÉTRANCANOIR, s. m. — Trancanoir (voy. ce mot).

DETTES. — Se mettre dans les dettes, S’endetter. Comp. l’allem. Sich in Schulden stecken.

DEUX. — Deux sur dix, Formule cabalistique que nos marchands emploient pour recommander à leurs commis de veiller sur l’acheteur dont on soupçonne la probité. M. Auguste, les foulards ! Voyez numéro 7943 ! deux sur dix ! C’est-à-dire deux yeux sur dix doigts.

L’excellent père X…, le drapier si connu à Lyon, et si estimé pour sa grande piété, avait une formule latine pour une recommandation d’un autre ordre. Un de ses commis était-il en train de vendre une pièce de drap à quelque acheteur peu exact à solder ses factures, il se promenait autour de la banque en scandant à mi-voix : Pagare lantare, salare. — « Qu’est-ce que dit donc M. X… ? faisait le client. — — Oh ! faites pas attention, répondait le commis, il dit sa prière. »

DÉVA. — Bonjour, comment ça va ? — Ça ne vas pas, ça déva, répond l’interlocuteur, qui se sent atteint d’un mal profond.

DEVANT. — En beau devant. Voy. beau. Avoir quelque chose devant soi, Être bien dans ses affaires, avoir de quoi, être moyenné. — La Toinon épouse le fils Acoqua. C’est un bon parti. Une fille est déjà bien heureuse quand son homme a quelque chose devant soi.

DEVANTI, s. m. — Tablier. Appare voire c’t’orange dans ton devanti ! — Vieux franç. devantier.

DEVENIR. — Devenir mort.Qu’est don devenu le père Flaquet ! — Il est devenu mort. On ne le dirait pas de quelqu’un qui vient de mourir. — Pourquoi peut-on « devenir vieux », et ne peut-on pas « devenir mort » ? Cela se ressemble tant !

Cf. en Lorraine : C’est votre fils, madame ? Comme il est venu grand !

DEVERS, prép. — De. Je suis devers Ampuis, Je suis d’Ampuis.

DEV…ER (parlant par respect) v. a., terme bas. — Se dit d’airer une chambre pour chasser le mauvais air. Tous les matins, à cinq heures, j’ouvre les deux fenêtres pour dév…er notre chambre. C’est une bonne habitude.

DÉVIANDÉ, ÉE, adj. — Amaigri. J’ai vu le pauvre Maquia ; il est bien déviandé.

DÉVISAGER, v. a. — Dévisager quelqu’un, Le regarder fixement et longtemps. Je sais pas ce qu’avait c’te dame de me dévisager comme ça ! — C’est p’tête mame Putiphâ que te prenait pour saint Joset ? Hi. hi, hi ! — C’est le franç. dévisager pris métaphoriquement. Dévisager quelqu’un, c’est lui abîmer le visage à force de le regarder.

DEVISE, s. f. — Nom que nous donnons aux rébus qui enveloppent les papillotes. Si te prends de papillotes, manque pas de les prendre avè de devises.

DÉVOUEMENT, s m. — « Flux de ventre ; dites dévoiement. » Ô monsieur Molard ! quelle grossièreté de langage ! Vous n’avez donc pas compris le sentiment de pudeur délicate qui faisait dire aux Lyonnais dévouement pour dévoiement ! — Après cela, je confesse qu’on rencontre plus souvent le second que le premier.

DIABLE, s. m. — 1. Chariot très bas, à quatre roues massives en fer ou fonte, qui sert, dans les chantiers, à barder les blocs de taille ou les moellons.

2. Sorte de brouette à deux roues, sans caisse, avec un large rebord en fer par devant, et dont on se sert pour le maniement des ballots de soie. En élevant les brancards verticalement, le rebord touche le sol. On fait reposer le ballot sur le rebord, et en abaissant les brancards, le ballot se trouve tout chargé.

3. Sorte de couvercle en tôle, auquel est ajusté un tuyau étroit, et qu’on place sur le trou du potager pour, en activant le tirage, allumer la charbonnaille.

4. Sorte de toupie qui ronfle en tournant.

Les rapports de 1 et 2 avec le diable me paraissent vagues. Pour le 3, on saisit très bien que l’instrument, en attisant le feu, fasse le service du diable, dont c’est la fonction particulière.

Diable boiteux, Jeu des gones.

C’est là le diable : c’est là que les chats se peignent.

Le diable marie ses filles. Se dit lorsqu’il fait des alternatives de soleil et de pluie. Il m’est impossible de saisir la relation d’idées. Il doit y en avoir une cependant.

DIES IRAE. — Ressembler à un Dies irae, Avoir une mine funèbre, dure et triste. Nos bons canuts n’ont jamais ressemblé à un Dies irae.

DIFFÉRER v. n. — 1. Disconvenir. Ne s’emploie que négativement. Je n’en diffère pas, Je n’en disconviens pas. L’idée est : « Je ne diffère pas d’avis. »

2. Refuser (toujours avec la négation). Je ne diffère pas d’y aller ne veut pas dire : « J’y vais sans différer », mais : « Je ne refuse pas d’y aller. » — Vieux franç. differer, qui, employé au neutre, avait la signification de diverger d’opinion : « Lorsque le roi d’Angleterre vey ainsi murmurer et differer son clergié. »

DIGÉRÉ. — Ce qui est digéré n’est pas perdu. Proverbe d’un usage courant sur le Plateau, mais qui nous vient de Vénissieux.

DILIGENTER (SE), v. pr. — Faire diligence.

DIMANCHE. — Dans mon jeune temps le populaire le faisait toujours féminin, comme il l’est encore dans nos patois sous la forme dimingi. Le couplet final de la Crèche se terminait ainsi :

Dans le doux espoir
De venir nous voir
Le jeudi et la dimanche !

L’emploi du féminin n’est point une incorrection. C’est au contraire la vraie forme issue du latin : Dies dominica.

DIMIER, s. m. — Au temps de Molard on était assez près de l’ancien régime pour savoir ce que c’était qu’un dimier, c’est-à-dire celui qui percevait les dimes. On voit combien à Lyon les vieux mots s’étaient conservés, car dismier, qui figure dans Cotgrave, n’est plus au Dictionn. de l’Acad. de 1694. Mais Trévoux (1743) le donne avec le signe « vieilli ». Aujourd’hui dimier, et encore moins dixmeur, qu’exige Molard, ne seraient compris de personne.

DINDE. — Un dinde, au lieu de une dinde. On a conservé le genre de coq d’Inde, seul mot admis au xviie siècle. Dinde est devenu une simple abréviation du mot. Dugas de Saint-Just, qui était Lyonnais, ne manque pas d’écrire « un dinde ». (Paris, Versailles, etc. t. II, p. 223.)

DINDON. — Être le dindon de la farce, Être dupe. Ce dicton doit avoir une origine historique, et se rapporter à une farce ou une pièce comique, où un dindon jouait un rôle.

DINER. — Un diner à ch… partout (parlant par respect). Expression élogieuse, usitée dans la meilleure compagnie, pour un très beau diner.

DINGUER. — Envoyer dinguer. Faire dinguer, Rejeter au loin. Il a voulu faire son malin, mais je l’ai envoyé dinguer dans les z’écommuns. — Onomatopée ding, parce que, en repoussant le de cujus, on l’envoie cogner de la tête contre quelque chose de dur.

DIRAIT. — Comme qui dirait, loc. adv., En apparence, censément, pour ainsi dire. Il est venu un mecieu avè une serviette sous le bras. — Alors, c’est un garçon de café. — Non, comme qui dirait un notaire.

DIRE. — Ce n’est pas pour dire. Sorte de précaution oratoire. C’est pas pour dire, mais M. Couyasson, si la porte du paradis n’est pas plus n’haute que celle de Fourvières, je crois bien qu’i pourra jamais entrer sans se baisser !

Ça ne me dit rien, Elle ne me dit rien, Ça ou elle ne m’inspire aucune envie. C’est exactement le mot de Gœthe : Hübsch ist sie wohl, doch sagt sie mir nicht zu, « Elle est vraiment jolie, mais elle ne me dit pas. » Seulement, zusagen est dérivé à « plaire ».

Il est vrai de dire est condamné par les grammairiens. Il est vrai de dire que c’est un pléonasme.

Au lieu de ce n’est pas pour dire, on emploie volontiers la locution : Ce n’est par pour la chose de dire. Cette dernière tournure est plus élégante.

On vous le saura à dire, On vous le saura dire. Analogie avec le français « On vous le fera à savoir ».

Sur dix pièces qui sont rentrées au magasin aujourd’hui, je n’en ai trouvé qu’une à dire. pour Où il y eût quelque chose à dire. Cette curieuse locution existait déjà au xviiie siècle}.

DISPENSER, v. a. — Dépenser — C’est le sens primitif du franç. dispenser, répartir, distribuer (Il dispensa son bien aux pauvres) ; d’où, par extension, employer de l’argent à quelque chose.

DODON. — Nom de femme. Une des sœurs de mon grand-père, Barthélemy Puitspelu, passementier, se nommait Dodon. Canuse de son état, c’était une personnalité curieusement poétique. — Dodon, qui serait mieux orthographié Daudon, est l’ancien nom de femme Claude, avec le suffixe on. Comp. Françon, Pernon.

DOIGT. — Nom des doigts. Voy. sous cortiaud.

Avoir un doigt sans connaissance. Voy. connaissance.

On s’en lècherait les cinq doigts et le pouce. Se dit de quelque chose de franc bon. Au fig. Comment que te trouves la Fanchette ? — On s’en licherait les cinq doigts et le pouce !

Doigts-de-morts, Corconères, salsifis. — À cause de leur forme effilée et de leur couleur blanche. Image gracieuse pour exciter l’appétit.

DÔME. — Dôme de poêle, Gros couvercle en tôle, de forme cylindrique, qui sert à recouvrir la marmite sur le poêle pour faciliter la cuisson. Dans les maisons riches, il monte et descend à l’aide d’une poulie.

DONC. — Particule explétive si naturelle que j’en ai usé tout le long de l’ouvrage, sans même penser à l’enregistrer. M. Greluchard, donc qu’il est aujourd’hui député, signifie : « M. Greluchard qui est aujourd’hui député. » Mais donc, sans changer le sens, le renforce. Il semble dire : « Remarquez bien que, etc. »

DONDON, s. f. — Grosse fille un peu courte, réjouie. On le trouve dans Scarron. — Du vieux franç. dondaine, cornemuse. Une fille enflée comme une cornemuse. Aussi, dans nos patois, dondon a le double sens de musique et de grosse femme.

DONNER. — S’en donner, Se livrer avec rage à un travail, à un plaisir, etc. En sous-entend l’objet dont on s’occupe. Comp. l’argot : s’en payer une tranche. En ménage, disait mon bourgeois, qui était la sagesse même, il ne faut jamais trop s’en donner.

Donner coup. Voy. coup.

Frapper, darder. Le soleil donne sur le toit de la maison. Au fig. Tu nous donnes sur le tempérament, Tu nous enquiquines. L’expression se retrouve partout, mais elle ne figure pas dans les dictionnaires.

Tout ce que le bon Dieu lui a donné, c’est-à-dire tout ce qui est l’attribut de son sexe ou sis aux environs. Se dit surtout à propos des enfants : Pauline, veux-tu bien pas faire le trébicholet comme ça ! tu montres tout ce que le bon Dieu t’a donné !

DORMILLE, s. f. — Loche franche, poisson. — Ainsi nommé de ses habitudes nonchalantes qui le font sembler dormir.

DORSE, s. f. — Gousse, cosse. De dorses de fiageôles, des gousses de haricot. — De dorsum, qui, réduit à dossum, avait pris le sens de pellis. Cotgrave a dosse d’ail.

Dorse d’ail est toujours du bon parler dans les ménages lyonnais. (M. D.)

DOUBLE, s. f. — Gras-double. Molard dit que « Richelet reconnait les deux mots et les distingue », mais mon édition de Richelet (Amsterdam, 1706) ne contient que gras-double. Il en est de même de tous les dictionnaires que je connais des sviie et sviiie siècles.

Double à la lyonnaise, Double sautée à la poêle avec de petits oignons. Chenu !

DOUBLOIR, s. m., terme de canuserie. — Ustensiles pour porter les roquets lorsqu’on fait les canettes. — De ce que le doubloir permet de mettre plusieurs bouts à la trâme, de la doubler.

DOUCE. — Cette femme a la peau douce comme le c… du chat. Je ne puis me porter garant de l’exactitude du dicton, n’ayant jamais eu envie de le vérifier.

Aller tout à la douce, Aller tout planplan ; ne pas être précisément malade mais ne pas être vaillant.

DOUCETTE, s. f. — La même chose que bourcette, blanchette, mâche. De ce que cette salade est douce, quand on y met peu de sel, très peu de poivre, pas de vinaigre et beaucoup d’huile. Le mot n’est pas exclusivement lyonnais.

DOUCEUR. — En douceur, Doucement, avec soin. Moule en douceur ! cri des mariniers pour « Lâche doucement la corde ! » Faut toujours prendre les femmes en douceur, disait le père Petacheux, en faisant gentiment un petit moulinet avec le martinet qu’il avait à la main.

Faire une douceur, Faire un rabais sur une marchandise. Combien c’te courle, p’pa Chaponeau ? — Une courle, mon cavaillon ! huit sous. — Vous ferez bien une petite douceur ? n’en velà quat’ sous.

Passez-moi ça en douceur, Passez-le-moi au prix le plus juste.

DOUELLE, DUELLE, s. f. — 1. Douve de tonneau. Tomber en duelles. Se dit d’un tonneau écléné dont les douves ne tiennent plus. Au fig. Je tombe en duelles, Je suis écléné, je meurs de faim.

2. Terme de construction. C’est la partie concave et la partie convexe d’un claveau d’arc, d’un voussoir de voûte, etc. — De doga, de δοχή, receptaculum.

DOULEURS. — Douleurs de l’enfantement. Quand c’te pauvre petite s’a vu aux douleurs me racontait une bonne mère, « M’man, qu’elle m’a dit, je veux pas t’y cacher plus longtemps, ça y est ! »

DRAGÉES. — Houille en morceaux plus gros que les chatilles et plus petits quele pérat (voy. chatilles).

DRAPIER, s. m. — C’est le nom que nous donnons au martin-pêcheur, pour autant que, lorsque vous l’aurez tué, il vous le faudra mettre dans votre garde-robe, au mitan de vos lainages, et qu’il empêchera les artes de s’y mettre. Je ne suis pas sûr qu’il chassera les artes, mais je suis sûr qu’il fera emboconner vos lainages.

DRAPILLES, s. f. pl. — Méchants vêtements, méchant linge. — Fait sur drap, avec un suffixe péjoratif, et qui indique l’effilochage. Comp. guenilles.

DRESSIÈRE, s. f. — Coursière, raccourci qui coupe en ligne droite d’un anneau d’une route à un autre, — Vieux franç. dressière, de drecier (directiare).

DROGASSER, v. a. — 1. Sous la forme réfléchie, signifie prendre des drogues. C’est pas étonnant qu’i soye toujou patraque ; i fait rien que de se drogasser. — 2. Altérer, en parlant des aliments. La vinasse est si tellement drogassée au jour d’aujourd’hui, qu’i gn’a plus moyen d’en boire son soûl.

DROIT, OITE, adj. — Debout. La Jeanneton avait si tellement sommeil qu’elle dormait toute droite… J’ai été obligé de rester droit tout le temps du sermon. — Proscrit par les savantasses. Il me semble pourtant qu’on n’est jamais si droit que lorsqu’on est debout.

Le père Taquenet, avè ses huitante-cinq, est droit comme un fifre. Comparaison très usitée. On dit aussi Droit comme un i.

Droit comme mon bras quand je me mouche. Le maçon : Voyez, mecieu l’architecte, si c’est bâti droit !L’architecte, pas content : Oui, comme mon bras quand je me mouche.

Droit comme la jambe d’Azor. Je disais un jour au père Trinquet, en parlant de M. Filouchard, le procureur : Pour un homme qu’est droit, je crois que c’est un homme qu’est droit. — Oui, qu’il me fit, comme la jambe d’Azor.

DRÔLE, adj. — Gentil, aimable, joli, gra- cieux, parlant des personnes. Un mami bien drôle… Une demoiselle qu’on va marier, qu’est bien drôle. Remarquer que les deux acceptions sont les mêmes en français pour le mot plaisant, qui s’entend à la fois de quelque chose qui est comique et de quelque chose qui plait.

C’est encore bien drôle c’te invention ! Cette invention est bien curieuse.

DRÔLET, ETTE, adj. — Diminutif de drôle. Vous n’avez là une demoiselle bien drôlette. — Oh elle est tout plein gentille ! Pour torcher les plats, elle a pas sa pareille !

DROUILLES, s. f. pl. — Vieilles hardes, vieilles nippes. Le commode, à le campagne, c’est que l’on peut porter toutes ses vieilles drouilles, au lieu de se mettre sur ses trente-six ; heureux encore, à Lyon lorsqu’on n’est pas obligé d’endosser son panneau et de mettre une cravate blanche pour aller dans les réunions publiques ! — Vieux franç. drilles, chiffons, avec substitution de la syllabe ouilles sous une influence préjorative. Comp fripouille et drapouille, vieux vêtements.

DRU. — Dru et menu, loc. adv., qui marque l’énergie de l’action. Le Benoît a voulu me faire contre, mais je l’ai mené dru et menu. L’expression se trouve dans Scarron. — L’idée est « en gros et en détail ».

DRUGE, s. f. — 1. Pousse excessive des végétaux. C’est la druge qui empêche ce poirier de produire. Au fig. surabondance, pléthore, excès de plaisir ou de santé, ou d’autre chose. J’ai raconté le mariage d’Agnus Poupard, et comme il était caquenano. Mais il finit par se déniaiser, et fit comme les nouveaux convertis, qui se livrent à des excès de dévotion. En quelques mois, il était devenu tout ch’ti, déviandé, un hareng sauret. Sa maman le mena chez M. Chrétien, qui connut tout de suite ce qu’il avait, et dit : C’est la druge du mariage. Il demanda si Agnus avait un oncle curé. Précisément il en avait un, curé dans le Mâconnais.

« Alors, dit M. Chrétien, faut qu’il parte tout de suite ; il servira la messe tous les matins ; il boira chaque jour au moins deux grands pots de bon vin ; le matin, pur ; le soir, sans eau ; et il mangera de gros trocs d’aloyau et de couare. Puis, comme bien s’accorde, il boira le remède « que chacun porte avec soi ». Il restera là trois mois, sans broncher, et sans recevoir de visites, que celle de sa maman. »

Fait comme dit. Les trois mois parachevés, Agnus était florissant. Il te vous avait un visage, un vrai cul de pauvre. Venu le moment de rentrer, il prit la voiture de Casse-talon, pour aller à Mâcon, où il devait trouver les vapeurs. Voilà qu’en passant devers un pré, il voit un âne en train de faire sa déclaration à une ânesse. Oh, toi, que fit Agnus, si t’as pas un oncle curé, je t’en donne pas pour six mois !

Du celtique : kymri drud, vigoureux ; gaëlique druth, pétulant.

2. Fumier, engrais. — Armoricain druz, gras, en parlant de la terre ; druza, graisser, engraisser. Évidemment le même que le kymri drud.

Être dans ses druges, Être sous le coup d’une violente exitation. Se dit des chats quand ils ont leurs nerfs, qu’ils bondissent, qu’ils ne peuvent tenir en place, qu’ils soufflent, etc.

Se plaindre de druge, Se plaindre de trop de bien-être, de l’excès d’amour de sa femme, etc. En un mot, se plaindre que la mariée est trop belle.

DRUGEON, s. m. — Pousse, rejeton au pied d’un vieil arbre. — De druge ; ou de drageon, influencé par druge.

DRUGER, v. n. — 1. Pousser surabondamment. Sur son exemplaire de Molard, Chanoine a écrit en marge : « On dit en patois du Dauphiné un champ druge pour dire qu’il est fertile, abondant, riche. »

2. Bondir, sauter, s’amuser par des sauts précipités. Ces gones drugent toute la sainte journée… Qu’a don le miron à druger comme ça ?

3. Tromper, gourer, mettre dedans. Ce pauvre b… de Godivaisse s’est-i pas fait druger au Panama ?

Pour 1 et 2, de druge. Pour 3, du vieux haut allem. trugt, tromper.

DRUGEUR, EUSE, s. — Trompeur, euse. — De druger 3.

, s. m. — Avoir des dûs. Avoir des dettes. Il lui a payé son dû, Il lui a payé sa dette. — Excellente « substantification » du participe de devoir. Comp. faire son crû.

DUBELLOIRE, s. f. — Cafetière en terre dite grès, avec passoire de même nature. Origine historique. Ces cafetières ont été inventées par du Belloy ou Dubelloy, corrompu en Dubelloire, à l’aide du suffixe oire, qui s’applique aux objets moyens d’action. Comp. passoire, araignoir.

DU DEPUIS. — Depuis lors. Vous nous sons brouillés à ma noce, qu’i baisait ma femme comme du pain chaud. Nous nous sons pas revus du depuis. — C’est un archaïsme. « Votre âme, du depuis, ailleurs s’est engagée, » dit le grand Corneille.

DUR. — Dur à la détente. Se dit d’un homme qu’il faut instamment solliciter pour lui faire desserrer sa filoche. Il est bon enfant, mais dur à la détente. L’avare est comparé à une arme à feu dont il faut presser fortement la détente pour la faire partir. On dit encore : Il a un vipère dans la poche. (P. B.)