Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Lettre E

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Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 142-157).
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E


EAU. — Il va y avoir de l’eau. Euphémisme pour : Il va pleuvoir. On dit aussi : Il va tomber de l’eau ; mais le meilleur est : Il va y avoir du bouillon de chien.

De l’autre côté de l’eau. Voy. côté.

EAU BLANCHE. — Eau-de-vie anisée. Ainsi nommée de ce que, lorsque cette eau-de-vie est mêlée d’eau, le breuvage prend une belle couleur blanche, quoique l’eau-de-vie soit en elle-même parfaitement limpide. Nous l’appelons plus simplement anisette. Ne pas confondre avec l’anisette de Bordeaux. Il me souvient de la déception que j’éprouvai lorsque, après une longue marche, je demandai de l’anisette et de l’eau dans un cabaret devers Chaponost et que je vis tomber de la bouteille dans mon verre une liqueur chaude et visqueuse. Pas moins le fus-je, déçu, à Paris, lorsque demandant de l’eau blanche dans un beau café, le garçon me répondit que c’était les pharmaciens qui tenaient ça. Le caquenano croyait que je voulais de l’extrait de Saturne.

ÉBERCHÉ, ÉE, adj. — Ébréché, ée. On dit plus élégamment berchu.

ÉBERCHURE, s. f. — Faire une éberchure à un coupon… Faire une éberchure à se n’honneur (en parlant des filles). — Répond à un français ébréchure, de brèche, qui manque.

ÉBISER (S’), v. pr. — S’entrecuire par l’effet de la bise. La bise froide rend la peau rèche comme une peau de raquin ; et si, avec cela, on a des culottes en étoffe roide, et qu’on fasse une longue marche, le frottement ébise, parlant par respect, la face interne des cuisses, la talle, et que ce n’est pas canant du tout.

ÉBOUILLANTER, v. a. — Jeter de l’eau bouillante sur un légume pour lui enlever son âpreté avant de le faire cuire. Ébouillanter des viédazes. On ébouillante aussi les cayons tués pour enlever le poil. S’ébouillanter les clapotons, Se laisser tomber de l’eau bouillante sur les pieds, comme cela arrive des fois aux poches-grasses, qui sont adroites comme l’oiseau de saint Luc.

ÉBÔYER (S’) (ébô-yié), v. pr. — S’éventrer, se crever. S’emploie aussi au neutre. Y a Pillandreau que nous a conté de gandoises à faire éboyer de rire… Une canette que s’ébôye, Canette qui n’est pas assez serrée, et dont le ventre s’ouvre. Au fig. Se démarcourer, se laisser abattre. Allons, t’ébôye pas comme une canette de borriau ! — De bôyes, boyaux, S’éboyer, perdre ses boyaux.

ÉBRAVAGÉ, ÉE, adj. — 1. Fourachaux, écervelé. Le Glaudius a fait l’ébravagé avec toutes ces manifestances. I s’est fait caler à la Cave.

2. Fou d’émotion, d’épouvante. Ma fenne est tout ébravagée des coups de tonnerre. — De ravager.

ÉCAFOIRER v. a. Voy. cafoiré.

ÉCARRER, v. a. — Écarrer une pièce de bois, L’équarrir. Mot tout naturellement formé par analogie avec carré.

ÉCHAILLER, v. a., terme de construction. — Échailler une voûte, Garnir les joints en-dessus avec des échailles que l’on cogne au marteau, afin de donner artificiellement aux moellons la coupe de claveaux. — Fait sur échailles.

ÉCHAILLES, s. f. pl. — Petits éclats de pierre minces qui servent à garnir les voûtes. — Forme d’écailles.

ÉCHANTILLER, v. n., terme de canuserie. — Compter le nombre de grammes de trame employée au mètre ; à celle fin de savoir combien il en faut pour la pièce.

ÉCHANTILLON, s. m. — Chenevotte. Depuis qu’on a inventé les allumettes chimiques, les échantillons sont inconnus. — De cannabum, par une forme languedocienne cande, candi.

ÉCHAPPE, adj. des 2 g. — Échappé, sauvé. Le père Pitanchardier va mieux ; le médecin a dit qu’il était échappe. — Adj. verbal d’échapper. Comp. arrête.

ÉCHAPPÉ. — Échappé de banquette. Se dit des fois de ceux qui ont quitté la canuserie pour devenir brasse-roquets, rondiers, voire même conseillers municipaux ou députés, et qui ne regardent plus ceux qu’ils ont connu les autres fois. Te vois pas, cete échappé de banquette, ce qu’i fait son bistaud !

ÉCHAQUER, v. a. — Écailler, en parlent d’un poisson. Je l’entendais souvent dans mon enfance. Il me parait tombé en désuétude. — Se rattache à écaille, mais la transition ne laisse pas d’être obscure.

ÉCHARPILLER. Voy. charpiller.

ÉCHELLE, s. f. — Échelle d’engin, terme de construction, — Chèvre. — Échelle, parce qu’elle a des barreaux, et d’engin parce que le nom d’engin s’applique surtout aux machines composées, destinées à élever les fardeaux. (Voir engin.)

Monter à l’échelle, S’exciter, s’emporter. Faire monter à l’échelle, S’amuser à exciter quelqu’un en le mettant sur des sujets où il s’emporte. C’est une plaisanterie très goûtée.

ÉCHIFFRE, ÉCHIFFE, s. f. — Écharde. Quand on se plante des échiffres, faut les tirer avec des pinces à pinceter ; sans quoi il vient de postumes ; les postumes jettent de borme, et l’on n’en voit plus la définition. — Du vieux haut allem. skivero, éclat, fragment ; allem. schieffer ; angl. shive.

ÉCHINAT, s. m. — Morceau de porc salé ; le même que le chinard (voy. ce mot). — De skina.

ÉCLAIRCIR. — Éclaicir un verre, L’approprier avec soin, le faire briller, le rendre clair, cela coule comme les Trois-Cornets.

Éclaircir le linge, Le passer par l’eau, avant de le mettre au sale, afin d’enlever le plus gros, et qu’il n’emboconne pas en attendant la prochaine buye. La femme forte, nous dit l’Écriture, ne faillait jamais à faire éclaircir son linge sale.

ÉCLAIRER, v. a. — Allumer : Éclairer le poêle, Éclairer le chelu.

ÉCLAPER, v. a. — Faire des éclats de bois à la hache. Au fig. Mettre en morceaux, abîmer. Cette pauvre fenne est tombée par les escaliers en allant aux z’écommuns ; elle s’est tout éclapée. — On a de la peine à ne pas voir dans éclaper un parent d’éclater, quoiqu’on ne s’explique pas bien sous quelle influence la finale per a pu être substituée à ter.

ÉCLAPES, s. f. pl. — Éclats de bois détachés à la hache. Une vieille enseigne de la rue Grenette représentait un mami portant des morceaux de bois, avec cette inscription : À l’éclape. — Subst. verbal d’éclaper.

ÉCLÉNÉ, ÉE, adj. — Se dit d’un vaisseau dont les douves laissent échapper le liquide par suite de leur dessiccation. Écléné comme une vieille benne. Au fig. Abattu, harrassé, hors de service. Je me suis rien metu dans le gigier d’aujourd’hui. Je suis tout écléné ; je vais tomber en duelles !

ÉCOINÇON, s. m., terme de construction. — Pierre mince posée sur chant, pour faire l’angle intérieur d’un jambage de croisée dans la hauteur de la formette. — De coin.

ÉCOMMUNS. Voyez Communs. — Écommuns s’emploie plus volontiers en poésie, comme plus euphonique.

ÉCORCHER. — Écorcher un pou pour en avoir la peau. Se dit des personnes qui ne sont pas magnifiques par tempérament.

ÉCOUPEAUX, s. m. pl. — Copeaux. Le mot est si usité chez nous que, dans son Dictionnaire, Cochard traduit éclapia par « écoupeau » (ce qui, par parenthèse, n’est pas exact). — Coupeau est une forme archaïque, et é est un préfixe explétif, que nous plaçons quelquefois devant c. Comp. écommuns.

ÉCOUTER (S’), v. pr. — Se dit de quelqu’un qui se croit toujours malade, qui porte une attention exagérée au moindre bobo. La Françon qu’est encore fatiguée ! Quelle potringue ! — Faut pas trop te mercurer. Elle s’écoute si tellement ! Elle se croit morte avant d’être malade. — Expression absolument bien trouvée.

ÉCRABOUILLER. Voyez crabouiller. M. Zola, qui est du Midi, l’a trouvé si joli, qu’il l’a employé dans l’Assommoir.

ÉCRAMAILLER. Voy. cramailler.

ÉCU. — Un petit écu, Écu de trois livres. La tradition est si forte qu’aujourd’hui encore, quand on dit cent écus, cela veut dire 300 francs ; mille écus, 3.000 francs. De même nous comptons les louis par 24 francs : cent louis, 2.400 francs.

Le père Potard, notre voisin en rue Grenette, rentrait souvent soûl comme un Poméranien. Il se salissait. Pour qu’il consentit à se laisser approprier, sa femme était obligée de lui donner un écu, qu’à la vérité elle lui reprenait pendant qu’il dormait. Le lendemain, il ne se souvenait de rien. Ce trait, absolument véridique, eût produit grand effet dans un roman de M. Zola.

Écu changé, écu mangé. — À méditer, mes gones !

ÉCU DE FOULARDIER. — Pièce de dix sous. À la manille : Jouons-nous encore un pot ? — J’ai ben encore un écu de foulardier. De ce que le foulard étant un article très mal payé, les pauvres foulardiers sont obligés de faire des écus avec des pièces de dix sous.

ÉCUELLE. — Tout mettre par les écuelles, Ne négliger aucun soin, aucune dépense pour une réception, etc. À la noce de Mlle Cougnasse, les parents ont tout mis par les écuelles. Y avait de l’argenterie en maillechiore.

Haut comme quatre écuelles, Se dit d’un qui n’est pas un géant.

ÉCUME. — Hum, ça n’est pas de l’écume ! Se dit de quelque chose qui n’est pas frelaté, qui est de grande valeur. Il lui a fait cadeau d’un brillant. — Combien qu’il a coûté ? — Douze francs. — Hum, ça n’est pas de l’écume !

EFFECTIVEMENT, FECTIVEMENT. Voyez autrement. — Le fait est qu’autrement et effectivement, c’est bien à peu près la même chose.

EFFET. — Si c’était un effet de la vôtre ? Sous-entendu complaisance. Manière courtoise de demander un service. Mademoiselle, si c’était un effet de la vôtre de me faire passer mon crasse ?

EFFORT, s. m. — 1. Forçure, tension violente et douloureuse d’un muscle qui cause une douleur persistante. Je m’ai fait un effort dans la canicule en voulant retenir la grosse qu’allait s’étendre par terre à bouchon, que je peux plus branlicoter le bras.

2. Hernie. Il s’est fait un effort que lui a fait peter la basane.

EFFRANGÉ, ÉE, adj. — Effiloché. Les personnes du sexe ne doivent jamais aller dans le monde avec des jupes, des robes effrangées. Avant de quitter la maison, il faut affranchir le bord avec des ciseaux. C’est ce font toutes les dames comme il faut.

ÉGAL. — C’est égal, loc. adv., Quand même, néanmoins, quoique ça. Cornachon est allé pour prendre sa femme chez Paillardot, mais elle n’y était pas. — C’est égal, faut pas qu’i s’y fie ! Autre : J’ai débaroulé les escaliers sur le chapelet du dos, sans me faire grand mal. — C’est égal, te ferais bien de prendre d’arquebuse.

ÉGANCETTES, s. f. pl., terme de canuserie. — Ce sont deux règles de bois, d’une longueur égale à la largeur de la pièce reliées entre elles par des cordes d’environ dix-huit pouces de long. Lorsque l’on commence une pièce, une de ces égancettes est fixée à la tirelle que l’on a laissée en terminant la pièce précédente ; l’autre est engagée dans la rainure du rouleau de devant. On fait tendre les cordes en tournant le rouleau, et l’on a de la sorte une façure artificielle formée par les cordes, permettant de ne pas perdre le morceau de la chaine entre le rouleau et le battant, qui ne pourrait être tissé.

ÉGARADE, s. f. — Algarade, Faire une égarade à quelqu’un, Le prendre violemment à partie. La Toinon que m’a fait une égarade, parce qu’elle m’a trouvé avè se n’homme sur la suspente, que nous cherchions ses bretelles, Comme si ça consistait en quèque chose ! — Ce n’est point une corruption d’algarade. C’est le vieux franç., esgarrade, coup, balafre, dérivé de sens sous l’influence d’algarade.

ÉGLISE. — Sortir de là comme d’une église, c’est-à-dire sans gain ni perte ; encore bien qu’on puisse sortir d’une église avec une perte matérielle, si on y a fait l’aumône, et avec un gain moral, si l’on y a pris de bonnes résolutions.

ÉGLOMISER, v. a. — Voilà un mot qui n’a eu qu’une existence d’un jour. Vers 1835-1845 la mode était d’églomiser les gravures et surtout les dessins sous cadre, c’est-à-dire, au lieu de les laisser se détacher sur un fond blanc, de les entourer de une ou plusieurs bandes, de couleurs douces, lavées à l’aquarelle et séparées par des traits noirs. On trouvait que cela faisait ressortir le dessin. J’ai vu des mine-de-plomb des Flandrin églomisés. Je serais assez disposé à croire que c’était une mode lyonnaise. Églomiser avait été forgé sur ἐγγλυμμα, image gravée.

ÉGRAFINER. Voy. grafigner — J’ignore pourquoi n se mouille dans une forme et non dans l’autre.

ÉLANCÉE, LANCÉE, s. f. — Douleur soudaine, « poussante », que l’on ressent par intervalles dans un organe malade. Mon panaris me donne des lancées. On a comparé la douleur à celle d’un coup de lance.

ÉLEVURE, s. f. — Voy. boucharle. — Élevure est le vieux franç. enleveure, de lever, qu’on trouve dans Cotgrave.

ÉMANCHETTES, s. f. pl., terme de canuserie. — Petites bandes de papier épais, larges de un ou deux centimètres, qu’on place sous les cordons, au rouleau de devant, pour les faire prêter, afin qu’ils ne tirent pas plus que l’étoffe. — C’est manchettes, orné d’un préfixe. Sur le sens, comp. manchettes d’imprimerie, ce qui est imprimé sur le bord en marge.

EMBABOUINER, v. a., terme péjoratif. — Séduire, amadouer. Le Roch est embabouiné de la Josette, Il est féru de la Josette. — De babouin, au sens de visage ; mot à mot : « Il s’est épris du babouin de la Josette. » Vieux franç. embabouiner, tromper.

EMBARGAILLER, Forme d’emmargailler.

EMBARLIFICOTER (S’). — Dans l’édit. de 1803, Molard donne la forme emberlificoter, qu’il corrige par s’embarrasser, s’emberlucoter. « Emberlucoter » n’existe pas. C’est peut-être une faute d’impression, car on lit dans l’édit. de 1810 : « Dites s’emberlucoquer. » L’erreur est magistrale. S’emberlucoquer signifie se coiffer d’une opinion et non s’embarrasser. Quant à emberlificoter, il a fait du chemin depuis Molard, et Littré, Scheler lui ont donné une pieuse hospitalité.

EMBARRAS. — Ce n’est pas l’embarras. Sorte de précaution oratoire, que l’on emploie à cha-phrase, et dont je ne trouve pas l’analogie en langage académique : Ce n’est pas l’embarras, mais je crois que tous ces montages par actions y a bien des filous… Ce n’est pas l’embarras, mais je crois bien que le père, le fils et le gendre sont trois jeanfesse ensemble… Ce n’est pas l’embarras, mais il me semble bien que mame Culasson a pris une postume de neuf mois, et ainsi de suite. « C’est pas l’embarras, dit l’Adresse des canuts à l’empereur Napolyon, nous pensons ben qu’une fois que votre n’épouse, la Marion (Marie-Louise), vous aura joint, elle saura le mettre en cage (l’aigle) et endeurmi z’un peu se n’ardeur… »

Faire ses embarras. Se dit d’un piaffeur, de quelqu’un qui veut faire de l’esbrouffe.

EMBARRASSÉE. adj. — Qualification trop juste pour une fille enceinte.

EMBARRER. Voy. barrer 2.

EMBIERNE, s. f. — Embarras, enuui, difficulté de toutes sortes. Un Parisien dirait emm…ment (les étymologies concordent). Je passais un soir avec Briochier, de Saint-Pierre (donc qu’il est aujourd’hui membre de la Société d’architecture), dans la rue Casse-froide. Nous rencontrons Galuchet (donc qu’il est aujourd’hui fabricant de vins de Bordeaux) qui s’amenait avec une cariatide sous le bras. Y en a qu’aimont le z’embiernes, me dit Galuchet avec sa philosophie sereine. Le bon père Ustache Grottard, du Mont-Sauvage, disait aussi que les deux plus grandes embiernes du monde, c’étaient une canante et des dûs (les deux, des fois, vont de compagnie). — Subst. verbal d’embierner.

EMBIERNÉ, ÉE, adj. — Qui a des embiernes.

EMBIERNER, v. a. — Créer des embarras, des difficultés, des ennuis. Très péjoratif. Vaut autant à dire comme enquiquiner. Une bonne mère dira à son fils : Fourt, fourt ! b… de caquenano, que te m’ embiernes ! — Vieux franç. embrener, souiller, parlant par respect, de colombine de chrétien ; de bran, la colombine elle-même.

EMBOBELINER, v. a. — Tromper en amadouant. En partie, tous nos fourachaux, nos ébravages finissent par se laisser embobeliner par quelque Marie Guenillon, avec qui ils convolent. — Vieux français embobeliner, tromper, fait sur bobelin, nigaud, dont j’ignore l’origine, et que M. Godefroy me parait imprudemment rapprocher de bouvier.

EMBOBINER. — Très souvent employé pour embobeliner. — Cete fumelle l’a si bien embobiné qu’il a reconnu le mami. — C’est embobeliner corrompu sous l’influence de bobine.

EMBOCONNER, v. n. — Répandre une mauvaise odeur. Je ne sais pas ce qu’ont ces z’écommuns qu’i n’emboconnont comme ça ! — C’est les vents de Provence. — De bocon.

EMBOIRE. — Ce papier emboit. Expression défendue. Emboire se dit des peintures. La nuance semble imperceptible. Car enfin si mon papier boit de l’encre, il en boit, c’est sûr !

EMBOISER, v. a. — Tromper en amadouant, tromper en général. Ah mon pauv’ vieux, je me suis emboisé en mariant la Benoîte ! — Que veux-tu, te l’as prise parce qu’elle était agriffante. Faut jamais arregarder ça. Vois la mienne : ceux qui l’ont vue de jour n’iront pas se dépondre le cou pour la voir de nuit ! Hi, hi, hi ! — Vieux fran. boiser, tromper. « Et li signor vont lor moiller (femmes) boisant, » disait-on déjà au xiie siècle. On voit que la chanson n’a pas changé. Boiser venait probablement de bois, espèce de filet. Emboiser, prendre au filet.

EMBOQUER, v. a. — On emboque les dindes quand on leur fourre des noix entières dans le bec, que l’on fait ensuite descendre dans le gigier en appuyant sur le corgnolon. On les emboque aussi avec du gros blé. Au fig. se dit des chrétiens. Nous sons été dimanche chez la mère Brigousse. Nous nous sons emboqués !! — De bucca, bouche.

S’emploie des fois au fig. en parlant des petits mamis auxquels on donne la bichée : T’as si tellement emboqué ton mami qu’il en est coufle.

EMBOSSER, v. a. — Cabosser en général. Se dit particulièrement de faire des contusions en donnant des coups, sens que n’a pas cabosser.

Je croyais qu’à ces mots le grand m’embosserait.
(Songe de Guignol.)

De bosse, comme bien s’accorde.

EMBOSSU, s. m. — Entonnoir. Chez Mille, au retour d’un enterrement : Eh dis don, toi là-bas, Saquavin, t’as pas rien besuin d’un embossu pour te rempli ! — Sois tranquille, si y a un bondon pour entrer, y a ben une anche pour sorti ! Hi hi, hi ! — De bosse, tonneau.

EMBOTTER, v. n. - Se dit lorsque les pieds enfoncent profond dans la boue épaisse. Mélie, tu sors ? Prends tes escarpins de Mornant : ça embotte. — Peut ne pas venir de botte (se faire des bottes de boue), mais venir de bota, mare, qui aurait donné boue. Embotter, enfoncer dans la boue.

EMBRASSER. — Embrasser comme du pain chaud, Baiser comme du pain chaud. À la boutique de mon bourgeois, notre apprentisse était de si bon command que tout le monde la baisait comme du pain chaud.

EMBRINGUE, s. f. — Embarras, obstacle, difficulté de toute nature. Quelle embringue que cette Lalie ! Hier, j’avions de z’amis ; elle a pas pu seulement porter deux pots sans dégobiller. — Subst. verbal d’embringuer.

EMBRINGUER, v. a. — Embarrasser, empêtrer, entraver. S’embringuer d’une femme, S’embringuer d’hypothèques, S’embringuer de la mairie (en se laissant nommer maire). — Renferme peut-être le radical qui à formé brique.

EMBRONCHER, v. a. — Gêner, porter obstacle. Je suis embronché par mes agacins… Ces arbres embronchent la vue.J’aime pas ces grandes capotes que l’on fait maintenant aux dames, me disait M. Lenglumé, ça leur embronche tout le groin. — Vieux franc. embronchier, abaisser, tenir bas. On le trouve à Lyon au xiie siècle : « Etaviant les faces embronchies comme pleynes de grande pidie (pitié). » La dérivation est : baisser le visage, être sombre, être embarrassé par ses préoccupations, être embarrassé en général.

EMBROUILLAGE, s. m. — Dites embrouillement. Si embrouillage était au dictionnaire (un suffixe vaut l’autre), nous écririons : « Embrouillement, dites embrouillage. »

EMBROUILLAMINI, s. m. — Brouillamini. Les deux so valent puisqu’on dit brouiller et embrouiller.

ÊME (on le fait communément féminin, par analogie avec les mots terminés en e muet, mais il est masculin). — Intelligence, jugement. Mme Pignatet n’était pas contente de son gone : Le Tonius n’a gin d’ême ; si y a un gaillot au mitan du chemin, i met les clapotons dedans ; s’i porte une chandelle, i se bucle le groin ; s’i y a un trou à son mouchenez, i se mouche avè le trou.

Te n’as gin d’ême, va n’en charchi à Trevoux. — Vieille plaisanterie, parce qu’au xviie siècle les liards fabriqués à Trévoux portaient une M, marque de la souveraineté de la maison de Bourbon-Montpensier. — À Lyon, selon Menestrier, « les denrées s’achetaient de deux manières : au poids ou à l’esme ». C’était le cas d’avoir de celui-ci. — Subst. verbal d’æstimare.

EMMALGAMÉ, ÉE, adj. (voy. remettage). — Amalgamé. Le préfixe en étant d’un usage très fréquent, le populaire l’a substitué, par analogie, à l’a imtial plus rarement employé comme préfixe.

EMMALICER, v. a. — Exciter quelqu’un de manière à le mettre en colère, Attiser sa malice. À force de crier ton homme, te l’as emmalicé, et i t’a giflée, pardi. C’est bien fait !

EMMANCHER. — Emmancher une affaire, un mariage, Les faire aboutir.

ENMARGAILLER, EMBARGAILLER, v. a. — Souiller, emplâtrer, spécialement avec une matière malpropre. Le Tonius à Mme Pignatet, quand il mangeait des rôties de mélasse, s’emmargaillait tous les doigts, puis, comme il aimait bien sa mama, il allait l’embrasser, et il emmargaillait sa coiffe. — Vieux franç. margoiller, rouler dans la fange, de marga.

EMMIELLER, v. a. — Euphémisme.

EMPANNON, s. m., terme de charpenterie. — Assemblage de solives ou de chevrons dans une pièce de bois posée en biais sur l’angle de deux murs. — Non, comme le croirait Littré, d’empenner, mais du vieux franç. paner, saisir, fixer ; pan, gage. Empannon est ainsi en relation avec panneau.

EMPARE, s. f., terme de serrurerie. — Penture. — Subst. verbal de emparer, fortifier (comp. rempart), de in-parare. Les empares fortifient la porte, la défendent.

EMPÊCHER À. — Y a de bourrons dans le canon qu’empêch’ à ma loquetière d’entrer. — Faut siffler dedans. Empêcher, suivant Humbert et Grangier, ne prend pas de régime indirect. Mais Malherbe, Corneille, Bossuet, Chateaubriand ont dit empêcher à, et ils valent bien Grangier et Humbert.

EMPEGÉ, ÉE, adj. — Empêtré, embarrassé, gêné par. J’irais bien le voir dimanche, mais je suis empegé par ma femme, que veut que je l’accompagne à Venissieux, chez sa m’man. — De pège. Empegé, retenu comme par de la pège. « Comme une souris empeigée, » dit le bon Rabelais.

EMPEINTE, s. f. — Rame immense à l’arrière des grands bateaux et des radeaux, et qui sert de gouvernail. J’aimerais autant monter une empeinte par un escalier à noyau. Se dit d’une besogne très difficultueuse. — D’impincta, formé sur impingere, pousser, comme pinctus sur pingere.

EMPIRE, s. m., terme de batellerie. — Côté de l’Empire, Rive gauche de la Saône et du Rhône au-dessous du confluent, par opposition au Côté du Royaume, qui est la rive droite. Les mariniers disent communément l’Empi, le Riaume. — Pique au Riaume, Dirige le bateau vers la rive droite. On voit que ces mots ne remontent à rien de moins qu’au xie siècle, alors que le Royaume de Bourgogne faisait partie de l’Empire germanique. Ils ne sont plus employés que dans la batellerie, mais au moyen âge on trouve constamment pour désigner le domicile des citoyens les mots Côté de l’Empire, c’est-à-dire la partie de la ville comprenant Saint-Nizier, etc. ; et Côté du Royaume, c’est-à-dire la partie comprenant Saint-Jean, Saint-Paul, etc.

EMPLÂTRE, s. m. — 1. Gifle. Je te lui ai atousé un emplâtre qui compte au piquet !

2. Se dit de quelqu’un de maladif, qui est constamment à se petouger. Ma femme, quel emplâtre ! Elle à toujours la v… du, etc. tournée ! Par extension, se dit de toute personne gênante, encombrante. — Dans le grand monde : Ma femme, quel emplâtre ! Pour voyager, il lui faut toujours quatre chapelières et cinq cartons, sans compter les sacs !

EMPLÂTRER, v. a. — Souiller, surtout de quelque chose d’adhésif. Le Jules, tout son badinage, c’est de pitrogner de la bouse, et puis i me revient tout emplâtré.

EMPOIGNÉE, s. f. — Dispute violente, accompagnée parfois d’arguments frappants. À la Chambre il y a constamment des empoignées.

EMPOISONNER, v. n. — Répandre une mauvaise odeur. — Une mère à son fils qui l’embrasse : Pouah ! t’empoisonnes la pipe ! Une femme, inquiète, à son mari qui l’embrasse : D’où vient donc que t’empoisonnes le musc ? — Une petite fillette d’une douzaine d’années se confessait au vénérable curé de Saint-Polycarpe. Après les aimables péchés sans importance d’une jeune vierge, tout d’un coup elle s’arrête, puis hésitant beaucoup, rougissant, balbutiant, elle dit : — Mon père, je m’accuse encore… d’avoir… empoisonné… ma mère !

— Ô mon Dieu ! fit le digne prêtre en bondissant. Petit monstre ! Si jeune ! et comment avez-vous fait ?

La fillette partit en sanglots : — Mon pè… è… re…, voilà… à… à… ! J’étais assise sur maman… an… Tout à coup elle m’a poussée par les épaules en me disant : Peux-tu te sauver, petite cayonne, tu m’empoisonnes !

Voilà les inconvénients de ne pas parler proprement lyonnais. Si cette jeune personne s’était accusée d’avoir emboconné sa mère, au lieu de l’avoir empoisonnée, le confesseur n’aurait pas eu un instant d’hésitation.

EMPOTIQUER, v. a. — Hypothéquer. — Substitution du préfixe usuel en à la syllabe étrange hy. Pourtant nous ne disons pas une empotique, mais une impotèque.

EMPOUTAGE, s. m., terme de canuserie. — Opération qui consiste à faire passer les arcades dans la planche à collets et dans la planche à arcades, suivant l’ordre déterminé pour produire le dessin. On distingue l’empoutage suivi, l’empoutage à pointe, l’empoutage à pointe et retour, l’empoutage sur deux corps, etc. Le fabricant figure l’empoutage par un dessin. Symboliquement : Te vas te marier. Tâche moyen de faire un bon empoutage, pour ne pas bousiyer le dessin.

EN, prép. — 1. Pour « dans la ». En rue du Cornet, en rue Treize-pas, au lieu de dans la rue, etc.

2. Pour « à ». Je vais en Serin, en Bellecour, au lieu de à Serin, etc. — Latinisme excellent, employé par les meilleurs auteurs du xviie siècle. Pourquoi dit-on Jeter en Saône et Jeter au Rhône ?

ENCARPIONNÉ. — J’entendais dire un jour à un bonhomme : Mon fils est encarpionné de cette fumelle ! Je crus à l’un de ces mots « éjaculatoires », réunion de syllabes péjoratives qui sortent dans le discours presque sans le vouloir. Mais il me fallut reconnaitre que le mot avait des ancêtres, lorsque je rencontrai en piémontais ancarpionè, féru d’amour. — Je le suppose fait sur arpion, avec le préfixe en et l’insertion de la syllabe péjorative ca : en-ca-arpion-né. Littéralement, « les arpions de cette femme se sont incrustés dans sa chair ».

ENCATONNÉ, ÉE. Voy. catonné, ée.

ENCHANT, s. m., terme de construction. — 1. Angle d’une maison ou d’un mur.

2. Pierre servant à bâtir les enchants. — De cantus, bord aigu, coin ; d’origine celtique.

ENCLUSEAUX, s. m. pl., terme de charpenterie. — Remplissages en bois placés entre les têtes des tras, dans un plancher à la française, pour fermer le vide qui, sans cela, existerait entre ces tras, sur le sommier ou le demi-sommier. — De in-clausellum, de clausum.

ENCRENILLÉ, ÉE, RECRENILLÉ, ÉE, adj. — Tortu, crispé, crochu. Une vieille qu’avait le groin tout encrenillé. — On peut y lire crin (crispé comme un crin), mais je le crois plutôt venu de corne : encrenillé pour encornillé. On trouve en effet dans le Forez recornilli au même sens. On dit aussi des arpions encrenillés, ce qui cadre bien avec l’étymologie corne.

ENCUTI, IE. Voy. acuti.

ENDORMIR. — Il ne faut pas s’endormir sur le rôti, Il faut veiller au grain.

ENFANT. — Enfant de femme. Se dit avec une expression mi-partie de compassion et de mépris. Passe donc ta navette, au lieu de parler de ce que te sais pas, enfant de femme ! — Idée de la faiblesse de « l’homme né de la femme », suivant la parole de l’Écriture.

Garçon. J’ai un enfant et deux filles. (P. B.)

ENFANTURE, s. f. — Grossesse. Je crois qu’y a quèque enfanture par là-dessous.

ENFLAXER, v. a. — Ennuyer, gêner, faire faire une mauvaise affaire. Je me suis enflaxé de cette campagne… Il m’a enflaxé de deux pièces de vin. Ce mot, que je crois récent, me paraît la transcription savante de l’argot des voleurs, flacqué, condamné, emprisonné, avec une légère dérivation de sens.

ENFLE, adj. des 2 g. — Enflé, ée. — Le célèbre chirurgien Bonnet voyait sa clinique suivie par plusieurs médecins du dehors. Parmi ces étrangers, il avait remarqué un homme d’un certain âge, de mise un peu rustique, qui suivait ses leçons avec une telle assiduité, pourrait-on dire, que Bonnet en fut touché et ne douta pas qu’il n’eût affaire à un praticien de campagne intelligent et dévoré du désir de l’instruction. Résolu à le récompenser de son zèle, Bonnet, se trouvant en présence d’un cas curieux de sarcocèle, pria le praticien de donner son avis. Celui-ci se met à genoux pour mieux examiner le siège de la maladie, porte son attention sur les plus petits détails, palpe, soupèse, réfléchit longtemps et dit enfin : Ça, mecieu, c’est une… chose qu’est enfle. — Sur les adj. verbaux de ce genre voy. arrête.

ENGARIER, v. a. — Engager dans des embarras, dans une mauvaise affaire, Je me suis engarié dans les valeurs portugaises. J’y ai mangé mes quat’sous. — Vieux franç. angarier, vexer, harceler, fatiguer de corvées, avec la dérivation de vexer à « engager dans une mauvaise affaire ».

ENGIN, s. m. — Ingéniosité. — Du lat. ingenium. Mon mami, il se fait un jouet avec n’importe quoi : un cheval avec une baliette, un tralneau avec une grolle, une trompette avec une seringue, il a bien de l’engin !

Voy. Échelle d’engin.

ENGRAIN, s. m.— « Quand on veut aller à la pêche à la ligne, on prépare soit un pâté de son qu’on a préalablement mis au soleil et arrosé, à seule fin que les mouches y déposent des œufs, d’où il épiera des vesons, soit du crottin de cheval où les asticots abondent. C’est l’engrain. On va ensuite se balader au bord de Saône ; on choisit l’endroit où l’on pense que ça bichera, et l’on jette l’engrain (ce qui engraine). Les poissons viennent, il n’y a plus qu’à amorcer la ligne, et ça biche attenant. » S’il manque quelque chose à cette définition, adressez-vous à Porthos.

ENGREGER (S’), ENGREGIER (S’), v. pr. — Se dit d’une chose qui s’ancre, se fixe, pénètre. — Une bonne mère, en peignant son fils : I faut bien te laisser pigner, mon boson, parce que la pedouille s’engrègerait et le pioux feriont une chaîne et te mèneriont en Saône. — Oh, voui, m’man ! Le Jules, qui se laisse pas pigner, le pioux le mèneront en Saône ; pas, m’man ? Ça sera bien fait ! — Vieux franç. engregier, aggraver, de grevis.

ENGRENER, v. a. — Engrener une affaire, — La mettre en train, en bonne voie. On compare l’affaire à une pompe que l’on engrène.

ENGUEUSEUR, s. m. — Séducteur, suborneur. Ma fille, disait la bonne mère Painchaut, ne crois pas les engueuseurs. Quand te le leur aura donné un pain sur la fournée, i voudront plus acheter le four. Non de gueux, mais du vieux franç. induiseur, passé à engueuseur, sous l’influence de gueux.

ENGUILLER. Voy. anguiller.

ENLAÇAGE, s. m., terme de montage de métier. — Action de relier entre eux les cartons de la mécanique, au moyen d’une corde qu’on nomme corde d’enlaçage.

ENLACER, v. a. — Enlacer un dessin. Voy. enlaçage.

ENLIASSER, v. a. — Enliasser du linge, Le mettre en liasse. Comment un mot si logiquement formé n’est-il pas sur les dictionnaires ?

ENQUELIN, s. m. — Voisin, habitant de la même maison. Par extension, familier, camarade, ami. Qu’on se soûle avè de z’enquelins, disait le compagnon de chez nous, je le comprends, mais tout seul ! un salaud ! — Vieilli. À Lyon, au moyen âge, il avait la signification de locataire. — D’inquilinum.

ENQUILLER, Voy. RENQUILLER.

ENQUIQUINER, v. a. — Embrener. Va te promener, tu m’enquiquines ! Se dit aux fâcheux. Le célèbre lutteur Bouzon, dit Quiquine, n’est pour rien dans le mot. C’est simplement un euphémisme délicat pour remplacer le mot français, trop grossier, commençant par la même syllabe.

ENRAYER, v. a. — C’est le contraire d’enrayer une roue. Commencer un ouvrage, le mettre en train. Un ouvrage enrayé est à moitié fait. — De riga, raie. Littéralement, faire la première raie d’un labour.

ENREINIÈRES, s. f. pl. — Douleurs de reins. En me baissant, je me suis fait une forçure, les nerfs du croupion se sont chevauchés, ça m’a donné les enreinières. — De rein, pas besoin de le dire.

ENRONCHÉ, ÉE, adj. — Enroué, ée. Nous ons chanté Margot t’et Blaise hier, aux Charpennes, toute la sainte soirée. Je suis tout enronché. — De raucum, mais influencé peut-être par rhonchare (voy. ronchonner), car, nous devrions avoir enrouché comme dans la Suisse romande,

ENROUILLER, v. a. — Rouiller. J’ai la noix du genou qu’est enrouillée. — C’est rouiller, avec un préfixe par analogie avec les mots où en exprime le passage d’un état à un autre (embellir, embraser). S’enrouiller, c’est devenir rouillé.

ENSACHER, v. a. — Mettre dans une sache, dans un sac.

ENSAUVER (S’), v. pr. — Constamment usité pour se sauver. Y avait de gones que vouliont me battre, mais je me suis ensauvé. Le mot doit venir d’une confusion avec en pronom relatif. « Il était en péril de mort, mais il s’en sauva. » transformé en s’ensauva.

ENSEIGNE. — Prends-tu mon bras pour une enseigne ? Se dit à quelqu’un à qui l’on tend une chose, et qui ne se presse pas de la prendre.

ENTAMER (S’), v. pr. — Se faire des plaies par suite d’un séjour prolongé au lit. Les puristes proscrivent cette expression, à tort, ce m’est avis, puisque, selon eux, on dit correctement : « Les engelures m’ont entamé le doigt. »

ENTAQUER, v. a. — Voy. taque.

ENTENDOIR, s. m. — Ême, intelligence, capacité. Le suffixe oir, oire, est caractéristique des objets moyens d’action. C’est pour cela qu’un bon entendoir met le pain à la mâchoire.

ENTENDU, s. m. — Plan concerté entre deux ou plusieurs personnes. Quand j’ai t’ayu vu le Pothin et la Vincende partir chacun de son côté, j’ai bien pensé que c’était un entendu pour se retrouver quelque part. Cet emploi du participe comme substantif donne un tour vif au discours. Comp. un .

ENTER, v. a. — Enter des bas, Les raccommoder en y ajoutant des bouts. Cette expression est ingénieuse. On greffe des pieds neufs sur de vieilles jambes.

ENTERREMENT. — Il a eu un joli enterrement : Y avait le suisse en rouge et les vieux de la Charité. Mot à mot, cela voudrait dire que l’enterrement était « gentil, agréable », mais pour nous joli veut dire beau.

« Voir passer un enterrement, dites voir passer un convoi. » Sottise ! Enterrement est ici une métonymie pour Le cortège accompagnant l’enterrement, et peut se dire correctement.

ENTÊTATION, s. f. — S’emploie toujours de préférence à entêtement. Lorsque l’excellent François B., commis chez mon père, se maria, sa jeune femme, en dépit des avertissements maternels, l’envoya promener de si rude façon et avec des arguments si frappants (elle était forte comme Bouzon, dit Quiquine), qu’il dut se replier en bon ordre. Elle y a mis si tellement d’entêtation, me disait le bon François, que sa m’man a été obligée de l’envoyer à son conf’sseur, M. Vuillerme (alors curé de Saint-Nizier), qui y a dit qu’elle était une catolle. Elle a si bien suivi les conseils de M. Vuillerme, qu’elle a eu huit enfants. — Mais quoi, hélas ! F. B. et sa femme sont morts depuis longtemps !

ENTOISER, v. a. — Entoiser des moellons, Les emmétrer. Expression qui remonte au temps où l’on mesurait à la toise, et qui s’est conservée après que celle-ci a eu disparu.

ENTORSE, s. f. — Se faire une entorse, Se donner une entorse. Les grammairiens ont raison de proscrire cette expression. Dites Se faire un détour.

Terme de canuserie. Ce sont des fils qui se tordent ensemble, comme quand les nerfs du pied se chevauchent. Ce n’est pas tout à fait la même chose que les tenues, où les fils sont simplement arrapés.

(La définition toute pittoresque donnée ici par Puitspelu est exacte, bien qu’elle n’indique pas la raison de la chose. Pour les professionnels, une entorse est un faux tour fait par l’ourdisseuse.)

ENTRAIN, s. m. — Étudier avec entrain, Aimer sa femme avec entrain (rare dans ce sens). « Ce substantif si usité chez nous, dit Humbert, n’existe pas en français. » Il y existe depuis La dernière édition du Dict. de l’Acad., qui s’est enfin décidée à l’y faire entrer, en le traduisant par « chaleur, gaieté naturelle ».

ENTRE. — Entre eux tous, ils n’avaient que cinquante sous. Cette expression entre eux tous, entre tous, serait très faiblement représentée par ensemble. La curieuse application de la préposition entre est à signaler.

ENTREBAT, s. m. — Défaut d’une étoffe où les coups de battant n’ont pas été frappés régulièrement de la même force. Les entrebats peuvent ne pas provenir toujours de la faute du canut. Il suffit qu’un ponteau se lâche et que le métier varie pour qu’il se produise des entrebats. Un des premiers ouvriers de Claude-Joseph Bonnet avait son atelier aux Brotteaux, où il fabriquait des pou-de-soie magnifiques. Une machine à vapeur ayant été installée au rez-de-chaussée de la maison, les trépidations des murs amenèrent des entrebats qui obligèrent le chef d’ate- lier à quitter le local immédiatement.

ENTRECUIRE (S’), v. pr. — Lorsque, par suite d’une longue marche et de l’effet de le bise sur la peau (voy. ébiser), l’entrefrottement de l’ὀρρὀπύγιον a meurtri et talé réciproquement la peau, on appelle cela s’entrecuire, manquablement parce que ça cuit entre. Encore bien que le mot n’ait rien que de convenable, vous ne devez pas dire à une jeune personne en manière de compliment : Mademoiselle, il me semble, à vous voir marcher, que vous êtes entrecuite : il n’y a que les peaux fines qui s’entrecuisent ; ni ajouter par intérêt : Il faut vous poudrer avec du lycopode ou de l’amidon. Ça, c’est son affaire.

ENTRE DEUX. — 1. Expression qui signifie, dans un jugement, ni trop, ni trop peu. Mlle Fifichonnette est-elle vertueuse ? — Entre deux. — M. Grospouillu est-il un homme de fiance ? — Entre deux. Je remarque que, dans le monde, quasi tout est entre deux.

2. Je suis entre deux, Je suis en balan, comme un chat entre deux melettes. Me marierai-je, me marierai-je pas ? Je suis entre deux. Belle expression philosophique de la liberté humaine.

ENTRELARDÉ. — Se dit d’une femme en bon point, qui n’est ni trop grasse ni trop maigre. Mon camarade La Pétardière, qui avait le sens esthétique, ne voulait épouser qu’une femme entrelardée.

ENTREMI, prép. — Entre. « Je mets cette fleur, Mlle, entremi les feuillets de cette lettre, pour vous respirer l’odeur de mon amour. » (Modèles de correspondances.) — Se place aussi à la fin de la phrase, sans complément. La Maria : J’ai pris des fraicheurs aux bras, qui sont tout raides.Le Marius, rougissant : Oh, Mameselle, je voudrais être entremi pour vous les réchauffer ! — D’inter medium.

ENTREPRENDRE, v. à — Entreprendre quelqu’un, Entrer en discussion avec lui.

ENTREPRIS, adj. — Embarrassé, qui ne sait comment s’y prendre. Le lendemain des noces : Ben, Pierrette, comment que ça s’est passé ? — En commençant il était tout entrepris ; moi pas.

ENVERJURE, s. f., terme de montage de métier. — Mode de croisement des fils de la chaîne. Ce croisement des fils passés alternativement un à un entre deux chevilles a pour but de maintenir aux fils de la chaîne dans l’ourdissage leurs places respectives, et de faciliter la recherche du fil qui casserait et qu’il faudrait remplacer pendant l’opération. L’enverjure est pratiquée non seulement sur l’ourdissoir, mais encore au pliage sur le métier à tisser.

ENVERS, — Se coucher à l’envers, Se coucher à bouchon.

EN VEUX-TU, EN VOILÀ. — À regonfle, à foison. J’ai été à la soirée de Mme de Saint-Oiseux. — Qu’y avait-il ? — Y avait des tetons en veux-tu, en voilà.

ENVIRONS. — J’irai te voir aux environs de Noël. Chinoiserie de la grammaire. Environ peut se dire du temps et des lieux, et aux environs ne peut se dire que des lieux.

ÉPARGNEUX. — Épargneux comme un Auvergnat.

ÉPARVÉRER, PARVÉRER, v. a., terme de bâtisse. — Polir un enduit à l’éparvier.

ÉPARVIER, s. m. — Outil qui sert à polir l’enduit. — D’épervier, oiseau, parce que l’outil a quelque analogie lointaine avec un grand oiseau ayant les ailes étendues.

ÉPAISSEUR. — Ça commence à se tirer d’épaisseur. Se dit lorsqu’un ouvrage s’avance. Mon recueil de poésies commence à se tirer d’épaisseur. — Terme emprunté à la menuiserie. Une planche est tirée d’épaisseur, lorsque, en la rabotant, on l’a mise à l’épaisseur voulue pour pouvoir la travailler.

ÉPAULE., — Épaule de mouton. Ce mot n’est-il pas cent fois meilleur qu’éclanche ? Sentir l’épaule de mouton. Se dit de quelqu’un dont le corps n’exhale pas une odeur de rose thé. En partie tous les hommes sentent l’épaule de mouton, disait un jour notre petite apprentisse. — Te les a ben si bien sentus ! répondit la bourgeoise.

Il ne jette pas les épaules de mouton par la fenêtre. Se dit de quelqu’un qui n’attache pas ses chiens avec des saucisses.

Large des épaules. Se dit d’un avaricieux. L’idée est : « Il est large… mais seulement des épaules. »

Carré des épaules. Voy. Carré.

ÉPÉE. — Épée de Couzon. Voy. Couson.

Épée à deux poings. Même genre que l’Épée de Couson.

Jouer de l’épée à deux jambes, Se sauver.

ÉPIER, v. n. — 1. Se dit du blé quand le grain se forme dans l’épi. Ce beau temps va faire épier le blé.

2. Éclore, en parlant des œufs. « Pendant ces quinze ans, disons-ju, la France couvait le cacou de la liberté, qu’a-t-épié au mois de juillet, » (Ét. Blanc.) — D’épi. On dit que le blé épie quand le grain apparaît. On a vu une analogie entre le grain qui sort de l’enveloppe, et le poulet qui sort de l’œuf.

ÉPILLOCHER. — Voy. dépillocher.

ÉPINARDS. — Raccommoder les épinards. Se dit d’un moyen employé pour réparer une sottise que l’on a lâchée. Y a le père de Filouchon qu’il est connu pour piquer l’once. J’y ai pu pensé, et j’y ai dit devant le fils : « Tous ces piqueurs d’once, on devrait les flanquer aux galères ! » Filouchon est devenu rouge comme un coq nigaud. J’ai vu que j’y avais fait un pied-failli. J’ai vite ajouté : « Je dis pas rien ça pour ton pipa ! » Comme ça, j’ai raccommodé les épinards.

Lorsque, à table, vous servez des épinards à une dame, c’est une plaisanterie de bon goût de lever la cuillère bien haut, puis de flanquer le contenu avec force dans l’assiette, comme un maçon jette une truellée de mortier contre un mur. Quoique ça, bien prendre garde que les épinards ne jiclent pas sur la robe de la dame. C’est cette fois que l’on ne pourrait pas les raccommoder, les épinards !

Épinards rouges, Arroche.

ÉPIPACUANA pour Ipécacuanha. — Cette transformation s’est opérée ensuite de la tendance à répéter la consonne qui existe déjà dans un mot. Comp. reguingote pour redingote, carcabeau pour cartabeau, cancorne pour guinterne, etc.

ÉPOGNE, s. f. — Voy. Pogne. Cette dernière forme est la plus fréquente.

ÉPONGE. — Avoir un magasin d’éponges dans l’estôme. Se dit d’être grand buveur.

ÉPOUSER, v. a., terme d’architecture. — Suivre tous les contours d’une chose. L’architecte : Pour bien se raccorder, il faut que votre menuiserie épouse le profil de la taille.

ÉPRESSES, s. f. pl. — Épreintes. J’entendais un jour M. Mignotet, qui était allé consulter M. Fumeron, lequel, comme j’ai eu l’occasion de le dire, était un grand savant : Père Fumeron, j’ai la bourgeoise, parlant par respect, qu’a des épresses dans le fondement. Qui qu’y faut faire ?M. Fumeron, d’un ton d’autorité : Faut n’y mettre des suppositions en beurre de cacao. — Dérivé très logique de presser, tandis que l’on ne comprend pas, sans un dictionnaire d’étymologie, d’où vient épreintes.

ÉPREUVE. — À l’épreuve on lève les taches, Au pied du mur on voit le maçon.

ÉQUEVILLES, s. f. pl. — Balayures, ordures. Tous ces politiciens, tous ces gens affamés de crapularité, je serais d’avis de les jeter aux équevilles. — Fait sur le vieux franç. escouve, balai, de scopa.

ÉQUIPAGE, s. m. — 1. File d’énormes chevaux, attelés par deux, qui remorquaient des files de bateaux, avant l’invention des bateaux à vapeur.

2. L’ensemble des bateaux eux-mêmes. Une écurie de chevaux de ce genre s’appelait aussi un équipage. L’équipage de Jean La Miche, de Serrières, comprenait soixante chevaux.

ÉREINTE, s. f. — Action de s’éreinter. Avè me n’épouse, y a de quoi n’en prendre une éreinte. On dit aussi Faire une chose à toute éreinte, La faire avec une énergie à s’en abîmer le tempérament. — Subst. verbal d’éreinter.

ÉRÉNER, v. a. — Éreinter. Je vas au pucier ; je suis érénée d’avoir lavé. Viens-tu, toi, ma coque ? — De rein.

ESCALADOU, s. m., terme de canuserie. — Sorte de dévidoir léger qui se manœuvre en imprimant avec le plat de la main un mouvement de rotation à une tige horizontale au milieu de laquelle est un volant destiné à prolonger le mouvement. Du côté opposé à celui que manœuvre la main est un roquet à deux têtes qui envide la soie se déroulant d’un guindre placé en face. — Pseudonyme employé par Soulary pour signer des chansons. — De scaladosum, non que ce dévidoir ait rien de commun avec une échelle, mais parce que le dévidoir primitif, dont l’escaladou est une variante, est formé de cannes simulant une échelle courbe.

ESCALETTE, s. f., terme de lisage. — Dans le métier pour lire les cartons, le semple ou ensemble des cordes verticales passe sur une barre de bois transversale. Sur cette barre de bois on place un liteau, sorte de règle percée de trous dans lesquels on enfile les cordes du semple comme les arcades dans la planche à arcades, avec cette différence que les trous sont plus larges, les cordes du semple étant plus grosses. Le liteau étant placé, on le fixe avec une seconde barre de bois qu’on visse sur la première par les deux extrémités avec des vis de bois. L’ensemble des deux barres constitue l’escalette. — De scala, parce qu’on a comparé le liteau percé de trous à une échelle. Ce mot de scala a donné plusieurs termes de notre industrie. Voy. escaladou.

ESCALIER, s. m. — Nous l’employons toujours au pluriel. Une montée d’escaliers. — Débarouler par les escaliers. Je lis dans un journal de Lyon, du 20 décembre 1880 : « Mme G… est tombée hier sur les escaliers du quai Saint-Antoine. » C’est que pour nous un escalier signifie une marche. Prenez garde dans le corridor, il y a deux escaliers à descendre.

Escalier à noyau, Escalier tournant, à milieu plein.

ESCALINS, s. m. pl. — Argent. Avoir des escalins, Être moyenné. Pierre-Marie X…, licencié en droit, avoué près la Cour d’appel, l’été, venait tous les jours par l’omnibus de l’Île-Barbe, avec un voisin. Pierre-Marie X… payait un jour pour tous les deux, mais le lendemain quand le conducteur allongeait la demi-aune, le voisin dormait, infailliblement. — Pierre-Marie X… de ne pas se démonter pour si peu. Et secouant le voisin : Allons, papa, faisons pas la bête ; c’est le coup de tirer les escalins de la filoche ! Payez pour deux !

Le mot est français, mais je ne l’ai guère vu usité qu’à Lyon, où l’on s’en sert au jour la journée. — De schelling, monnaie des Pays-Bas, qui vaut aux environs de treize sous.

ESCANNER (S’), v. pr. — Décaniller, prendre la poudre d’escampette. Je me suis escanné de la réunion publique avec mon bugne en soufflet d’accordéon et mon panneau en pillandre. — De canne, pris au sens de jambe.

ESCARABILLÉ, ÉE, adj. — « Gai, vif, éveillé, dites escarbillard, arde. » Je tire ceci d’un petit recueil, dressé dans le premier quart de ce siècle, sous le titre de « Lyonnoisismes les plus usités », par Mme Évesque, née d’Arnal, auteur de quelques ouvrages sur l’enfance, et grand’tante de M. R. de Cazenove, à qui je dois la communication du manuscrit. Escarbillard, qui n’est plus français, l’était encore au temps où écrivait Mme Évesque. C’est une légère corruption du vieux français escarbillat qu’on trouve au xvie siècle, avec le même sens, plus celui d’étourdi, de fantasque, et qui est employé par Montaigne. Escarabillé n’est qu’un pur emprunt au provençal escarabilha. Mot français et mot lyonnais sont tombés en désuétude. Je les crois tirés de scarabæus, comme notre escharbot. Comp. l’ital. scarbillare, faire des arpèges, c’est-à-dire bourdonner comme le scarabée. Comp. aussi étourdi comme un hanneton.

ESCARBILLARD, ARDE.— Voy. escarabillé.

ESCARPINS. — Escarpins en peau de bois, Escarpins de Mornant, Sabots.

ESCLOPÉ, ÉE, adj. — Éclopé, ée. Un pauvre homme tout esclopé. — Dans la plupart de nos mots, le préfixe es s’est réduit à é, comme en français. Nous l’avons cependant conservé dans deux ou trois, dont esclopé, espicier.

ESCOFFIER, s. m. — « Vieux terme qui signifie cordonnier, » dit Cochard. Il est aujourd’hui oublié, et même assez inusité déjà au temps de Molard pour que celui-ci n’ait pas jugé à propos de le mentionner. Il signifiait aussi marchand de cuir. — De corium, par une série de transformations trop complexes pour les rapporter.

Escoffier, v. a. — Tuer, spécialement égorger. — De conficere, achever, tuer. Français populaire, particulièrement usité à Lyon.

Il y avait à Feurs la rue de la Cordonnerie, Carreria Escofferiae, ce que M. Broutin, dans son Histoire de Feurs, p. 147, traduit hardiment par rue des Marchands de subsistances.

ESCOFFINE, s. f. — Scie à main. — Vieux franç. escohine, râpe à deux mains ; égohine, scie à main pour les grosses branches. Peut-être d’escot, grosse branche, et d’un verbe haner, qui signifie labourer, et qui a pu prendre le sens de couper, comme en témoigne hanel, doloire. D’où escohane, escohenne, escohine, escoffine. On trouve du reste écouenne.

ESCORLON, s. m. — Algarade, reproches, gronderie. Gnafron : Non, z’enfants, faut s’escanner, la bourgeoise me ferait un escorlon ! (Guignol.) — Ce mot est-il une façon d’estropier escorgeon, escourgée, coups de fouet ?

ESMILLÉ, adj., terme de construction lyonnaise. — Moellons esmillés, Moellons équarris et taillés avec le gros côté du marteau. — De simileare, de similis, parce que ces moellons simulent les moellons piqués. Comp. similor.

ESPADRON, ESPADRONNER pour espadon, espadonner. — Je suis arrivé à trente ans en disant espadron. Cette insertion de r a pour nous un charme particulier. Ainsi badana a fait bardane ; bisbille, brésibille ; maxevole, marnèfle, etc.

ESPÉRER. — J’espère pour Je suppose, J’imagine, avec un sens de satiété ou de commandement. J’espère que voilà assez de remèdes ! J’espère que tu auras bientôt fini ! cette dérivation de sens parait toute naturelle.

Garantir, assurer. J’espère qu’il a l’air bête. Comparez promettre.

ESPICIER pour épicier. — Se dit encore, surtout par manière de rire, mais parfois à la bonne foi. Voy. esclopé.

ESPINCHAUX, s. m. pl. — Argent. Avoir des espinchaux, Être riche. Aboulez les espinchaux, Donnez l’argent. — Rapprochez le vieux franc. espinciau, espinchau, épingle. On aura peut-être trouvé comique de substituer un sens à l’autre, à cause de la minime valeur des épingles. Ainsi dit-on Avoir des liards pour Être riche.

ESPOLIN, s. m. — Petite navette pour les brocheurs. Se dit parfois pour petit enfant. « Je ne sai comme sa se fit…, je finis par faire un petit nespolin. » (Lettre de la Satinaire.) L’espolin est considéré comme l’enfant de la grosse navette. Ital. spola, du vieux haut allem. spuola, navette.

ESPRITÉ, ÉE, adj. — Se dit de quelqu’un qui a de l’ême, de l’intelligence, du savoir. André-Marie Ampère était bien esprité. — Dérivé tout naturellement d’esprit.

ESQUEPRÈS. — À l’esqueprès, par esqueprès. — La Parnette est de si bon command qu’on dirait qu’elle a le caractère fait à l’esqueprès pour s’ n’homme. Il l’aura commandée à la Grenette, bien sûr ! (Je dois avouer que cet exemple est rare.) — Plus agréable au prononcer qu’exprès. L’exemple montre que cs, quoique en disent certains philologues allemands, peut se transformer en sc.

ESQUILETTE, s. m. — Squelette. Nous avons préposé e comme dans tous les mots français bien faits, qui commençaient en latin par sp, st, sc : esprit, estomac, estime, estame, échine, etc. On devrait dire de même estation, espatule, escandale, etc. La prononciation est incomparablement plus euphonique.

ESQUINTER, v. a. — Abîmer, échiner. Une femme pour qui je me suis esquinté ! Non d’échine, mais du vieux provenc. esquintar, esquissar, néo-provenç. esquicha, écraser, qu’on rapporte à σχιζειν ou à scissum, influencé par σχιζειν.

ESSEMINS, s. m. pl. — Semences. Il pleut ; c’est un bon temps pour les essemins. — De sementes.

ESSENCE. — Essence de Venissieux. Voy. Artillerie de Villeurbanne.

ESSUYER. — Cette bonne, elle essuie les milieux, et puis les coins, si n’en veulent, faut qu’i s’amènent.

ESTASES, s. f. pl. — Pièces de bois horizontales, placées en haut du métier, et qui le maintiennent dans le sens de la longueur.

— De statia, de stare, parce que les estases maintiennent le métier en équilibre.

ESTIQUER, v. a. — Frapper, piquer. « Je l’i avoui que c’était les agnolets de la Barnadine qu’aviont estiqué dans me n’âme. » — De l’allem. stich, chose pointue.

ESTOC, s. m. — Ême, esprit, intelligence, capacité. — Le jeune Pouscayon a de l’estoc. Aussi le vela clerc d’huissier. — Dérivation du sens de l’expression être de bon estoc, être de bonne souche, confondue avec faire quelque chose de son estoc, le faire de sa propre idée. D’où avoir bon estoc, avoir de l’idée naturelle.

ESTÔME, s. m. — Estomac. Avoir mal à l’estôme. — Ce n’est nullement une corruption d’estomac. C’est l’accentuation grecque στόμαχος. Ceci semble indiquer que l’influence grecque s’est directement exercée chez nous.

ESTOURBER, v. a. — Tuer. — De l’allemand sterben, mourir, par le participe gestorben. Le sens du vieux allem. sterbian était tuer. Le mot lyonnais existait bien avant l’invasion de 1815.

ESTRACLE, s. m. — Se dit de quelqu’un de chétif, d’un gringalet, d’un avorton. Ne s’emploie guère isolé d’un complément. Un estracle d’homme. « Vous voyé la confle de savon, que prend la couleur gigié de pigeon, s’envolé d’un air orguyeux et semble devoir grimpé pardessus la sorpente du fier-mamant ; mais tout d’un coup un estracle de moucheron vient la poché et la fait tumbé z’en bâve ! » (Oraison funéraire.)

Vieux franc. estrac, maigre, mince, grêle, du vieux haut allom. strac, étiré, allongé.

ESTRANGOUILLER, v. a. — Étrangler. S’emploie surtout au sens comique. Un mari à sa femme qui lui fait son nœud de cravate : Fannie, as-tu bientôt fini de tiripiller ma cravate, te m’estrangouilles ! Est-il fabriqué de l’allem. strangulieren ? Je crois plutôt que ce n’est qu’une forme d’estringoler (voy. ce mot), avec substitution du suffixe comique ouiller.

ESTRINGOLER, v. a. — Étrangler. Au fig. esquinter, exténuer. La bourgeoise : Je m’estringole à passer la navette pendant que ce pas-rien va courater. — Vieux provençal strangolar, de strangulare.

ESTROPIÉ. — Estropié de cervelle. Se dit de quelqu’un qui n’a pas le cerveau d’un Archimède.

ÉTABLISSEMENT, s. m. — C’est sous ce nom vague que les propriétaires de cafés, brasseries, comptoirs, désignent leurs fonds de commerce. Le mot a quelque chose de plus distingué. À Monaco, un monsieur nous racontait qu’il avait monté dans sa vie dix-huit établissements. Il est vrai qu’il partit le soir sans payer.

ÉTAMPE, s. f. — Étai. — Vieux fran. estape, pieu ; d’origine germanique : anglo-saxon stapel, étai ; suédois stapel, pieu en fondations.

ÉTAMPER, TAMPER, v. a. — Mettre des étampes. Il voudrait étamper le ciel. Se dit de quelqu’un qui a toujours peur de ne pas prendre assez de précautions, jusqu’à vouloir étayer le firmament dans la crainte qu’il ne soit pas bien solide et qu’il ne lui choie dessus.

ÉTATS. — Être dans tous ses états. Un mari sait prou ce que c’est. Quand sa femme est « dans son état », ce n’est pas toujours agréable, mais « dans tous ses états », juge un peu voire !

ÉTÉ. — Se mettre en été, Quitter les habillements d’hiver pour ceux d’été. On dit de même Se mettre en hiver. Mon maître d’apprentissage, qui savait tant de choses, disait qu’il ne fallait jamais s’en rapporter ni aux enjôlements des femmes, ni aux premières chaleurs, et qu’on ne doit pas se mettre en été avant la Saint-Boniface, donc qu’il est le 14 mai.

ÉTEINDU, UE, pour Éteint, éteinte. — Les part. éteindu, prenu, metu, prometu, etc., sont faits par analogie avec les participes de la plupart des verbes en re : cru, crû, paru, repu, entendu, résolu, tordu, etc. C’est promis, mis, éteint qui sont des irrégularités.

ÉTEINTE. — Une éteinte de voix (voy. atteinte). Ce subst. verbal éteinte, conforme aux lois de la saine dérivation, est cent fois préférable à l’affreux barbarisme extinction.

ÉTENDARD, s. m., terme de charpenterie. — Étampe placée horizontalement, le plus souvent entre deux maisons pour retenir le dévers des façades. — De l’analogie avec un étendard que le vent étend horizontalement ? Ou fait sur la racine germanique stund, être debout ?

ÉTÊTUÉ, ÉE, adj. — Se dit des moellons (ou même de toute autre pierre) dégrossis au têtu (v. ce mot). Ceux qui, croyant parler plus académiquement, disent moellons étêtés, se trompent de gros, car c’est têtu, et non tête qui est la racine.

ÉTIRER. — Étirer le linge, « dites détirer. Étirer ne se dit que des métaux. » Nuances bien fines pour un simple bourgeois comme moi.

Étirer à quatre épingles, « dites tiré à quatre épingles. » Cependant puisqu’on dit détirer le linge, on devrait dire détiré à quatre épingles.

ÉTISIE, s. f. — Maigreur, consomption. Tomber en étisie. Locution constamment usitée chez nous. « Écrivez phtisie, » dit Molard. Pourquoi ? Étisie était déjà, en 1795, en plein Dictionnaire de l’Académie.

ÉTOFFE. — Grand étoffe (il ne vaut pas). — « Les dits lieutenants et enseignes ne sont pas personnages de grand étoffe. » (Lettre de 1600. Péricaud, cité par Em. Vingtrinier.)

ÉTONNÉ. — Étonné comme une poule qui a trouvé un couteau, Fort étonné. Je me demande cependant si le couteau ne serait pas encore plus étonné, si c’était lui qui avait trouvé la poule.

Étonné comme s’il lui poussait des cornes. Inexact. On ne s’en aperçoit pas.

ÉTOUFFOIR, s. m. — « Dites éteignoir. » Que non pas ! Dans le premier mot, j’ai en vue d’étouffer la flamme ; dans le second, d’éteindre la lumière. Deux faces de la même idée.

ÉTOURDISSEMENT, s. m. — Vertige.

ÉTRANGER, v. a. — Étranger quelqu’un, Lui vendre trop cher. Littéralement le traiter comme un étranger et non comme un compatriote.

Il ne faut pas étranger les successions. Dicton très fréquent chez nous et qui signifie que, lorsqu’on a des parents, on n’a pas le droit moral de faire passer à des étrangers le bien qu’on a reçu de sa famille. Quant au capital que l’on a gagné de son travail ou reçu d’ailleurs on est libre d’en disposer à son gré. Cette ligne de conduite me semble tracée par un grand sens moral.

ÊTRE. — Être à l’étiquette, Agir avec des formes cérémonieuses.

ÉTRENNE, s. f. — Pourboire. N’est pas aux dictionnaires dans ce sens. Pends-toi, Molard, tu as oublié celui-là ! Quoique ça, vous pouvez dire à un cocher : Voici une étrenne, il ne la refusera pas parce que vous n’aurez pas parlé français. Nous disons plus clairement et plus simplement : « Tiens, Collignon, pour boire pot ! »

ÉTR… (parlant mille fois par respect). — Eh ben, t’as vu la mariée. Est-elle jolie ? Comme un étr… en fleur. Cette image poétique n’est pas la propriété exclusive des Lyonnais. Dans une pièce dauphinoise qui date du xvie siècle, le Banquet des Fées ou la Physionomie du jaloux, le Jaloux est qualifié d’eitron fluri.

Briller comme un étr… dans une lanterne, Un de mes cousins, au collège, était un vrai cancre. Un jour le professeur, d’un ton solennel comme celui de Bossuet dans ses Oraisons funèbres, lui dit : Vous brillerez dans le monde, Monsieur B… ! vous brillerez comme un étr… flamand dans une lanterne sourde ! (historique).

Étr… de Limousin (expression ignoble à faire rendre gorge !) pour dire que le de cujus est d’un volume énorme.

ÉVENTAIL. — Éventail à bourrique. Voy. bourrique.

ÉVITER. — Je vous en éviterai la peine, pour « Je vous en épargnerai la peine. » L’expression éviter à se trouve dans de bons auteurs, notamment dans Buffon, et dans la conversation elle est universelle. Pourtant je ne diffère pas que cette façon de parler n’est pas absolument correcte.

EXCUSE. — Je vous demande excuse pour « Je vous demande pardon » n’est pas tout à fait orthodoxe, quoique les grands auteurs du xviie siècle l’aient employé. Notre formule ordinaire est d’ailleurs Faites excuse ; expression venue naturellement sous l’idée de l’identité supposée de faire excuse et d’excuser, comme faire pardon, s’il était français, serait identique à pardonner, faire promenade à promener, etc. Le peuple est souvent logique dans ses incorrections.

J’ai eu le plaisir de rencontrer cette locution dans Michelet (la Sorcière, in-12, Dentu, p. 877) : … lui demande excuse.

Faire excuse se trouve dans nos meilleurs écrivains classiques, notamment dans Pascal : Lettres provinciales.

EXPOSITION, s. f. — Action de s’exposer. Une bonne femme de ma connaissance disait à son mari, garde national en 1870 : Ma coque, si tu vas te battre, prends bien garde de ne pas te mettre à l’exposition !

EXPRÈS. — Ne dites pas par exprès, recommande Molard. Il a raison : Dites À l’esqueprès.

Par exprès est l’ancienne locution usitée au xvie siècle et conservée à Lyon. (M. D.)

EXTRAIT. — Extrait de baptême. Cette expression si naturelle est cependant un provincialisme. Un ménage venu du Nord avait monté une épicerie sur la paroisse des Chartreux. On envoyait le petit au catéchisme. Venu le moment de la première communion, M. le curé Pater dit au petit d’apporter son extrait de baptême. Les parents n’avaient jamais entendu le nom de cette marchandise. Après avoir longtemps cherché à deviner ce que ce pouvait être, le père décida que ce devait être de l’extrait de térébenthine, et le gone, le lendemain, en porta une bouteille au curé (historique).