Le Littré de la Grand’Côte/3e éd., 1903/Lettre T

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Chez l’imprimeur juré de l’académie (p. 325-342).
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TABAGNON, s, m. — Cabinet borgne. Par extension, cabaret borgne. — De tabana pour cabana ?

TABASER, v. n. — Remuer, trafiquer, faire du bruit. Que don que ces gones tabasent là-bas ?… Ça me tabase dans l’oreille, Ça me fait du bruit, des chatouillements dans l’oreille. — En rapport avec le vieux franç. tabust, tumulte, cris. Comp. tabass, timbale, et tabussé, frapper, en piémontais.

TABASSEUX, EUSE, adj. — Souillé de tabac. Avoir le nez tabasseux. Comp. le patois tabassiri, tabatière.

TABATIÈRE. — Tabatière de peau, parlant par respect. Offrir une prise de sa tabatière de peau. Très vilain mot pour une très vilaine chose.

TABERNACLE. — Nous prenions souvent à la maison une ouvrière, excellente fille, quoique un petit peu catolle. Elle taconnait tout, très bien, mais un jour qu’on voulut lui faire rapetasser des culottes, elle refusa, disant qu’elle ne touchait pas le tabernacle de l’impureté.

TABLE. — Humbert ne veut pas qu’on dise La soupe est sur la table, mais est sur table. Les grammairiens sont de grands enfants ! Littré donne l’exemple : Le dîner est sur la table.

TABOURET, s. m. — Regard, en parlant d’une conduite d’eau. — De la forme carrée du regard, souvent surélevé par rapport au sol.

TACHER. — Tâcher moyen. Voy. moyen.

Je tâcherai que vous soyez content. Très usité.

TACON, s. m. — 1. Grumeau, petite agglomération. Marie, tâchez donc moyen qu’il n’y ait pas tant de tacons dans votre farine jaune ! — Métathèse de caton (voy. ce mot).

2. Pièce à un soulier (vieilli). — De l’ital. taccone, même sens. — Par extension, raccommodage grossier, qui fait saillie. Se dit surtout des bas, parce que la reprise y est plus marquée. Sens péjoratif. — D’un radical tac, qui désigne dans les langues romanes une pièce rapportée, et faisant saillie sur une surface plane.

TACONNER, v. a. — 1. Mettre une pièce à un soulier (c’est le sens primitif).

2. Faire un raccommodage très grossier, qui gêne.

3. Empaqueter en pressant sans soin, fouler, serrer quelque chose. Veux-tu bien ne pas taconner la coiffe comme ça ! — De tacon (voy. rataconner).

TAFFETATIER, s. m. — Ouvrier qui fabrique du taffetas.

TAILLANTS, s. m. pl. — Grands ciseaux de jardinier. Le pauvre Jacques Belle-Mine, clocheteur-juré de l’église de Saint-Étienne, dans son testament du 10° d’octobre 1692, donne à l’André, sa paire de taillants et un manche d’étrille.

TAILLERIN, s. m., terme de canuserie, — Fausse manœuvre de l’ouvrier veloutier qui, au lieu de couper de son fer le poil seulement, coupe la chaine. Patatra ! voilà chaine et poil derrière le remisse.

TAILLEUSE, s. f. — Molard et Humbert proscrivent le mot ! Rassurons leurs mânes ! Tailleuse, « Couturière qui coupe les vêtements de femme, » est dans la dernière édition de l’Académie.

TAILLON, s. m. — Morceau, mais ne se dit que d’un morceau coupé. Un taillon de pomme. « Mangez ce taillon de massepain, » dit le très précieux Panurge au père Hippothadée.

TALENTS. — Talents de société. On appelle de ce nom des petits talents qui sont toujours enviables dans une bonne compagnie. Par exemple, un jour que j’étais dans une réunion de ce genre, un monsieur introduisit censément un dialogue avec un ami qui venait inopinément lui demander à souper. Il n’avait de rien, mais il fit aussitôt le bruit et geste de scier du bois, de le casser, de tenter d’allumer une série d’allumettes qui ne voulaient jamais prendre ; de souffler le feu, de mettre le beurre dans la poêle, de casser l’œuf, de le jeter dans la poêle, de cracher sur l’œuf pour que l’œuf ne petât pas, etc., etc. Tout cela dialogué et mimé de façon adorable. Il eût gagné gros au Théâtre-Français. Puis un autre prit un pot à eau vide, appliqua sa bouche à l’orifice, et fit là-dedans un tas de bruits horrifiques, depuis le plus délié jusqu’au plus énorme, avec des éclats jaillissants, si bien qu’on en était épouvanté. Puis une dame ferma le poing gauche et l’entoura d’une serviette comme la tête d’un mami emmailloté, et dessina avec un crayon bleu des yeux fermés. La phalange du grand doigt faisait le nez de l’enfant. On eût juré que c’était vrai, d’autant plus que le mami criait à donner envie de s’asseoir dessus. Puis Mme la comtesse de X… imita si bien le braiement de l’âne, que l’âne de notre laitière, qui était à la porte, se mit à lui répondre. Puis la femme d’un colonel portugais mit un morceau de noix sur l’extrémité de son grand doigt, se donna un coup brusque sur l’avant-bras, et zig ! le morceau de noix, comme un obus bien dirigé, piqua droit dans sa bouche. Un savant archéologue nous expliqua que ceci était le principe de la catapulte. — Puis une autre dame roula deux morceaux de mie de pain en forme de petites chandelles, et se les colla sous les narines. C’était si bien imité que j’en faillis rendre mon royaume. Ce qui me remit, c’est qu’aussitôt, une petite demoiselle, feignant un grand mal de cœur, prit des coquilles de marrons rissolés, et appuyant contre le mur sa tête posée sur sa main, les écrasa du pied après quelques hoqutls. Chacun garait le bas de ses pantalons ou de ses jupes. On fit beaucoup d’autres tours dont le détail serait trop long. — Les personnes qui ont ces genres de talents sont toujours les bienvenues dans une société choisie, car cela est plus agréable que d’entendre une jeune personne cochonner au piano la Prière d’une Vierge.

TALER, v. a. — Meurtrir par le frottement. Une dame dira très bien : J’ai fait une grande course à cheval, et je suis talée en plusieurs endroîts (ne pas confondre avec je suis t’allée en plusieurs endroits). Bescherelle donne le mot, mais Littré, l’orgueilleux, n’en a point voulu. — Du vieux haut allemand zâlôn, déchirer ; latin du moyen âge, talare.

TALOCHE, s. f. — Galoche. — De talum, pied, avec le suffixe oche, par analogie avec galoche, filoche, bamboche.

TALON. — La voiture des frères Talon. Voyez casse-talon.

Toucher talon. Voy. défendre.

Avoir les talons courts. Se dit d’une personne qui tombe facilement à la renverse.

Talon, s. m., terme de canuserie, Corde d’une espèce de bascule. Voy. sous bascule.

TAMBOUR, s. m., terme de pliage. — Engin circulaire à clairevoie, formé de bandes de bois, et placé horizontalement. Après que la chaîne a été ourdie, on l’enroule sur le tambour afin de la plier, c’est-à-dire de la faire passer du tambour sur l’ensouple du métier, en donnant aux fils la tension voulue.

On donne aussi quelquefois le nom de tambour à l’engin vertical de même nature qui compose la partie essentielle de l’ourdissoir, et auquel on applique plus ordinairement le nom même d’ourdissoir.

TAMPER. — Voy. étamper. Se tamper, S’arc-bouter, s’appuyer pour faire effort.

TAMPONNE, s. f. — Débauche, ribotte. Faire la tamponne, S’enivrer. — Je crois l’origine italienne : far tempone, même sens : mot à mot « faire le temps long ». Nous devrions avoir timpone, mais le mot a été influencé par tampon : se tamponner l’estomac.

TANNER, v. a. — Vexer, tourmenter, fatiguer par des importunités. C’te Mme Pistonneux est-elle tannante ! Elle veut toujours que je lui fasse des politesses ! — C’est le franç. tanner au fig. Il était déjà usité au moyen âge : « Quar le resveil — Me tanne assez quand je m’esveil, » dit le bon Rutebeuf.

TANT. — Tant qu’à moi pour Quant à moi, — Simple métathèse.

Tant qu’à faire pour À tant faire. — Construit par analogie avec tant qu’à moi.

Le tant pour cent est blâmé par Humbert qui dit : « Tant n’est jamais substantif. » C’est pourtant la qualification que lui donne Littré. Le tant pour cent est d’ailleurs une expression commerciale admise, et qu’il est même parfois impossible de remplacer : Le tant pour cent des agents de change. — À moins que vous n’employiez l’horrible barbarisme pourcentage, que Littré définit précisément par : Le tant pour cent.

Tant qu’à tant, Sans s’arrêter, sans discontinuer, tant que l’on peut. Expression originairement patoise qui s’est introduite à Lyon. — De tantum quantum, et par métathèse tanquetan, tanqu’à tant.

Tant que dure dure, même sens.

Tant que la barbe en fume, même sens. Voy. fumer. Le fait est que lorsque la barbe en fume, il serait dangereux d’aller plus loin.

TANTOT, s. m. — L’après-midi. Nous irons vous voir ce tantôt, cette après-midi. Mon vieil oncle roupille tous les tantôts, C’est une bizarre dérivation de sens.

TAPE, s. f. — Jeu des gones. Jouer à la tape.

TAPÉ. — C’est tapé ! Exclamation de grande admiration qui se dit devant une belle œuvre. J’étais un jour à table à côté d’une aimable dame. La conversation se porta sur le poète Musset. — Musset, c’est tapé ! me dit-elle.

TAPECUL, s. m. (parlant par respect). — Ce n’est pas, comme le dit l’Académie, « une voiture cahotante et rude ». C’est une sorte de voiture de campagne, légère, à deux roues et non couverte. Un tapecul peut être très bien suspendu, mais il est évident que l’idée primitive qui a inspiré le nom est celle d’une voiture qui fait taper la seconde partie du mot.

TAPÉE, s. f. — Quantité, grand nombre. Une tapée de mardous, Une troupe d’enfants. — Comment une « quantité de tapes » est-elle devenue une « quantité » en général ? L’explication serait-elle dans poires tapées, où l’on aurait vu l’idée d’une grande quantité d’objets pressés les uns contre les autres ?

TAPER, v. a. — « Donner des coups à quelqu’un pour le battre ; dites frapper. » (Molard.) — Mais « taper, frapper », est au Dictionnaire de 1798 !

TAPIS NOIR. — Le Toine s’est glissé en tapis noir pour me voir coucher, mais je te l’y ai campé une gifle. — Le fait est qu’un tapis noir n’est pas voyant et ne fait pas de bruit.

TAPISSERIE, s. f. — Papier peint. Tâche voire moyen de ne pas abîmer la tapisserie ! — Les murs étant autrefois garnis de tapisserie, la dénomination a été conservée lorsque la tapisserie a été remplacée par du papier peint.

TAPONNER, v. a. — Bourrer, mettre en tas, surtout en parlant du linge. Mme de Sévigné emploie taponner dans le même sens. Du franç. tapon, bouchon. Taponner : mettre en tampon.

TAQUE, s. m., terme de canuserie. — Cale de bois en forme de coin qui, prise entre la tête du rouleau de devant et le pied de métier, servait jadis à maintenir fixe ce rouleau. De mon temps déjà, le taque était remplacé par une roue dentée, avec un chien s’abattant sur les dents. Lorsque l’ouvrier avait fait environ deux pouces d’étoffe, il « tournait devant » pour faire enrouler d’autant l’étoffe, en faisant avancer la roue de deux ou trois dents. Aujourd’hui l’étoffe s’enroule automatiquement à chaque coup de battant, à l’aide d’un mécanisme appelé régulateur.

Mettre en taque ou entaquer. C’était proprement, après avoir inséré le compasteur (voy. ce mot) dans la rainure du rouleau de devant, fixer celui-ci à l’aide du taque pour commencer à battre. L’expression s’est conservée alors même que l’ouvrier ne sait plus ce que c’est que le taque, et aujourd’hui entaquer, c’est mettre le compasteur dans le rouleau, ou simplement, par extension, se mettre en mesure de commencer le tissage de la pièce.

— D’une racine tac (voy. tacon). Sur l’extension du sens, comp. petas (voy. ce mot) qui, de pièce rapportée sur une étoffe, a pris le sens de gros morceau.

TAQUENET, s. m. — Terme d’amitié comme Bouffi, Gros malin, qui s’adresse à un gone un peu patet qui veut faire le tarabâte.

TAQUET, s. m. — C’est un taquet de moulin. Se dit de quelqu’un qui parle beaucoup. Taquet est pour traquet.

TAQUIER, s. m. — Constructeur de bateaux. — Depuis que Molard a signalé ce mot, il me paraît tombé en désuétude. — Du celtique tac, tag, clou, cheville, pointe. De ce que le taquier cheville et cloue les planches composant le bateau.

TARABAT, s. m. — Bruit, bouleversement, remuement bruyant, remue-ménage. — Vieux franç. tarabat, tapage, fait sur rabast (voy. rabâter), avec un préfixe péjoratif.

TARABÂTE, s. m. — Se dit d’une personne remuante, turbulente. Mon Guieu, que c’t enfant est don tarabâte ! — Subst. verbal de tarabâter.

TARABÂTER, v. n. — Remuer bruyamment. Se tarabâter, s’agiter, se tourmenter. Quand on se tarabâte trop, on se carcine les sanques. — De tarabat.

TARTEIFLE (ei prononcé comme en grec). s. m. — Surnom donné aux Allemands. — De der Teufel, leur juron ordinaire.

TARTEIFLES, TARTIFLES, s. f. pl. — Pommes de terre blanches. — Du piémontais tartifla, même sens, de terrae tubera.

TATAN, s. f. — Tante.

La Tatan Pierrette. — Surnom comique donné à l’hospice de la Charité. I se fait nourri par la tatan Pierrette, Il est à l’hospice de la Charité.

TÂTE, s. f. — Petite tasse d’argent peu profonde, avec une anse, et dont on se sert pour goûter le vin. Elle est en argent parce qu’on y goûte plusieurs successivement, et que l’on croit que l’argent ne transmet jamais les maladies. Autrefois tout bon propriétaire campagnard avait sa tâte, dont il se servait en voyage. Le nom du propriétaire était gravé autour, avec la date d’acquisition. Beaucoup avaient un caractère artistique. — Subst. verbal de tâter, au sens de goûter.

TÂTE-À-C…-DE-POLAILLE, s. m. — Tâte-en-pot, homme qui s’occupe des détails du ménage.

TÂTE-GOLET, s. m. — Tâtillon, homme timide qui n’ose s’aventurer à rien. Par extension, benêt. — De tâter et golet, trou. Littéralement qui tâte les trous avant de s’y engager.

TATI, adv. — 1. Tenir tati, Faire tati, Résister de toutes ses forces. « Faudra tenir tati, y aura de bousculade, » lit-on dans les Tribulations de Madame Poularde. — S’emploie comme interjection. Tati ! tiens bon ! Expression empruntée à la batellerie et qui représente probablement tè-ti, tiens-toi ! — 2. Exclamation pour Assez. Si quelqu’un verse à boire, on lui crie tati ! quand on veut qu’il s’arrête.

TATOUILLE, s. f. — Volée de coups, rossée. — Vieux franç. tatin, coup, de taster, avec substitution du suffixe péjoratif ouille.

TAUNE, s. f. — Proprement Frelon, mais abusivement Guêpe. — De tabana pour tabanus.

TAUPURE, s. f. — Piège à prendre les taupes. Vieilli.

TAVAN, s. m. — Bourdon, Taon. — De tabanum.

TAVELÉ, ÉE, adj. — Tacheté, moucheté. — C’est le franç. tavelé, peu usité.

TAVELEUSE, s. f. — Ouvrière chargée de la surveillance des tavelles à dévider la soie grège. Souvent nos canuts les nomment simplement des tavelles. Y a le garçon à M. Bardot que marie une tavelle de chez Moulineux.

TAVELLE, s. f. — Bille dont les voituriers se servent pour biller leurs chargements. Par extension, trique en général. — De tabella, au sens d’ais, planchette longue.

Sorte de guindre formé de deux roues parallèles sans jantes, composées chacune de quatre ou six rais fixés sur un moyeu et reliés d’une roue à l’autre à leurs extrémités par des ficelles sur lesquelles on place la soie grège à dévider dans les moulinages. — Ainsi nommée parce que les rayons de la roue, qui se raccourcissent ou s’allongent à volonté ont l’apparence d’une tavelle.

TE, pron. régime, explétif. — S’ajoute toutes les fois que l’on veut donner de l’énergie à une affirmation. Les femmes, ça te vous a un batillon !… Je te vous fiche mon billet qu’il lui en cuira !…… Je te m’en vas lui renfoncer son compliment ! etc., etc.

TEILLE, s. f. — Écorce de la tige du chanvre. — Du franç. tille.

TEILLEUX, EUSE, adj. — Se dit d’une viande fibreuse, filamenteuse. Un gigot teilleux. — De teille.

TEL. — Tel que, Tel quel. Mecieu le Merlan, vous laisserez mes cheveux tels que. Sous-entendu « qu’ils sont ».

TÉMOIN, s. m., terme de construction. — Ce sont des lèches de plâtre ou de ciment que l’on pose en travers d’une lézarde dans un mur qui a donné coup, afin de savoir, par la rupture ou l’intégrité des témoins, si le mouvement se poursuit ou s’est arrêté.

TEMPIA, s. m. — Ustensile du canut. C’est une règle plate, articulée, armée à ses extrémités de pointes appelées dents, et qui sert, en faisant entrer les dents dans les deux cordons, à tenir la façure tirante en largeur. — Ital. tempiale, même sens. Tempiale semble bien se rattacher à l’ital. tempia, tempe ; comme le temple, templet, templu, temploir (même sens que tempia) du tisserand semble bien se rattacher au vieux franç. temple, tempe. Mais comment est-on parvenu à voir dans cet outil une analogie avec l’os qui s’étend de l’œil à l’oreille ?

TEMPS. — Un temps foireux. Voy. foireux. — Un temps malade. Voy. malade. — Un temps de dame. Voy. dame. — Un temps pourri. Voy. pourri. — Un temps à ne pas se laisser le sou dans la poche. Voy. poche.

Il faut prendre le temps comme il vient, les gens pour ce qu’ils sont, et l’argent pour ce qu’il vaut. Proverbe admirable que l’on devrait avoir toujours présent à l’esprit. Mon maître d’apprentissage le complétait en ajoutant : et les femmes pour ce qu’elles ne sont pas. Il entendait que là seulement il fallait avoir des illusions, ce genre d’illusions étant si doux. Ô sage !

Une heure de temps, deux heures de temps. Voy. heure.

Le père Dèchetet est mort. — Quel âge avait-il ? — Il était dans ses nonante. — Que voulez-vous, bonnes gens, il avait fait son temps. Expression que vous entendrez toutes les fois qu’il sera question de la mort d’un vieillard. — Allusion au temps du service militaire.

Vous aurez meilleur temps de passer par la grand’route, Cela vous sera plus commode. — Curieuse dérivation de l’idée de temps.

Du temps que, Pendant que, tandis que. Je m’en vas faire l’omelette du temps que t’iras à la cave.

TENAILLER, s. m. — Cellier pour les cuves. — De tine, cuve. Il est probable que les grandes tines, les cuves, se sont appelées tinailles. Comp. futaille, de fût.

Tenailler ou tinailler se disent dans le Bugey et le Mâconnais. Dans le lyonnais on dit cuvier.

TENAILLES. — Monter à cheval comme une paire de tenailles sur le cul d’un chien. — C’était un peu ma manière.

TENDRE. — Tendre comme de bave. Voy. bave. — Tendre comme la rosée. Voy. rosée.

TENDRIÈRE, s. f., terme de carrier et de tailleur de pierre. — Partie friable d’une pierre de taille ou d’un rocher exploitable. — De tendre.

TENDUE, s. f. — Toile destinée à couvrir les bateaux.

TENIR. — Tenir coup. Voy. coup. — Tenir tati. Voy. tati.

Tenir tirant, Est aux canuts ce qu’est tenir tati aux mariniers. Un supposé que vous allez rendre visite à un ami malade : Allons, mon vieux, lui direz-vous en manière d’encouragement, tiens tirant ! Autant dire : « Tâche moyen de ne pas le laisser glisser ! » J’entendais un jour la Marion, de Saint-Laurent-d’Agny (elle était canuse), qui disait à sa mère : Môre, lo grand Coyôrd, la Têta-blanchi, i est-i pôs voutron parrain ? — Oua. A causa ? — A causa de rin. Ah, varmina ! l’outro djor, voliet-t’i pôs !… — O y equiet par plésantô ! — Plésantôve rin du tot ! Se j’aviè pôs tegni tirant !…

De ce que, en canuserie, pour faire de la bonne ouvrage, il faut tenir la longueur toujours tirante, et régulièrement tirante.

Tenir pied, aux boules, Tenir, en jouant, le pied sur la raie qui marque l’endroit d’où l’on joue. Veux-tu bien tenir pied ! — Au fig. Je le forcerai bien à tenir pied, c’est-à-dire à ne pas se départir du droit chemin. — Être assidu à un travail, veiller de près une affaire. Quand on a l’honneur d’être canut faut teni pied à l’ouvrage.

Tenir de rejuint, Tenir quelqu’un serré, sans lui laisser sa liberté. La Pierrette, c’est une fille que faut teni de rejuint. Cela s’entend, Tenir près de soi.

Tenir une marchandise, en parlant d’un marchand. Le bazar tient-il des seringues ? (ou toute autre marchandise).

TENTATIF, adj. — Tentant. Ne s’emploie guère qu’avec le pronom neutre. La Therèse a un petit, mais elle a six mille francs devant elle. C’est bien tentatif. — Tentatif est incorrect, mais tentant est horrible.

TENTE, s. f. — Banne au-devant des magasins. — De tenta, participe de tendere.

TENUE, s. f., terme de canuserie. — Se dit de plusieurs fils de la chaîne qui sont capiyés, et par ainsi ne peuvent pas passer dans le remisse. Manquablement ça fait vilain.

TERMOYER, v. n. — 1. Prolonger le temps d’un payement. Le désordre de ses affaires l’a forcé de termoyer.

2. Ajourner, temporiser. Dans toutes les affaires, il n’est bon qu’à termoyer sans rien finir.

TERNIGASSER, v. n. — Lambiner, muser, perdre son temps.

C’est z’une affaire où i faut pas ternigasser. — Probablement pour termigasser, de terme, avec un suffixe de fantaisie, péjoratif et comique.

TERRAILLE, s. f. — Vaisselle de terre. Un marchand de terraille, Un marchand de poteries. Il est arrivé une penelle de terraille. Le nom de la rue Terraille tire son origine d’une poterie.

TERRAILLER, v. a. — Creuser, remuer la terre. I sont en train de terrailler pour les fornifications. — De terre, avec le suffixe fréquentatif ailler.

TERRASSE, s. f. — Terrine pleine de braise. C’est le brasero espagnol et italien. On dit le plus souvent terrasse de boulanger parce que c’est chez le boulanger voisin qu’on prend la braise. Aubigné l’emploie simplement au sens de grande terrine : « Me boilà use terrace pleine de pissat. » (Fœneste.) — De terre (parce que le récipient est en terre) avec un suffixe agrandissant asse.

TESTICOTER, v. n. — Contester aigrement et à propos de vétilles. Se testicoter, Se piquer mutuellement. Dans beaucoup de ménages le mari et la femme ne font que se testicoter. Corruption d’asticoter sous l’influence de teste, tête. Se testicoter, Se picoter la tête, s’attraper mutuellement par la bourre.

TÊTE, s. f. — Avoir bonne tête. Voy. bonne.

Ne savoir où donner de la tête, Avoir si tellement à faire qu’on ne sait par où commencer.

Réciter de tête, Réciter sans avoir le livre. — Dessiner de tête, Dessiner de mémoire.

Avoir la tête près du bonnet, Être colérique, emporté. Très curieuse métaphore.

Quand on n’a pas bonne tête il faut avoir bonnes jambes.

Tête d’oreiller, Taie d’oreiller. — Aussi pourquoi ne pas dire flène ?

Tête de cheminée, Souche, partie de la cheminée au-dessus du toit.

Tête de mogniau, terme de canuserie, Gros bourron à un fil de la chaine,

Tête roulée. Voy. fromage.

Une tête carrée, Un Allemand, parce qu’on prétend que les têtes carrées sont plus entêtées que les autres.

TETER, v. n. — Au jeu de boules. Une boule qui tette, se dit d’une boule qui touche le petit. C’est une métonymie, car ce serait plutôt le petit qui tette.

Il ferait teter un veau de quatre ans (c’est-à-dire un taureau). On dit quelquefois un vieux bœuf. — Se dit de quelqu’un qui sait si bien s’y prendre, qui a la langue si persuasive, qu’il persuade ou fait accepter les choses les plus invraisemblables. Un bon diplomate doit savoir faire teter un veau de quatre ans. — Cette expression nous est certainement venue de la campagne.

TETET, s. m. — Sein de la nourrice. Faire son tetet, Teter. Le bon Chapelon dit de façon charmante : « Je voudrais, loin de l’injustice, être encore dans mon méchant berceau, et, dans les bras de ma nourrice, sucer mon petit tetet. »

TÊTU, s. m. — Gros marteau carré d’un côté et pointu de l’autre, avec lequel on dégrossit les pierres que l’on veut tailler. Les moellons étêtués (voy. ce mot) sont les moellons travaillés au têtu, par opposition aux moellons piqués, travaillés plus finement à la pointe.

THÉRÈSE, s. f. — Capuche que portaient autrefois les femmes, et qui avait quelque analogie avec le voile des converses carmélites. D’où le nom.

THERIACLE, s. f. — Thériaque. — Thériacle est un souvenir de la forme primitive triacle, thriacle.

THOMAS, s. m. — (Voyez pot.) — Ce mot doit venir du langage militaire. Un caporal facétieux aura fredonné, au moment de la corvée, et avec la prononciation de circonstance, la strophe de la prose pascale : Vidé Thomas, vidé l’as-tu ?…

TIENS. — Exclamation à la vue de quelque chose d’inattendu. ! Tiens, tiens, Polaillon que s’amène ! — C’est le té, té des Provençaux si souvent employé par Alphonse Daudet.

TIGNASSE, s. f. — Chevelure surabondante. C’est pourquoi, à Saint-Pierre, m’avait-on surnommé Tignasse.

TIMBRÉ, ÉE, adj. — Demi-fou, qui a le cerveau légèrement dérangé. — On a considéré le cerveau comme un timbre qui reçoit un coup. Comp. toqué.

TINTEBIEN, s. m. — C’est un bâtis en bois, des fois en osier, en forme de tronc de pyramide ou de tronc de cône monté sur des roulettes, dont la partie supérieure, plus étroite que le bas, arrive sous les aisselles des petits mamis. Ceux-ci, une fois engagés dans l’appareil, se promènent en trainant le tintebien avec eux, et sans crainte de chute. Par ainsi la meman peut faire tout ça que lui passe par la tête sans se tourmenter du mami.

TI PAS. — Voy. pas, loc. On dit aussi : Viendrez-vous ti ? Toujours par analogie avec viendra-t-il ?

TIRAGE, s. m., TIRE, s. f. — Tiraillements, difficultés. Ce mariage ne s’est pas fait sans tirage, Sans difficultés. Il y a de la tire dans le ménage. Le mari et la femme ne s’entendent pas.

Tirage de sonnette, terme de serrurerie, Poignée pour tirer la sonnette.

Tire-cheveux.Se prendre à tire-cheveux, S’empoigner par la bourre. Le marquis et la marquise se prirent à tire-cheveux. (Octave Feuillet.)

Jeter des dragées à la tire-cheveux. Voyez grispipi.

TIRANNIE. Voy. tiranture.

TIRANT. — Tenir tirant. Voy. tenir.

TIRANTURE, s. f. Plusieurs disent TIRANNIE, s. f., terme de canuserie. — Tension des fils de la chaine. Faut mettre de pesouts dans la besace, ta longueur n’a pas assez de tiranture. — De tirer, fondamentalement.

TIRÉ. — Tiré comme une l. Se dit de quelqu’un tiré à quatre épingles.

TIRÉE, s. f. — Action de tirer. D’ici Roanne y a une bonne tirée de grollons. Ça, c’est vrai. Pourtant mon père alla une fois de Lyon à Roanne en un jour. Quant à prendre la voiture des frères Talon pour aller à Saint-Galmier, où il avait une féculerie, il n’y faillait jamais.

TIRELLE, s. f., terme de canuserie. — Lorsqu’une pièce est terminée, le canut laisse, entre deux minces bandes d’étoffe, une bande de chaine non tissée dans laquelle il a passé le compasteur (voyez ce mot). L’ensemble des deux bandes et du morceau de chaine se nomme tirelle. Elle servira plus tard d’amorce pour recommencer la nouvelle pièce (voy. égancettes).

Peigne de tirelle. Voy. sous peigne.

TIRE-LONGE, s. f. — Se dit d’une longue route. Quand j’ai l’ayu vu cete tire-longe devant moi, ça m’a donné une soife ! — On ne s’explique pas clairement qu’on tire la longe d’un cheval en faisant une route à pied. Longe doit être un jeu de mots pour longue.

TIREPILLE, s. f. — Partie cartilagineuse de la viande par opposition à la pourpe (voy. ce mot). — Subst. verbal. de tirepiller parce qu’il faut censément tirepiller cette portion de la viande avec les dents pour la pouvoir manger.

TIREPILLER, TIRIPILLER, v. a. — Tirailler avec violence, tirailler en déchirant. Se tiripiller, Se déchirer mutuellement les habits. De tirer, plus une seconde partie, qui n’est point piller, comme on le pourrait croire, mais le vieux franç. peille, lambeau. Tirepiller, tirer en lambeaux.

TIRER, v. a. — Les grammairiens sont toujours tout plein récréatifs. « Tirer son chapeau, dit Humbert, est une expression vicieuse. » Il n’avait pas lu Voltaire : « Les préjugés sont de trop grands seigneurs pas pour que je ne leur tire mon chapeau. » Et Littré donne pour exemple : « Tirer son chapeau, l’ôter pour saluer. Il ne m’a pas tiré son chapeau. »

Tirer au pistolet est également proscrit par le même. Il veut qu’on dise tirer le pistolet. Mais Littré donne les exemples : « Tirer au pistolet, au fusil, à la carabine. » Bon lecteur, emploie ces expressions en sûreté de conscience, sans te marcourer le menillon !

Tire-toi voire un peu plus loin, Recule-toi un peu.

Se tirer, S’écarter. Je me suis tiré de côté pour laisser passer cete dame.

Faire tirer son portrait — Se faire tirer en peinture — Tirer un paysage, Le reproduire en peinture. Le pauvre Lavie (qui se souvient de son nom ?) peignait un jour à Sainte-Consorce un paysage d’après nature. Un paysan le regardait faire d’un air narquois. Au bout d’un moment le paysan dit : Vos tiri ce l’ôbre ? — Eh oui ! — Au bout d’un autre moment : Vos tiri cela méson ! — Eh oui ! — Comme iquien vos tiri tot ? — Eh oui ! — Ben, tiré don mon c… ! (Historique.)

On ne peut pas tirer ses longueurs. Se dit d’une affaire, d’une entreprise où l’on ne peut joindre les deux bouts. — Un menuisier, un maçon vous dira : À ce prix-là je ne peux pas tirer mes longueurs. Pour tirer les longueurs successives qui composent une pièce, il faut pouvoir vivre en les tissant.

Tirer le vin n’est pas la même chose que tirer du vin. Dans le premier cas on tire le vin de la récolte pour le mettre en tonneaux, dans le second cas, on le tire au tonneau pour le boire.

Tirer les yeux, Les crever. « Folie tire les yeux à l’Amour, » dit Louise Labé dans le Dialogue de Folie et d’Amour. On dira encore : La reverbération du soleil dans cete vitre tire les yeux. Métaphore pour Les offense grièvement.

On dit aussi en parlant d’un objet qu’on cherche : Je suis sûr qu’il me tire les yeux, pour dire : Je parie qu’il est en évidence, et pourtant je ne le vois pas.

Tirer peine. Voy. peine.

Tirer de, Ressembler. La petite tire de sa grand’. Lui ressemble.

Tirer droit sur, Se diriger droit sur quelque objet. Vous tirerez droit sur ce cret, Vous vous dirigerez en ligne droite sur ce sommet. Cette dérivation du sens de tirer, qui signifie amener à soi, au sens contraire de se déplacer vers un objet, a son origine dans l’idée de tirer un trait sur cet objet.

Tirer le lait, tirer les vaches, sont, n’en déplaise à maints grammairiens, des expressions correctes (voy. Littré à tirer).

Tirer une boule. Voy. boule.

Tirer un plan. Voy. plan.

TIREUR, s. m. — 1. Celui qui, au jeu de boules, fait sa spécialité de tirer, par opposition au pointeur, celui qui fait sa spécialité de pointer.

2. Dans le métier antérieur à la Jacquard, c’était le jeune garçon qui tirait les lacs du semple.

3. Tireur de fers. C’est un gone qui tire les fers dans les velours frisés trop larges pour que le canut puisse tirer les fers lui-même. Il les pose ensuite sur la façure, mais c’est le canut qui les passe.

TIRIGOUSSER, v. a. — Houspiller, secouer, tirailler. « C’est Lacandeur, bien sûr, qu’a crevé mon andouille, — En me tirigoussant. » (Une Partie de campagne.) — De tirer, avec un suffixe comique de fantaisie.

TISANE. — Tisane de polisson. Voy. coco.

TISONNASSE, s. f. — Se dit d’un morceau de charbon de bois mal carbonisé qui ne brûle pas et répand de la fumée et de la mauvaise odeur. Ce sale charbon est tout en tisonnasses.

TISSEUR, EUSE, s. — Canut, use. Ce mot n’est pas français ; il n’a pas été admis par l’Académie. Il n’est pas lyonnais non plus, car on le chercherait vainement dans toutes les pièces relatives à la fabrique, si ce n’est depuis un certain nombre d’années relativement peu considérable. Les anciens documents ne parlent jamais que des ouvriers en soye. On ne rencontre même le mot de tisseur dans aucune pièce touchant l’insurrection de novembre 1831, qui fut cependant l’œuvre des canuts. — Au rebours, aujourd’hui, le nom d’ouvrier en soie est proscrit et l’on n’emploie que celui de tisseur. Je suppose qu’il a été introduit pour flatter l’amour-propre des canuts, qui ne sont ainsi plus qualifiés d’ouvriers. Le mot a existé au moyen âge, mais très exceptionnellement (on disait tissier). Littré ne donne qu’un seul exemple. Les dictionnaires ne le contiennent même pas (pas même Barré, 1842, ni Bescherelle, 1861), sauf Trévoux qui le donne au Supplément pour tisserand en étoffes de laine. Je ne sais qui le premier l’a revivifié en déviant le sens.

TOCASSIN, s. m. — 1. Tocsin. — 2. Vacarme, boucan, grand bruit. Quel tocassin qu’i font là-bas ? — Vieux franç. toquesin.

TOCASSINER, v. n. — Heurter de façon répétée, faire du tapage, surtout en choquant des objets, sonores les uns contre les autres. T’amuse don pas à tocassiner avè ces pots !

TOILE. — La toile du ventre. Se dit pour coiffe du ventre. Voy. coiffe.

TOILETTER (SE), v. pr. — Faire sa toilette. Le temps de me toiletter et je suis à toi.

TOISÉ, ÉE, adj. — Fini, ie, achevé, ée, avec sens péjoratif. C’est une affaire toisée. D’un négociant : Il a son concordat, mais c’est un homme toisé. S’emploie pour mort. Le pauvre b… est toisé.

TÔLÉE, s. f. — Une tôlée de pâtisseries. Certaines pâtisseries se mettent au four rangées par douzaines sur des plaques de tôle. D’où le nom. Un de mes amis avait bon appétit. À une foire, à Moulins, il demande à un pâtissier combien il lui prendrait pour manger des pâtisseries à discrétion. Cent sous, fait le pâtissier croyant le voler de quatre francs cinquante. — Tope ! mais vous donnerez une chopine de vin blanc pour les faire passer ! — Entendu ! — Le pâtissier apporte une tôlée, deux tôlées, voyant avec inquiétude que son client ne buvait pas. Enfin, après la quatrième tôlée, celui-ci met un demi-doigt de vin dans son verre. — Vous ne buvez que ça ! — Faut ben que j’en oye pour jusqu’à la fin ! — Épouvanté, le pâtissier lui rendit ses cinq francs et résilia le marché. — Il était temps ! l’autre était tube, s’il n’avait bu un grand verre d’eau ! Mais il avait mangé gratis pour quarante-huit sous de pâtisseries.

TOMBÉE, s. f. — Surcroit, affluence, en parlant des personnes. Cet hôtel a la tombée des commis-voyageurs. Se dit de gens qui arrivent inopinément pour diner. À la maison, nous avions des fois la tombée de quatre cousins de Mornant.

La tombée de la nuit, La chute du jour. Les deux images, quoique opposées, sont également justes. La nuit semble bien tomber du ciel. Aussi, bien que l’expression ne figure pas dans les dictionnaires, elle me parait susceptible d’emploi.

TOMBER, v. n. — Tomber en faïence. Voy. faïence.

De la rue de l’Enfant-qui-pisse, vous tombez dans la rue Longue. C’est une métaphore, car vous n’êtes pas obligé de faire une chute en arrivant dans la rue Longue.

J’ai glissé sur une corce d’orange et j’ai tombé les quatre fers en l’air. Par comparaison, censément, avec un âne.

Arriver, en parlant des fêtes. Cette année, le jour de l’an tombe un treize.

Tomber, v. a. — Renverser. En se tiripillant, l’André a tombé le Jean-Pierre. — Archaïsme. Tomber s’employait au sens actif dans le vieux français.

Il en tombe comme qui la jette. Il pleut à verse, il en tombe moins qu’une avale d’eau, mais de façon plus continue qu’une singotte.

TOMBURE, s. f. — Chute. J’ai fait une tombure sur mon prussien. C’est des fois de mauvaises tombures.

TOMME, s. f. — 1. Fromage frais. — 2. Lait caillé à l’aide de présure. — 3. Petit fromage. Tomme, dans ce dernier cas, est pour fromage de tomme. — Origine celtique. La racine a, dans les langues celtiques, le sens d’agglomération, masse.

TONNE, s. f. — Tonnelle. De tonne, futaille, parce que la tonne s’est faite primitivement en forme de voûte, arrondie comme un tonneau scié en deux parties dans le sens de sa longueur. Comp. l’angl. tunnel.

TOPETTE, s. f. — Fiole en verre blanc, de forme très allongée, à long goulot, qui doit contenir 125 grammes environ. Mais il y a la double topette. Aujourd’hui les topettes (agiter avant de s’en servir) ne s’emploient qu’en pharmacie. — Du vieux allemand toph, pot.

TOQUÉ, ÉE, adj. — Timbré, extravagant. De toquer, frapper. Toqué : frappé au cerveau. Comp. le patois fiéru per la téta (frappé à la tête), fou.

TORCHÉE, s. f. — Volée de coups. Se flanquer une bonne torchée. — De torcher, battre, qui est français.

TORCHER, v. a. et n. — Manger de grand appétit. Nous ont torché en cinq minutes à deux un gigot de six livres. Extension du sens de torcher, essuyer. Torcher les plats, Manger les mets de façon à essuyer les plats.

TORCHETTE. Nette comme torchette. Voyez nette.

TORCHON, s. m. — Un torchon de paille. Un bouchon de paille.

Un torchon de pain, Un gros carrichon de pain. — Du vieux lyonn. torche, sorte de pain, lui-même de torcare, pour torciare, sans doute parce que le pain avait une forme de tresse. Comp. tourte, de torta.

Se donner un coup de torchon, Se donner une tatouille.

Le torchon brûle. Se dit d’une brouille, d’une picoterie dans le ménage. — Curieuse métaphore, dont l’origine est difficile à expliquer.

TORDEUSE, s. f. — Ouvrière chargée de tordre (voy. ce mot).

TORDRE, v. a. — Tordre le nez à quelque chose, Refuser de le faire, ou ne le faire qu’avec répugnance. Le pipa a tordu le nez à ce mariage… Fallait cracher au bassinet, M. Crassaud a tordu le nez.

Ne faire que tordre et avaler, Manger avec une telle faim qu’on ne prend pas le temps de mâcher.

Terme de canuserie. Opération qui consiste à lier, en le tordant et en l’imprégnant de gomme, chacun des fils de la chaine qui finit à chacun des fils de la chaine que l’on va commencer à tisser.

TORDU, UE, adj. — Mort, te. Le pauvre b… est tordu.

TORMENTINE, s. f.— Potentille, tormentille, plante dont la racine contient du tannin, et qui était autrefois très employée par le peuple.

TORT. — Faire tort à ses connaissances. Euphémisme pour Montrer, par ses paroles ou par sa conduite, son ignorance en telle ou telle matière. À table d’hôte : La mère d’Henri IV était bien Jeanne d’Arc ? — Monsieur, vous faites tort à vos connaissances ; c’était Jeanne d’Aragon.

TORTILLER. — Se tortiller, en marchant. Cette expression, signalée par Humbert comme incorrecte, est absolument française au même titre que Ce ver se tortille, exemple donné par l’Académie dès 1835.

Tortillez-vous donc,
Mam’sell’ Susette,
Tortillez-vous donc sur vos rognons !

dit une de nos vieilles chansons populaires.

Tortiller des fesses (parlant par respect), Reculer, renacler. Allons, faut pas tortiller des fesses ! Faut dire à la femme que te vas avè de z’amis, et que te rentreras pas ce soir avant neuf heures.

TORTILLONS, s. m. — Tordions, torsions. J’ai des tortillons dans le ventre, J’ai des coliques avec la sensation de torsions.

TÔT-FAIT, s. m. — Sorte de gâteau, rapidement cuit, dont l’origine est, je crois, dauphinoise.

TOUR, s. m. — Faire son grand tour, son petit tour. Voy. faire.

En un tour de main, En aussi peu de temps qu’il en faut pour tourner la main. Pourquoi blâmer, ô Molard, cette expression si naturelle ? « Dites : En un tourne-main, » ajoute-t-il. L’un et l’autre sont bons, quoique, je l’avoue, j’aie un faible pour tournemain, devenu un peu archaïque.

Plus souvent qu’à son tour, Très souvent. Le Tony va-t-i quèquefois chez la Rosa ? — Il y va plus souvent qu’à son tour.

TOURMENTE, s. m. — So dit d’une personne qui vous harcèle de ses importunités, de ses insistances. Mon Guieu que ce gone est don tourmente ! I veut toujours savoir à quoi que l’on connait le fenne de le z’hommes quan i sont pas habillés ! — Subst. verbal de tourmenter.

TOURMENTE-CHRÉTIEN, s. f. — Même sens. On a déjà eu l’occasion de remarquer que chrétien s’entend de l’homme en général (voy. chrétien). Ce mot de tourmente-chrétien se retrouve dans la basse Auvergne, dans le Piémont, et jusqu’à Gênes. Chez nous, l’idée d’homme ou de chrétien a disparu sous l’idée générale de tourmenter, et quand je turlupinais le chat, mon père ne manquait jamais de me traiter de tourmente-chrétien.

TOURMENTINE, s. f. — Térébenthine. Vieilli. — Vieux franç. tourmentine, de terebenthina, par la marche suivante : trebentine, trementine, termentine, tourmentine.

TOURNE, s. f., terme de jeu de cartes. — La Retourne. Quelle est la tourne ?

TOURNER. — Tourner l’œil. Ignoble expression que quelques-uns emploient pour dire Mourir.

Tourner l’œil signifie surtout chez nous s’évanouir. Ça lui a si tellement fait d’effet sur le moment qu’elle en a tourné l’œil.

Tourner devant, terme de canuserie, Faire avancer de quelques crans, à l’aide de la cheville à tourner devant, le rouleau de devant au fur et à mesure de la fabrication de l’étoffe. Aussi, dit la chanson :

Je vois aller la fabrique ;
Rien ne me rend plus content.
Tous les gens de la boutique
Tournent devant très souvent.

Au jour d’aujourd’hui, le rouleau tournant à cha-peu sous l’action du régulateur, on ne tourne plus devant, sauf qu’on ait besoin de raccourcir la façure. Dans ce cas, il suffit de tourner la manivelle dont le régulateur est pourvu à cet effet.

Au fig. Expédier une besogne, avancer à l’ouvrage. Un jour, avec un vieux cenut, nous voyons passer une jolie canuse, bien allurée. Eh, eh, qu’il me dit, en voilà une qui ne demande qu’à tourner devant !

Tourner le corps, Tourner les sangs, La même chose que retourner les sangs (voy. retourner).

Tourner, au jeu de cartes. Qu’est-ce qui tourne ? De quoi tourne-t-il ?

TOURNIQUET, s. m. — C’était le nom donné au tour des Enfants trouvés, pratiqué dans le mur de la Charité. Le tourniquet de la pierre qu’arrape (voy. pierre). — Porter un enfant au tourniquet… C’est un enfant du tourniquet.

TOURTE, s. f. — Disque de pâtisserie à bords relevés, recouvert d’une couche de confiture, sur laquelle on place un treillis de bâtonnets de pâte sucrée et dorée. Telle est exactement la vieille tourte, dont le nom s’est étendu à des gâteaux de forme analogue, mais aux fruits ou à la frangipane et sans treillis, qui ne diffèrent pas de la tarte ordinaire. — De torta, probablement de ce que les bords étaient primitivement tordus en façon de torsade.

TOURTERELLE. — Une délicieuse naïveté de ce bon Molard : « Tourterelle. Oiseau qui hante les bois. Quand on parle de cet oiseau comme bon à manger, on le nomme tourtre, s. f. Servir des tourtres, de bonnes tourtres. » — Comme les élèves de ce digne homme étaient exactement renseignés ! Le tourdre (turdum), espèce de grive, n’a, comme on le sait, rien à voir avec la tourterelle (turtur). C’est à tort que Littré fait tourdre féminin.

TOUS. — En partie tous. Voy. partie.

Tous et un chacun. Charmant pléonasme archaïque pour bien expliquer que personne ne fait exception. Il est curieux que les Allemands aient la même locution : Alle und Jede. — Il est inutile d’ajouter ensemble comme font quelques-uns : Tous et un chacun ensemble.

TOUSSE, s. f. — Toux. J’ai une tousse que ne me laisse gin de relâche. — Subst. verbal de tousser.

TOUT. — Elle est jolie comme tout… Ça tient comme tout… C’est bête comme tout (voy. bête). Se dit de tous les objets quelconques, tout pouvant se comparer à tout.

C’est bien de tout comme de tout. Adage que l’on répète à chaque instant de la journée, et qui exprime un désabusement de la vie qui n’est pas même dépassé par celui de l’Ecclésiaste. Cela veut dire : Tout revient au même, Rien ne vaut la peine de rien. Il est riche mais il n’est pas heureux. — C’est bien de tout comme de tout.

Tout de même, adv. — 1. Volontiers, Je n’y vois pas d’obstacle. Vons-nous ce soir à Guignol ? — Tout de même.

2. Exclamation répondant à Vraiment, C’est étonnant. Abîmer sa femme parce qu’elle vous a fait … ! Tout de même, c’est roide ! disait notre bon voisin, M. Manivelle. — Fectivement, c’est pas juste, répondait mon bourgeois : vous l’avez pas seulement sentu, et vous lui faites mal !

Tout nouveau, tout est beau. Se dit en parlant des jeunes mariés.

C’est tout le bout du monde. À peine. Avè ce t’article, c’est tout le bout du monde si en cigrolant sa navette quatorze heures par jour, on arrive à manger du pain rubis. Locution très énergique, mais dont le formation est difficile à expliquer.

TOUTE-BONNE, s. f. — Espèce de sauge, salvia sclarea. — De ce que ses infusions sont bonnes pour tous les maux.

TOUTES. — Toutes fois et quantes, Autant de fois. Cet archaïsme est encore employé de fois à autres.

TRABOULER, v. n. — S’emploie seulement dans l’expression Une allée qui traboule, Une allée de traverse. J’avais cru le mot tiré de l’argot, mais il est bien lyonnais. — De tra (trans) et bouler, rouler, Allée qui traboule est pour allée par où l’on traboule, comme allée qui traverse pour allée par où l’on traverse.

TRACOLE, s. f. — Loquet. — De tra (trans) et du patois cola, couler. Comp. le patois trocola, piège à trappe pour prendre les oiseaux.

TRAFIC, s. m. — Mener un trafic, Faire du bruit, du boucan, du remuement. I n’ont mené un trafic pour cette noce ! — Dans toutes les langues, trafic ou son équivalent a été pris au fig. pour mouvement, bruit.

TRAFIQUER, v. n. — Remuer, ravauder, bourlayer. Voy. trafic.

TRAFUSER, v. a., terme de fabrique. — Accomplir une opération qui consiste à mettre un matteau à une cheville, et, plaçant les deux poings à l’intérieur du matteau, à lui imprimer des secousses et un mouvement de rotation qui a pour but de séparer les flottes. On subdivise ensuite la flotte en flottillons (voy. ce mot), afin de faciliter le dévidage. — De tra (trans) et fusare, répandre.

TRAFUSOIR, s. m., terme de fabrique. — Arbre vertical portant des chevilles pour trafuser la soie.

TRAFUTER, v. n. — Même sens que trafiquer, dont il est peut-être une dérivation fantaisiste.

TRAILLE. — Manquer la traille, Manquer l’occasion favorable. Comp. manquer le coche.

TRAIN. — Faire du train, Faire du boucan, du bruit, On dit aussi faire le train. Le chien a fait le train cette nuit.

TRAÎNARD, DE. — Nous l’employons comme adjectif. Un ton traînard.

TRAÎNASSE, s. f. — 1. Nous donnons ce nom à divers végétaux dont les tiges traînent sur le sol. Ce sont la renouée des oiseaux, polygonum aviculare ; une graminée dénommée l’argrostis, et l’ers, ervum hirsutum.

2. Terme de construction. Se dit d’une gaine horizontale, placée dans le sol, pour aller chercher une gaine montante, comme cela se pratique des fois pour des fourneaux isolés du mur.

TRAÎNE-FESSES, s. m. — C’est le nom qu’au début le populaire donne aux tramways, mot qui avait, surtout à la lecture, un caractère étranger et bizarre. Mais petit à petit la forme tramevet, très euphonique et très élégante, a pris le dessus. Sans compter qu’au moins de cette manière l’on parle français.

TRAIN-TRAIN. — Mener son petit train-train, Continuer le courant d’une vie modeste. Train-train, par l’allongement même, est le diminutif de train.

TRAITER, v. a. — Traiter quelqu’un, Le recevoir, lui offrir à diner. — Analogie avec traiteur. Traiter : faire à l’instar des traiteurs.

Les médecins l’ont traité pour une fluxion de poitrine. Paraît qu’il faut dire : D’une fluxion de poitrine. Ça me semble bien refendre les cheveux de vierge en six.

TRALALA, s. m. — Le grand Trulala des Indes. Se dit de quelque chose d’extraordinaire, pour lequel on a tout mis sens dessus dessous, d’une fête à tout casser. — C’est pas une noce qu’i n’ont fait pour Mlle Gouliasson, c’est le grand tralala des Indes.

TRAME. — Trame tirante, Défaut à la pièce du canut, déterminé par un coup de navette où la trame, ayant rencontré quelque difficulté pour se dérouler, a trop tiré. On corrige le défaut en coupant adroitement la trame au cordon, et en desserrant l’étoffe avec l’ongle.

TRAMEVET, s. m. Voy. traîne-fesses.

TRAMPALER, v. n. — Tituber. C’est z’un homme qui boit ses six pots sans trampaler. Pour tituber, la langue lyonnaise est très riche : trampaler, balmer, zigzaguer, faire des esses, aller de gaviole. — C’est la forme urbaine du patois trampalô, même sens, d’un radical germanique qui signifie piétiner. Y avait de l’eau dans le vin, l’autre jour, ça me dérange. Quand y a que la graine pure, je trampale même pas, dit Guignol dans Un dentiste, pièce de l’ancien répertoire.

TRANCANAGE, DÉTRANCANAGE, s. m. — Action de trancaner, au propre et au fig.

TRANCANER, DÉTRANCANER, v. n., terme de fabrique. — Dévider sur la machine appelée trancanoir. Lorsque la soie sortant de la teinture est remise à la dévideuse, celle-ci met les flottes sur les guindres et dévide sur les roquets. Comme la flotte est sujette à s’embrouiller, le fil tire à ces moments, et fait une serrée sur le roquet. À l’ourdissage, le fil pourrait casser. Pour régulariser, on dévide une seconde fois le fil sur le trancanoir (voy. ce mot). Faire cette opération, c’est trancaner ou détrancaner la soie (voy. détrancaner). — Au fig. Transvaser. Trancane don ce vin, qu’y a de la bourbe au fond. — De l’ital. stracannare, mot technique. Au xve siècle stracannare ja seta, « passarla da una altra canna ». Ital. scannare, dévider. Le mot a été importé avec l’industrie de la soie.

TRANCANOIR, DÉTRANCANOIR, s. m. — Sorte de dévidoir. — De trancaner, avec le suffixe oir, applicable aux objets moyens d’action.

TRANCHET, s. m. — Trier sur le tranchet, Trier sur le volet. Cette locution, proscrite par Molard, me parait tombée en désuétude. Il est vraisemblable que tranchet signifie ici la planche à trancher, vulgairement nommée planche à hacher.

TRANSON, s. m. — Gros morceau. Se dit surtout en parlant du pain. Un transon de pain, Un gros morceau de pain. — De truncionem, de truncum.

TRANSPARENT. Voy. guide-âne.

TRAPOT, OTTE, adj. — Gros et court. — C’est trapu, avec changement de suffixe. C’est par erreur que Littré indique la forme trapet comme lyonnaise. Du moins, je ne la connais pas.

TRAPPON, s. m. — Trappe pratiquée dans le plancher d’un grenier ou d’une cave. — Diminutif de trappe.

TRAQUENARD, s. m. — Tarare, van mécanique pour le grain. — De traquenard, piège à loups, parce que le tarare se compose de palettes qui sont mises en jeu par un mouvement de rotation, et font assez bien l’effet de trappes qui tombent, et en rappellent le bruit.

TRAQUE, s. des 2 g. — Écervelé, timbré, demi-fou. Le Fiacre n’est pas méchant, mais il est un peu traque. — D’une racine trac, exprimant le dérangement d’un ressort, d’une mécanique, et qui est peut-être une onomatopée. Comp. détraquer, et l’argot avoir le trac.

TRAQUOIRE, s. f. — Fille écervelée, à tête faible. La Lympe a fait de gognandises, mais c’est pas pour faire mal ; c’est une traquoire. — De traque, avec le suffixe oire, qui devient péjoratif, lorsque, au lieu de s’appliquer aux objets, il s’applique aux personnes, qui sont alors comparées à des objets métalliques.

TRAS, s. m. — Solive. Il y a deux espèces de tras : le tras ordinaire de 8 cent. de largeur par 11 cent. de hauteur, et le tras de matte, de 16 cent. sur 16. Les premiers s’assemblent dans les poutres ; les seconds sont posés sans assemblage, et simplement en prise dans les murs. — De trabem.

TRASSAUTER. Voy. tressauter.

TRAVAILLER. — Travailler comme un massacre. Voy. massacre.

Travailler sur l’or, sur l’argent. « Dites Travailler l’or, l’argent. » — Je le veux bien, ô grammairiens subtils ! Pourtant on ne peut dire de quelqu’un qui grave sur l’or, par exemple, qu’il travaille l’or : il travaille bien sur l’or.

TRAVERSE. — Allée qui traverse. Voy. allée.

TRAVERSE, s. f. — Vent d’ouest. Je crois que nous avons emprunté le mot aux Foréziens, qui ont donné ce nom au vent d’ouest parce qu’il prend en travers la plaine du Forez.

TRAVERSER, v. a. — Traverser le pont, Passer le pont. Métonymie. L’idée est Traverser la rivière au moyen du pont.

TRAVERSIN. — Faire du traversin. Se dit d’un ivrogne qui marche de travers. Spirituel calembour.

TRAVIOLE. — De traviole, De travers. Marcher de traviole. C’est travers, avec substitution d’un suffixe comique.

TRAVON, s. m, — Le même que tras. — De trabonem, de trabem.

TRÉBUCHET, TRÉBICHOLET, s. m. — Faire le trébuchet, le trébicholet. Tour d’adresse qui consiste à mettre sa tête sur le sol, et à faire passer, parlant par respect, le cul par-dessus la tête. Très joli jeu de société à la campagne, mais les dames s’en abstiennent géneralement, en tout cas il est utile qu’elles ôtent le peigne de leur chignon pour que les dents du peigne ne leur entrent pas dans la bosse du crâne. — De trébuchet, trappe qui bascule.

La forme trabuchet, fréquemment employée, est plus correcte.

TRELAS, s. m. — Gros morceau. Un trelas de pain, Le contraire d’une chiquette.

TRÉMONTADE, s. f. — Perdre la trémontade, Perdre le tramontane. — Corruption de tramontane.

TREMPE, s. f. — 1. Lessive. Proverbe : Fatigué comme un pauvre homme qui coule sa trempe. — Subst. verbal de tremper dans tremper la lessive.

2. Piquette. — De temperare, parce que le marc de raisin est trempé d’eau.

TREMPE, adj. des 2 g. — Mouillé. J’ai ma chemise toute trempe. — Sur la formation, voyez arrête.

TREMPER, v. a. — Tremper la lessive. Opération qui consiste à faire subir un premier lavage au linge et à le tremper dans l’eau avant de couler le lissieu par-dessus.

TREMPOTTE, s. f. — Pain trempé dans du vin. Faire une trempotte.

TRENTE-SIX. — Se mettre sur ses trente-six, Prendre ses plus beaux affaires, se mettre en grandissime toilette. Il me semble que ce serait encore plus beau de se mettre sur ses trente-sept, mais je n’ai jamais vu personne le faire.

TRÈS. — On ne peut pas dire J’ai très faim, fait remarquer Humbert, car très ne modifie que les adjectifs (et les adverbes). C’est juste, mais en général, car l’expression très homme de bien se rencontre chez des auteurs du xviie siècle, notamment chez Racine.

TRÉSORISER, v. n. — Le mot populaire est beaucoup mieux fait que son correspondant savant thésauriser.

TRESSAUTER, TRASSAUTER, v. n. — En même chose que ressauter (voy. ce mot). — De sauter, avec le suffixe tra, très, signifiant au travers. — L’idée est de sauts qui passent au travers du corps.

TRIAILLES, s. m. pl. — Épluchures, débris. De triailles de truffes, Des épluchures de pommes de terre. — De trier. Comp. curailles.

TRIANDINE, s. f. — Outil pour travailler la terre, composé de trois pointes d’acier fixées sur un talon. — De trient (voy. ce mot), avec suffixe ine.

TRICOT, s. m. — Le sévère, mais peu juste Molard proscrit l’expression : « J’ai acheté une culotte de tricot, » et veut qu’on dise « une culotte de tricotage ». Hélas, c’est lui qui fait le solécisme ! L’Académie (1798) définit le tricot, une « sorte de tissu fait en mailles ». Donc on peut dire une culotte de cette espèce de tissu. Quant à tricotage, l’Académie le définit : « L’ouvrage d’une personne qui tricote. » Or on ne pourrait dire : « J’ai acheté une culotte de l’ouvrage, etc. »

TRICOTER, v. a. — 1. Donner des coups de bâton. M. Tartouilleux a tricoté les épaules à l’amoureux de sa fenne. — De tricot, bâton.

2. Tricoter les cloches, Carillonner.

3. v. n. — Tricoter, Danser, en battant des entrechats, en remuant les jambes avec agilité. — C’est le français tricoter, avec dérivation de sens. On a comparé le mouvement des jambes au mouvement des aiguilles à tricoter. De même, pour 2, on a comparé le mouvement du sonneur à celui du danseur, le sonneur faisant, pour les églises où le carillon était important, manœuvrer un clavier de pédales.

TRIENT, s. m. — Pioche à trois dents courtes, qui sert à enlever le fumier des étables. De tridentem.

TRIMER, v. n. — Peiner, travailler avec effort, en supportant la fatigue. Je connais un monsieur qui a eu quatorze enfants. Hein, comme vous avez dû trimer ! lui disait quelqu’un. Le fait est que, pour élever tout ça, il y avait de quoi trimer ! — Dérivation du sens de trimer, marcher, qui est français.

TRIPES. — Mou comme de tripes. Se dit de quelque chose de peu résistant. Le Pacôme, que voulez-vous que ça fasse ? c’est mou comme de tripes !

Faire de tripes cœur : « C’est le lieu où il faut faire de trippes cœur, comme l’on dit, et vous, qui n’êtes que cœur, pourriez-vous de cœur faire trippes ? Non certes. » (Lettre de 1601, Pericaud, cité par Em. Vingtrinier.)

TRIPOTEUR. — Tripoteur est condamné par Humbert qui veut qu’on dise tripotier. Ce dernier est en effet meilleur, mais tripoteur a tellement passé en usage que Littré l’a fait figurer dans son dictionnaire.

TROC, s. m. — Gros morceau. Un troc de pain, Un gros morceau de pain. — Peut-être de tort, torc, de tortiare. Comp. un torchon de pain, Un gros morceau de pain ; et le vieux lyonnais torche, Gros pain.

TROIS. — Avoir trois demi-sous moins six liards. Manière de dire que l’on n’est pas bien riche.

TROIS-CORNETS. — Tout le monde a connu la Fontaine des trois cornets, si célèbre pour l’abondance et la pureté de ses eaux, et qui était rue Saint-Georges. La source a été détournée par le percement du tunnel sous Fourvières.

TROIS-PIEDS, s. m. — Ustensile en fer pour placer la marmite sur le feu. — De ce qu’il n’a pas quatre pieds.

TROMPETER, v. n. — Molard, avec raison, je crois, dit que l’emploi de ce mot au sens de sonner de la trompette est une incorrection. Littré et Bescherelle admettent cependant cette acception, mais l’Académie est muette. Le mot est trop drôle pour ne pas s’en servir à l’occasion, comme de beaucoup d’autres, mais sans avoir la prétention de parler un français académique.

TRONFLON, s. m. — Gros nez. Le tronflon d’Ajax brillait comme un ver luisant parmi de cloportes (Traduction inédite de l’Iliade). — Mot fantaisiste fait sur ronfle (voy. ce mot).

TROP (DE), pour Trop. — « Je ne veux pas finir mon japillage en vous parlant politique, il y en a déjà de trop dans les réunions qui débitent leur baume aux ouvriers, qui leur disent que la révolution va venir et que nous serons tous heureux comme des coqs en plâtre. » (Mathevet.) Nous employons souvent le de avec valeur explétive : J’en ai de besoin. Elle a du soin de moi. Je ne l’ai pas vu du depuis, etc.

TROTTIN. — Dévotion de saint Trottin, Dévotion des pèlerinages. Se dit aussi de la dévotion des inférieurs ou des jeunes gens qui demandent à sortir sous prétexte d’aller à l’église. C’était une des expressions favorites de ma mère.

TROU. — Trou de louve. Voy. louve.

Juste comme le doigt au trou. Voy. juste.

Boire comme un trou de taupe. En effet, vous pouvez mettre arrosoirs sur arrosoirs dans un trou de taupe, jamais vous ne le voyez gorgé.

Le trou que le maçon n’a pas bouché, La porte. J’ai eu vite fait de lui faire prendre le trou que le maçon n’a pas bouché.

TROUBLE, s. f. — Sorte de filet pour le poisson. Ne pas confondre avec le franç. truble, trouble, petit filet en forme de poche, qui sert à prendre le poisson dans les viviers. Notre trouble est au contraire un assez grand filet dont l’ouverture, en demi-cercle, est fixée sur un arc en bois et sur une traverse formant la corde de l’arc. Le tout est muni d’un long manche. Il faut trois hommes pour pratiquer la pêche à la trouble. Ce genre de pêche, dont mon père me parlait souvent, a été abandonné depuis cinquante à soixante ans.

TROUBLE, adj. des 2 g. — Tenir ses livres en partie trouble. Se dit d’un négociant dont les écritures laissent à désirer pour la bonne tenue. Élégant calembour sur partie double.

TROUFIGNON, s. m. — Pouah ! Fignon est probablement une spirituelle approximation pour final, à moins que ce ne soit une spirituelle approximation pour finet, de fin.

TROUILLANDIER, s. m. — Le meunier du moulin à huile. — De trouille, avec un suff. andier, par analogie avec dinandier, taillandier.

TROUILLE, s. f. — Tourteau de noix qui sert à fumer les vignes. On s’en sert aussi pour la nourriture des chats, mais nous avions remarqué que cela leur faisait venir de la rogne aux oreilles. — Substantif verbal de trouiller.

TROUILLÉE, s. f. — Pressée de vin, d’huile, etc.

TROUILLER, v. a. — Presser, en parlant du raisin, du chènevis. — De torculare, presser à l’aide du pressoir.

TROUSSEAU, s. m. — Molard fait remarquer que c’est par un abus de termes que l’on dit trousseau pour le linge, les langes, et tout ce qui est destiné à un nouveau-né, et qu’il faut dire layette. Ces exigences minutieuses sont assez puériles, d’autant plus que la signification primitive de layette étant caisse, le mot n’est pas bien approprié à des hardes, etc. Préparer une layette pour un nouveau-né, c’est l’analogue de cette phrase : préparer une malle pour la mettre à la lessive.

TROUSSE-PETS, s. m. — Se dit d’une fillette de quatorze ou quinze ans. Il est venu un trousse-pets de chez Mme Caléchard pour apporter la cacaruche de Madame. — Pourquoi cette expression ? À cet âge trousse-t-on mieux les choses que plus tôt ou plus tard ? — Je l’ignore.

TROUVER. — Quand vous vous trouverez d’aller à Lyon, n’oubliez pas de m’apporter des bésicles. Locution peu académique, mais constamment employée.

Je l’ai trouvé sorti. Littré approuve cette façon de parler (!!) Pourtant s’il était sorti, je ne l’ai pas trouvé, sûr !

TRUFFE, s. f. — Pomme de terre. Va-t-en chercher pour deux sous de truffes frites chez le friseur. Même sens en Dauphiné : « Apprête la salade — De truffes avec de choux, » dit Blaise, le savetier. Le brave Molard, toujours bien « documenté », définit notre truffe : « Plante farineuse (!). On l’appelait autrefois ainsi (!!), mais depuis quelque temps (!!!) on la nomme Pomme de terre. »

TRUFFIER, s. m., terme très péjoratif. — Se dit de quelque personnage grossier, de sentiments bas. Le Figaro ayant ouvert récemment parmi ses lectrices un plébiscite pour décider quel était la moins flatteuse de ces trois dénominations : Pignouf, pigne-c… et truffier, la grande majorité se prononça pour truffier. — De truffe, au sens français. Truffier, animal à truffes, c’est-à-dire, parlant par respect, un cayon.

TUBE, adj. des 2 g. — Être tube, Être gonfle d’avoir trop mangé. Dans un grand diner, la maîtresse de maison : Monsieur Anthénor, prenez donc des truffes frites !Anthénor : Ah ! Madame la comtesse, je voudrais bien, mais j’ai déjà mangé tant de gonfle-b… que j’en suis tube ! Les personnes qui tiennent à parler très purement disent : Je suis tubé. — Adj. verbal de tuber. Sur la formation, voy. arrête.

TUBER, v. a. — Météoriser, en parlant de bestiaux qui ont mangé du trèfle vert ou mouillé. Se tuber, en parlant des personnes, Manger énormément, de façon à être tout gonfle.

TUER. — Il ne faut pas tuer tout ce qui est gras, Pour dire qu’il ne faut pas tout manger en un jour, mais garder quelque chose pour le lendemain. On le dit aussi à propos de toute chose exagérée. Il y a des mères qui forcent leurs enfants au travail. La mienne m’aimait tant que, si elle me voyait travailler avec un peu d’assiduité : Allons, me disait-elle, il ne faut pas tuer tout ce qui est gras, va t’amuser.

TUILIÈRE, s. f. — Tuilerie.

TUNE, s. f. — Faire la tune, Bambocher, faire la débauche. Subst. verbal de tuner.

TUNER, v. n. — Boire abondamment, faire ripaille, se divertir. À propos de ce mot, Cochard dit : « On prétend qu’à l’époque des croisades, on établit, dans l’endroit que les Carmes déchaussés, ont habité à Lyon, des croisés venant de Tunis, qui étaient malades ; que, de là, ce local fut appelé la maison de Thunes ; que, dans la suite, il y eut une auberge où l’on allait souvent se divertir ; que de là est venu le mot tuner pour dire se divertir. » La présence du mot en Lorraine et en Limousin met à néant l’explication qui avait cours au temps de Cochard, et qui a été souvent reproduite. Je crois que l’origine est dans le provençal touno, grande futaille, d’où touner, tuner, boire abondamment. Cependant il faut remarquer que plusieurs dialectes ont la forme tumer, qui pourrait se rapporter au vieux franç. tumer, sauter, danser et dont tuner pourrait être une transformation avec dérivation de sens.

TUPIN, s. m. — Pot. Sourd comme un tupin. Voy. sourd. On connait à Lyon la rue Tupin et la rue du Tupin rompu. — Du vieux haut allem. toph, pot.

La rue Tupin, spirituel calembour pour désigner l’œsophage.

TURLUBERLU, TURLEBRELU, s. m. Hurluberlu, dont il est une corruption.