Le Livre d’un inconnu/33

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Anonyme ()
Le Livre d’un inconnuAlphonse Lemerre (p. 69-71).


XXXIII

LA CHAÎNE DES HEURES


Ainsi que de pâles Statues,
Immobiles, à demi nues,
Sont les heures de l’avenir :
Leur longue chaîne ne s’achève
Qu’aux horizons où notre rêve
Essaye en vain de parvenir.

Pourtant par la marche muette
Du Temps dont l’errante planète
Marque les pas au firmament,

Chacune à son tour amenée,
Succédant à sa sœur aînée,
Devant nous passe lentement.

Alors, pour un instant, la pierre
S’anime et la froide paupière
S’ouvre au regard mystérieux ;
Un frisson passager agite
Ce sein de marbre qui palpite :
Une âme apparaît dans ces yeux.

La bouche parle : elle nous jette
Un lambeau de phrase incomplète
Comme un mot d’ordre répété,
Et puis cette lueur de vie
S’éteint et l’image pâlie
Reprend son immobilité.

Heure qui viens, heure prochaine,
Toi si voisine dans la chaîne,
Ah ! parle, dis-moi ton secret :
Ce qu’en ton regard je dois lire,
Est-ce un sanglot, est-ce un sourire,
Est-ce un espoir, est-ce un regret ?


Hélas ! tu demeures muette
Et sourde à ma plainte inquiète ;
Mais mon cœur, à la fin lassé
Des espoirs menteurs qui désolent,
Retourne aux heures qui consolent,
Aux heures mortes du passé.