Le Livre des masques/Albert Samain
ALBERT SAMAIN
Quand elles savent par cœur ce qu’il y a de pur dans Verlaine, les jeunes femmes d’aujourd’hui et de demain s’en vont rêver Au Jardin de l’Infante. Avec tout ce qu’il doit à l’auteur des Fêtes Galantes (il lui doit moins qu’on ne pourrait croire), Albert Samain est l’un des poètes les plus originaux et le plus charmant, et le plus délicat et le plus suave des poètes :
En robe héliotrope, et sa pensée aux doigts,
Le rêve passe, la ceinture dénouée,
Frôlant les âmes de sa traîne de nuée,
Au rythme éteint d’une musique d’autrefois…
Il faut lire tout ce petit poème qui commence ainsi :
Dans la lente douceur d’un soir des derniers jours…
C’est pur et beau, autant que n’importe quel poème de langue française, et l’art en a la simplicité des œuvres profondément senties et longuement pensées. Vers libres, poétique nouvelle ! Voici des vers qui nous font comprendre la vanité des prosodistes et la maladresse des trop habiles joueurs de cithare. Il y a là une âme.
La sincérité de M. Samain est admirable ; je crois qu’il aurait honte à des variations sur des sensations inexplorées par son expérience. Sincérité ne veut pas dire candeur, ici ; ni simplicité ne veut dire gaucherie. Il est sincère, non parce qu’il avoue toute sa pensée, mais parce qu’il pense tout son aveu ; et il est simple parce qu’il a étudié son art jusqu’en ses derniers secrets et que de ces secrets il se sert sans effort avec une inconsciente maîtrise :
Les roses du couchant s’effeuillent sur le fleuve ;
Et, dans l’émotion pâle du soir tombant,
S’évoque un parc d’automne où rêve sur un banc
Ma jeunesse déjà grave comme une veuve…
Cela, c’est, il semble, d’un Vigny attendri et consentant à l’humilité d’une mélancolie toute simple et déshabillée des grandes écharpes. Il n’est pas seulement attendri ; il est tendre, et que de passion, et que de sensualité, mais si délicate !
Tu marchais chaste dans la robe de ton âme,
Que le désir suivait comme un faune dompté,
Je respirais parmi le soir, ô pureté,
Mon rêve enveloppé dans tes voiles de femme.
Sensualité délicate, c’est bien l’impression que donneraient ses vers s’il les avait tous conformés à sa poétique, où il rêve
De vers blonds où le sens fluide se délie
Comme sous l’eau la chevelure d’Ophélie,
De vers silencieux, et sans rythme et sans trame,
Où la rime sans bruit glisse comme une rame,
De vers d’une ancienne étoffe exténuée,
Impalpable comme le son et la nuée,
De vers de soirs d’automne ensorcelant les heures
Au rite féminin des syllabes mineures,
De vers de soirs d’amours énervés de verveine,
Où l’âme sente, exquise, une caresse à peine…
Mais, ce poète qui n’aimerait que la nuance, la nuance verlainienne, a pu, certains jours, être un violent coloriste ou un vigoureux tailleur de marbre. Cet autre Samain, plus ancien et non moins véritable, se révèle en les parties de son recueil appelées Évocations ; c’est un Samain parnassien, mais toujours personnel, même dans la grandiloquence : les deux sonnets intitulés Cléopâtre sont d’une beauté non seulement de verbe, mais d’idées ; ce n’est ni la pure musique, ni la pure plastique ; le poème est entier et vivant ; c’est un marbre étrange et déconcertant ; oui, un marbre qui vit et dont la vie agite et féconde jusqu’aux sables du désert, autour du Sphynx pour un instant énamouré.
Tel est ce poète : délicieux puissamment en l’art de faire vibrer à son unisson toutes les cloches et toutes les âmes : toutes les âmes sont amoureuses de cette « infante en robe de parade ».