Le Livre des milles nuits et une nuit/Tome 02/Histoire du bossu

La bibliothèque libre.
Anonyme
Traduction par Joseph-Charles Mardrus.
Eugène Fasquelle, éditeur (Tome 2p. 7-20).


… VINGT-QUATRIÈME NUIT


HISTOIRE DU BOSSU AVEC LE TAILLEUR,
LE COURTIER CHRÉTIEN, L’INTENDANT &
LE MÉDECIN JUIF ; CE QUI S’EN SUIVIT ; &
LEURS AVENTURES RACONTÉES
À TOUR DE RÔLE


Alors Schahrazade dit au roi Schahriar :

Il m’est parvenu, ô Roi fortuné, qu’il y avait, en l’antiquité du temps et le passé des âges et des siècles, dans une ville de la Chine, un homme qui était tailleur et fort satisfait de sa condition. Il aimait les distractions et les plaisirs et avait coutume, de temps en temps, de sortir avec son épouse, se promener et se réjouir les yeux au spectacle de la rue et des jardins. Or, un jour que tous deux avaient passé la journée entière hors de leur demeure et que, le soir arrivé, ils revenaient chez eux, ils rencontrèrent sur leur chemin un bossu à l’aspect si drôle qu’il chassait toute mélancolie, faisait rire l’homme le plus triste et éloignait tout chagrin et toute affliction. Aussitôt le tailleur et son épouse s’approchèrent du bossu, s’amusèrent beaucoup de ses plaisanteries et tellement qu’ils l’invitèrent à les accompagner à leur maison pour qu’il fût leur hôte cette nuit-là. Et le bossu se hâta de faire à cette invitation la réponse qu’il fallait, et se joignit à eux et arriva avec eux à la maison. Là, le tailleur quitta un instant le bossu pour courir au souk acheter, avant que les marchands n’eussent fermé leurs boutiques, de quoi faire honneur à son invité. Il acheta du poisson frit, du pain frais, des limons et un gros morceau de halaoua[1] pour le dessert. Puis il s’en revint, mit toutes ces choses devant le bossu ; et tout le monde s’assit pour manger.

Pendant qu’on mangeait ainsi gaiement, la femme du tailleur prit un gros morceau de poisson entre ses doigts et, par manière de plaisanterie, le fourra tout entier dans la bouche du bossu, lui couvrit la bouche de sa main pour empêcher qu’il rejetât le morceau et lui dit : « Par Allah il faut absolument que tu avales cette bouchée d’un seul coup et sans arrêt, sinon je ne te lâche pas. »

Alors le bossu se mit à faire de grands effort, mais il finit par avaler la bouchée. Malheureusement pour lui, il était de son destin qu’une grosse arête se trouvât dans la bouchée : elle s’arrêta dans son gosier et fit qu’il mourut à l’heure même.

— À ce moment de sa narration, Schahrazade, la fille du vizir, vit s’approcher le matin et, discrète selon son habitude, ne voulut pas prolonger davantage le récit, pour ne pas abuser de la permission accordée par le roi Schahriar.

Alors, sa sœur, la jeune Doniazade, lui dit : « Ô ma sœur, que tes paroles sont gentilles, douces, savoureuses et pures ! » Elle répondit : « Mais que diras-tu alors, la nuit prochaine, en entendant la suite, si toutefois je suis encore en vie et que ce soit le bon plaisir de ce Roi plein de bonnes manières et de politesse ! »

Et le roi Schahriar dit en son âme : « Par Allah ! je ne la tuerai que lorsque j’aurai entendu le reste de son histoire, qui est bien étonnante ! »

Puis le roi Schahriar prit Schahrazade dans ses bras ; et tous deux passèrent le reste de la nuit enlacés jusqu’au matin. Puis le Roi se leva et alla dans la salle de sa justice. Et aussitôt entra le vizir, et entrèrent aussi les émirs, les chambellans et les gardes, et le Divan fut tout plein de monde. Et le Roi se mit à juger, à régler les affaires, à nommer celui-ci à un emploi, à destituer celui-là, à terminer les procès pendants, et à s’occuper de la sorte jusqu’à la fin de la journée. Le Divan terminé, le Roi rentra dans ses appartements et alla retrouver Schahrazade.


ET COMME C’ÉTAIT
LA VINGT-CINQUIÈME NUIT


Doniazade dit à Schaharazade : « Ô ma sœur, je t’en prie, conte-nous la suite de cette histoire du Bossu avec le Tailleur et sa femme ! » Elle répondit : « De tout cœur et comme hommage dû ! Mais je ne sais si le Roi y consent ! » Alors le Roi se hâta de dire : « Tu peux ! » Et Schahrazade dit :

Il m’est parvenu, ô Roi fortuné, que lorsque le tailleur vit le bossu mourir de la sorte, il s’écria : « Il n’y a de force et de pouvoir qu’en Allah le Très-Haut, le Tout-Puissant ! Quel malheur que ce pauvre homme soit ainsi venu mourir juste entre nos mains ! » Mais la femme s’écria : « Quel errement est donc le tien ! Ne connais-tu point ces vers du poète ?

« Ô mon âme, pourquoi t’enfoncer dans l’absurde à t’en rendre malade, et te préoccuper de ce dont ne surgira la peine ou le souci ?

Ne crains-tu donc point le feu, pour t’y asseoir ? Et ne sais-tu pas qu’à s’approcher du feu, on risque de flamber ? »

Alors son mari dit : « Et que me faut-il faire maintenant ? » Elle répondit : « Lève-toi donc ! Et à nous deux nous allons porter le corps ; nous le couvrirons d’une écharpe de soie, et nous le transporterons, toi en marchant derrière moi et moi en te précédant, et cela cette nuit même ! Et tout le long de la route tu diras à voix haute : « C’est mon enfant ! Et celle-ci, c’est sa mère ! Nous sommes à la recherche d’un médecin qui le puisse traiter ! Où y a-t-il un médecin ? »

Aussi lorsque le tailleur entendit ces paroles, il se leva, prit le bossu entre ses bras et, précédé de sa femme, sortit de la maison. Et la femme, de son côté, se mit à dire « Ô mon pauvre enfant ! Puisses-tu te tirer de là sain et sauf ! Dis ! Où souffres-tu ? Ah ! cette maudite petite vérole ! Sur quelle partie de ton corps as-tu des éruptions ? » À ces paroles, chaque passant se disait : « C’est le père et la mère ! Ils portent leur enfant atteint de la petite vérole ! » et se hâtait de s’éloigner.

Quant au tailleur et à sa femme, ils continuèrent ainsi à cheminer, tout en s’informant du logis d’un médecin, jusqu’à ce qu’on les eût conduits à la porte d’un médecin juif. Alors ils frappèrent à la porte, et aussitôt une négresse descendit, ouvrit la porte et vit cet homme qui portait un enfant dans ses bras, et aussi la mère qui l’accompagnait. Et celle-ci lui dit : « Nous avons avec nous cet enfant que nous désirons faire voir au médecin. Prends donc cet argent, un quart de dinar, et donne-le d’avance a ton maître, en le priant de descendre voir mon enfant qui est bien malade. »

Alors la servante remonta ; et aussitôt la femme du tailleur franchit le seuil de la maison, fit entrer son mari et lui dit : « Dépose vite ici le corps du bossu. Et hâtons-nous de filer au plus tôt. » Et le tailleur déposa le corps du bossu sur une des marches de l’escalier, contre le mur, et se hâta de sortir, suivi de sa femme.

Quant à la négresse, elle entra chez le médecin juif, son maître, et lui dit : « En bas, il y a un malade accompagné d’une femme et d’un homme qui m’ont donné pour toi ce quart de dinar afin que tu prescrives à ce malade quelque chose qui lui fasse du bien. » Lorsque le médecin juif vit le quart de dinar, il se réjouit et se hâta de se lever, et, dans sa hâte, il ne songea pas à prendre avec lui de la lumière pour descendre. Si bien qu’il butta du pied contre le bossu et le renversa. Et tout effrayé de voir ainsi rouler un homme, il se hâta de l’examiner et constata la mort et pensa qu’il était la cause de sa mort. Alors il s’écria : « Seigneur ! Ah ! Dieu vengeur ! Par les dix Paroles Saintes ! » Et il continua à invoquer Haroun, Iouschah[2] fils de Noun, et les autres. Et il dit : « Voici que je viens de butter contre ce malade et de le faire rouler jusqu’au bas de l’escalier ! Aussi, comment pourrai-je maintenant sortir de ma maison avec un homme mort ? » Pourtant il finit par le prendre et par le transporter de la cour dans la maison, et il le fit voir à sa femme et lui révéla la chose. Et sa femme terrifiée décria : « Ah ! non ! pas de ça ici ! Vite fais-le sortir ! Car, s’il reste ici jusqu’au lever du soleil, nous sommes perdus sans rémission. Aussi nous allons tous deux le transporter sur la terrasse de la maison, et de là nous le jetterons dans la maison de notre voisin le musulman. Car tu sais que notre voisin est l’intendant pourvoyeur de la cuisine du sultan, et que sa maison est infestée par les rats, les chats et les chiens qui descendent chez lui par la terrasse pour faire des dégâts et manger les provisions de beurre, de graisse, d’huile et de farine. Aussi ces animaux ne manqueront pas aussi de manger ce corps mort et de le faire disparaître. »

Alors le médecin juif et sa femme prirent le bossu, montèrent sur leur terrasse, et de là ils firent descendre doucement le corps dans la maison de l’intendant, et l’appliquèrent debout contre le mur de la cuisine. Puis ils s’en allèrent et redescendirent tranquillement chez eux.

Or, il y avait à peine quelques instants que le bossu était ainsi appliqué debout contre le mur que l’intendant, qui s’était absenté, revint à la maison, ouvrit la porte, alluma une chandelle et entra. Et il trouva un fils d’Adam debout dans un coin contre le mur de la cuisine. Et l’intendant, fort surpris, s’écria : « Qu’est cela ? Par Allah ! je vois maintenant que le voleur habituel de mes provisions est un homme, et non point un animal ! C’est lui qui me dérobe la viande et les graisses, que j’enferme pourtant soigneusement par crainte des chats et des chiens ! Aussi je constate qu’il aurait été bien inutile de tuer, comme je pensais à le faire, tous les chats et tous les chiens du quartier, puisque cet individu-là est seul à descendre ici par la terrasse ! » Et aussitôt l’intendant prit un énorme gourdin, courut à l’homme, l’en frappa violemment, le fit tomber et se mit à lui asséner des coups sur la poitrine. Mais comme l’homme ne bougeait pas, l’intendant vit qu’il était mort. Alors il fut dans la désolation et dit : « Il n’y a de force et de pouvoir qu’en Allah le Très-Haut, le Tout-Puissant ! » Puis il fut très effrayé et dit : « Maudits soient le beurre, les graisses, la viande et cette nuit-ci ! Faut-il que je sois assez malchanceux pour avoir de la sorte tué cet homme qui me reste ainsi entre les mains ! » Puis il le regarda plus attentivement et vit que c’était un bossu. Et il dit : « Il ne te suffisait donc plus d’être bossu ? Tu voulais encore être voleur, et voler la viande et les graisses de mes provisions ! Ô Dieu protecteur, protège-moi sous le voile de ta puissance ! » Sur ce, comme la nuit marchait vers sa fin, l’intendant chargea le bossu sur ses épaules, descendit de sa maison et se mit à marcher jusqu’à ce qu’il fût arrivé au commencement du souk. Il s’arrêta alors, plaça le bossu debout, à l’angle d’une boutique, au détour d’une rue, le laissa là et s’en alla.

Il n’y avait pas longtemps que le bossu était là que vint à passer un chrétien. C’était le courtier du sultan. Il était, ce soir, ivre, et allait, en cet état, prendre un bain au hammam. Son ivresse l’incitait à de curieuses choses et lui disait : « Va ! tu approches du Messie lui-même ! » Il allait donc ainsi en zigzaguant et en titubant, et il finit par se trouver face à face avec le bossu, sans le voir. À ce moment, il s’arrêta, se tourna du côté du bossu et se mit en posture d’uriner. Mais tout à coup il vit le bossu juste devant lui, contre le mur. À la vue de cet homme immobile, il pensa que c’était un voleur, celui peut-être qui lui avait volé son turban, au commencement de la soirée ; car le courtier chrétien était, en effet, nu-tête. Alors le chrétien se précipita contre l’homme et lui asséna sur la nuque un coup violent qui le fit rouler à terre. Puis il lança de hauts cris en appelant le gardien du souk. Et il tomba sur le bossu en le frappant à coups redoublés, dans l’excitation de l’ivresse, et s’apprêta même à l’étrangler en lui serrant le cou de ses deux mains. À ce moment, arriva le gardien du souk, et il vit le chrétien qui tenait sous lui renversé le musulman et le frappait et était sur le point de l’étrangler. Et le gardien s’écria : « Laisse cet homme, et lève-toi ! » Et le chrétien se leva.

Alors le gardien du souk s’approcha du bossu musulman, étendu par terre, l’examina et vit qu’il était mort. Il s’écria alors : « Oh ! a-t-on jamais vu ainsi un chrétien avoir l’audace de toucher à un musulman et de le tuer ! » Puis le gardien se saisit du chrétien, lui lia les bras derrière le dos et le conduisit à la maison du wali[3]. Et le chrétien se lamentait et disait : « Ô Messie ! ô Vierge ! Comment ai-je pu tuer cet homme ! Et comme il est mort vite, d’un seul coup de poing ! Passée l’ivresse, voici maintenant la réflexion ! »

Arrivés à la maison du wali, le chrétien et le bossu mort furent enfermés toute la nuit jusqu’à ce que le wali se fût réveillé, le matin. Et le wali interrogea le chrétien qui ne put nier les faits rapportés par le gardien du souk. Aussi le wali ne put que condamner à mort ce chrétien qui avait tué un musulman. Et il ordonna au porte-glaive, l’exécuteur des condamnés, de crier par toute la ville la sentence de mort du courtier chrétien. Puis il fit dresser la potence, et ordonna d’amener le condamné sous la potence. Alors vint le porte-glaive qui prépara la corde, fit le nœud coulant, le passa au cou du courtier et allait hisser, lorsque soudain l’intendant du sultan fendit la foule amassée, et se fraya un chemin jusqu’au chrétien debout sous la potence, et cria au porte-glaive : « Arrête ! c’est moi qui ai tué l’homme ! » Alors le wali lui dit : « Et pourquoi donc l’as-tu tué ? » Il dit : « Voici ! Cette nuit, en entrant dans ma maison, je l’ai vu qui s’était introduit chez moi en descendant de la terrasse, pour voler mes provisions. Et moi, je l’ai frappé à la poitrine avec un gourdin, et aussitôt je l’ai vu tomber et mourir. Alors je l’ai porté sur mes épaules et je suis venu au souk et je l’ai mis debout contre une boutique, à tel endroit, dans telle rue ! Malheureux que je suis ! Voici maintenant que j’allais être cause, par mon silence, de la mort de ce chrétien, après avoir moi-même tué un musulman ! Aussi c’est moi que l’on doit pendre ! »

Lorsque le wali eut entendu les paroles de l’intendant, il fit relâcher le courtier chrétien et dit au porte-glaive : « Tu vas tout de suite pendre cet homme-ci, qui vient d’avouer de sa propre bouche ! »

Alors le porte-glaive prit la corde qu’il avait d’abord passée au cou du chrétien, en entoura le cou de l’intendant, amena l’intendant juste sous la potence et allait le suspendre en l’air, lorsque tout à coup le médecin juif fendit la foule et cria au porte-glaive en disant : « Attends ! ne fais rien ! C’est moi seul qui l’ai tué ! » Puis il raconta ainsi la chose : « En effet, sachez tous que cet homme est venu me trouver pour me consulter afin que je le guérisse. Et comme je descendais l’escalier pour le voir, et qu’il faisait nuit, je l’ai heurté du pied : alors il a roulé jusqu’au bas de l’escalier et il est mort. Ainsi donc on ne doit pas tuer l’intendant, mais moi seulement ! »

Alors le wali ordonna la mort du médecin juif. Et le porte-glaive enleva la corde du cou de l’intendant et la mit au cou du médecin juif et allait exécuter le médecin, quand on vit arriver le tailleur qui fendilla foule et dit au porte-glaive : « Oh ! arrête-toi ! C’est moi seul qui l’ai tué ! Voici ! Hier je passai ma journée à flâner, et je revins, vers le soir, à la maison. En route, je rencontrai ce bossu, qui était ivre et fort gai, et il tenait à la main un tambour à grelots dont il s’accompagnait en chantant de tout son cœur et d’une façon fort réjouissante. Alors je m’arrêtai pour le voir et m’amuser, et j’en éprouvai un tel plaisir que je l’invitai à m’accompagner à la maison. Comme j’avais, entre autres choses, acheté du poisson, ma femme, lorsque nous nous fumes assis pour manger, prit un morceau de poisson qu’elle mit dans un morceau de pain, et elle en fit une bouchée qu’elle fourra dans la bouche du bossu ; et la bouchée étouffa le bossu, qui mourut aussitôt. Alors, moi et ma femme, nous le prîmes et nous le portâmes à la maison du médecin juif. Une négresse descendit qui nous ouvrit la porte ; et je lui dis : « Dis à ton maître qu’il y a à la porte une femme et un homme qui apportent un malade. Il faut donc descendre le voir pour lui prescrire un médicament ! » Puis je donnai à cette négresse un quart de dinar pour son maître. Alors elle se hâta de monter, et moi, je mis le bossu debout contre le mur de l’escalier ; et moi et ma femme, nous nous en allâmes au plus vite. Pendant ce temps, le médecin juif était descendu pour voir le malade ; mais il heurta le corps du bossu qui tomba ; et le juif pensa qu’il l’avait lui-même tué ! »

À ce moment, le tailleur se tourna du côté du médecin juif et lui dit : « N’est-ce point vrai ? » Il répondit : « Oui, en vérité ! » Alors le tailleur se tourna vers le wali et lui dit : « Il faut donc relâcher ce juif et me pendre, moi ! »

Le wali, à ces paroles, s’étonna prodigieusement et dit : « Vraiment cette histoire du bossu mérite d’être mise dans les annales et les livres ! » Puis il ordonna au porte-glaive de relâcher le juif et de pendre le tailleur, qui s’avouait coupable. Alors le porte-glaive amena le tailleur sous la potence, lui mit la corde au cou et dit : « Cette fois-ci, c’est la dernière. Je n’échangerai plus personne ! » Et il saisit la corde.

Voilà pour ceux-là !

Quant au bossu, on dit qu’il était le bouffon du sultan, et que le sultan ne pouvait s’en séparer une heure. Or, le bossu, après s’être enivré, cette nuit-là, s’était échappé du palais et était resté ainsi absent toute la nuit ; et, le lendemain, on vint dire au sultan qui demandait de ses nouvelles : « Seigneur, le wali te dira que le bossu est mort et que son meurtrier est sur le point d’être pendu. En effet, le wali avait fait mettre le meurtrier sous la potence, et le porte-glaive allait l’exécuter lorsqu’on vit arriver un deuxième individu, puis un troisième, et chacun d’eux disait : « C’est moi seul qui ai tué le bossu ! » Et chacun d’eux racontait au wali le motif du meurtre. »

Lorsque le sultan entendit ces paroles, il ne put en entendre davantage, il cria et appela un chambellan et lui dit : « Descends vite et cours près du wali, et dis-lui de m’amener sur l’heure tout ce monde-là ! »

Et le chambellan descendit et arriva près de la potence, juste au moment où le porte-glaive allait exécuter le tailleur. Et le chambellan s’écria : «  Arrête ! » Puis il raconta au wali que cette histoire du bossu était parvenue aux oreilles du roi. Et il l’emmena, et il emmena aussi le tailleur, le médecin juif, le courtier chrétien et l’intendant, fit emporter également le corps du bossu, et s’en alla avec eux tous chez le roi.

Lorsque le wali se présenta entre les mains du roi, il se courba et baisa la terre, et raconta au roi toute l’histoire du bossu, dans tous ses détails, depuis le commencement jusqu’à la fin. Mais il est vraiment inutile de la répéter !

Le roi, en entendant cette histoire, s’émerveilla fort et fut pris d’une grande hilarité. Puis il ordonna aux scribes du palais d’écrire cette histoire avec l’eau d’or. Ensuite il demanda à tous les assistants : « Avez-vous jamais entendu une histoire pareille à celle du bossu ? »

Alors le courtier chrétien s’avança, baisa la terre entre les mains du roi et dit : « Ô roi des siècles et du temps, moi, je connais une histoire bien plus étonnante que notre aventure avec le bossu ! Si tu me le permets, je te la raconterai, car elle est de beaucoup plus merveilleuse, plus étrange et plus délicieuse que l’histoire du bossu ! »

Et le roi lui dit : « Oui ! déballe-nous, qu’on le voie, ce que tu possèdes ! »

Alors le courtier chrétien dit :


Notes
  1. Halaoua : pâte blanche faite avec de l’huile de sésame, du sucre, des noix, etc., sous forme de grands pains hémisphériques.
  2. Aaron, Josué.
  3. Wali : gouverneur d’une province au nom d’un sultan.