Le Livre pour toi/Je dois te dire, Sylvius, où je portai mes pas
LXXII
Je dois te dire, Sylvius, où je portai mes pas ce vingt-troisième jour de novembre.
Ce fut vers un ancien domaine d’où l’activité s’est retirée, où le silence a établi son règne tranquille.
Sur une vaste terrasse qui domine l’eau violente, des oranges lourdes pendent entre les feuilles glauques.
Personne ne les récoltera, elles tomberont sur la terre comme celle que tu pris un soir dans l’île enchanteresse où les paons bleus ornent les perrons de pierre.
Combien cet autre soir fut doux.
Ne revois-tu pas le palais rose, les grands joncs aux feuilles étroites en soie pâle, et le coq blanc comme un oiseau d’ivoire, parmi les dépouilles sanglantes des camphriers.
Faut-il réveiller les strophes divines de ce poème défunt ? Retournerons-nous jamais sur le lac que la rame fait murmurer ? Nos mains ne peuvent plus se joindre et mes lèvres ignoreront les tiennes combien de temps…
Mais ta pensée, toujours présente, me suivait dans le jardin où fleurissent des chrysanthèmes, sous les voûtes grises des platanes aux plaies blanches qui paraissent souffrir.
Non loin de là dorment des trésors ensevelis.
Un homme m’a dit : J’ai trouvé hier un collier d’or.
J’ai vu le cou ferme et la nuque arrondie… Lavinia ou Fulvie, qui sait ? La poussière ne dit pas ses secrets.
Et l’homme m’a tendu un plateau plein de ces émaux taillés qui forment les mosaïques patiemment assemblées ; j’y ai plongé mes doigts, mais à côté de la mienne, il a placé sur les cubes multicolores, une main coupée, une main de marbre, blanche, douce et froide : je l’ai caressée et le marbre me rendait cette caresse.
Fulvie ou Lavinia, qui sait ?