Le Livre pour toi/Je me suis couché dans un pré jauni

La bibliothèque libre.



LIV


Je me suis couchée dans un pré jauni par l’été torride, j’y ai vu trois colchiques, des fourmis et des poires tombées.

Le soleil montrait un œil blanc à travers un nuage gris, les corbeaux criaient et la ruine était lugubre, telle qu’un grand sépulcre. J’ai songé : Tout doit être triste aussi dans le cœur qui n’a point d’amour.

Moi, je porte en mon sein joyeux un beau jardin tout parfumé que l’été ne peut brûler, que l’automne ne peut flétrir, que l’hiver ne peut geler.

L’astre brillant qui le fait vivre, c’est le regard de mon amant, plus doux que la douce pervenche ; sa bouche y fleurit comme le pavot pourpre et la clarté de son front répand la joie dans mes parterres.

J’y cueille des fruits merveilleux que ne paierait point un trésor, et contre tout l’or de la terre je ne voudrais les échanger.

C’est ainsi que j’ai rêvé, étendue sur l’herbe rousse, là-bas au pied de la ruine.

Alors la pluie est tombée.

Dis-moi, Sylvius, n’est-ce pas là un joli songe, et ce songe n’est-il pas vrai ?