Le Livre pour toi/Maintenant de longues distances nous séparent
LXX
Maintenant de longues distances nous séparent et le fleuve rapide m’accompagne.
Au jour naissant, il apparaît comme un miroir d’argent que le souffle a terni ; les feux de midi le font rayonner et, quand le soleil décline, il se revêt de nacre ainsi que les coquilles où chante encore la mer.
Viennent les ténèbres, et les lumières des rives y plongent leurs sceptres d’or, tandis que les îles somnolentes sont comme de grandes bêtes velues, immobiles sur les eaux.
Et je l’admire au cours des heures, le fleuve divers et magnifique, mais cette onde ignorante, qui passe si près de ta demeure, ne me dit rien de toi. Quand tu traverses le pont lointain qui tremble, elle ne t’entend pas, quand tu la regardes, elle ne te voit pas.
Est-ce ainsi, ô Sylvius, qu’un jour mon souvenir glissera sur ton cœur fatigué ?
Ou bien, comme la pierre fidèle que le ciseau pénètre et rend éloquente, garderas-tu l’empreinte à tout jamais ?