Le Livre pour toi/Sylvius, plus que jamais je t’aime
LXXXIII
Sylvius, plus que jamais je t’aime et je marche solitaire.
Le fleuve m’abandonne, ses eaux, qui ont passé sous tes yeux, vont se perdre, je leur ai dit adieu.
Voici la route en sable doux ; des barques ancrées sur le canal bleu ont un grincement plaintif, qui redemande les vagues hautes et le large horizon.
Dans la plaine grise volent des mouettes, le vent accorde ses harpes par-dessus les tamaris, d’âcres parfums s’affirment sous les rayons du soleil, et maintenant c’est la mer.
La mer infatigable qui brise et rétablit sans cesse la mouvante architecture des flots : les frises d’écume, les corniches de jade, les degrés de marbre qui croulent pour se redresser.
Sur les dalles, aux pieds des pêcheurs, s’amoncellent les pourpres aux yeux saillants, les capelans et les baudroies, les rascasses peintes de couleurs vives, les muges qui fréquentent les étangs et l’ange de mer aux ailes éployées.
Les filets bruns que teint la rusque d’Afrique sèchent sur les môles et des hommes agenouillés chantent en renouant les mailles rompues.
Les fantômes de phares sont debout sur les côtes.
Il y a, dans le ciel, des montagnes violettes, de grands marsouins de cuivre et des oiseaux de sang.