Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap57

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 374-379).
CHAPITRE LVII


COMBAT À LA MASSUE


Argument : Altercation entre Bhîmasena et Douryodhana. Présages effrayants. Discours de Bhîma à Dharmaràje et à Douryodhana. Réponse de ce dernier qui est applaudi par les assistants.


3129. Vaiçampâyana dit : Alors, ô Janamejaya il y eut une violente altercation (entre eux), au sujet de laquelle le roi Dhritarâshtra, rempli de chagrin, dit ces (paroles) :

3130. « En vérité, honte soit de la condition d'homme, pour celui qui a une telle fin. Ô homme sans péché, mon fils, (après avoir été) maître de onze armées,

3131. Après avoir commandé à tous les rois et joui (en maître) de la terre (entière, en est réduit à) prendre une massue et à venir, à pied, au combat (qui doit décider de son sort).

3132. Après avoir protégé le monde entier, mon fils est, pour ainsi dire, dénué de (tout) protecteur, et il s'en va, portant sa massue (pour toute défense). Qu'est-ce, sinon la destinée (qui le réduit à cette extrémité)?

3133. Hélas, ô Sañjaya, mon fils a éprouvé de grands malheurs. » Le maitre suprême des hommes, plein de chagrin, se tut après avoir ainsi parlé.

3134. Sañjaya dit : Faisant un bruit semblable à celui du tonnerre, pareil a un taureau mugissant, l’héroïque (Douryodhana) provoqua le Prithide au combat.

3135. Quand le magnanime roi de Kourou provoqua Bhîma au combat, on put constater divers phénomènes de sinistre augure.

3136. Des tourbillons de vent soufflèrent. Il tomba une pluie de poussière, et toutes les directions (de l’espace) furent plongées dans l’obscurité.

3137. Des météores, accompagnés d’un grand bruit et d’épouvantables tourbillons de vent, faisant hérisser le poil (de terreur), tombèrent par centaines, en se brisant en éclat sur le sol de la terre.

3138. Râhou dévora le soleil hors du temps où cet astre doit disparaître, ô maître des hommes ; et la terre, avec les arbres et les forêts, trembla violemment.

3139. Des vents ardents soufflèrent, arrachant les pierres, et les soulevant. Les sommets même des montagnes s’écroulèrent sur le sol.

3140. Des animaux sauvages, de formes très diverses, s’enfuirent dans les dix directions. De cruels et ardents chacals, d’aspect terrible, poussèrent des cris.

3141. Il se produisit de grands et terribles tourbillons de vent dans l’espace enflammé, ô Indra des rois, et des animaux de sinistre présage se firent voir.

3142. Les eaux des fontaines s’enflèrent de toutes parts. On entendit de grands cris, sans (voir) les corps (qui avaient pu les pousser). Alors, ô roi,

3143. Vrikodara ayant constaté les présages, (dont les phénomènes que nous venons d’indiquer) étaient les premiers, dit à son frère aîné, Dharmarâja Youdhishthira :

3144, 3145. Ce Souyodhana à Fame basse n’est pas capable de me vaincre dans la bataille. Aujourd’hui, Ô Indra des Kouronides, je déchaînerai contre Souyodhana la colère longtemps cachée dans mon cœur, comme (Arjouna déchaîna) le feu dans (la forêt) Khândava. Aujourd’hui, j’extirperai la pointe de flèche qui te perce le cœur, ô fils de Pândou.

3146. En tuant aujourd’hui avec ma massue ce méchant, l’homme le plus vil de la race de Kourou, je placerai sur ta tête) une glorieuse couronne.

3147. Aujourd’huí, après avoir, à la tête de la bataille, tué avec ma massue, cet (homme) aux œuvres perverses, je briserai avec cette même massue, son corps en cent morceaux.

3148-3150. Il n’entrera plus dans (Hastinapoura), la ville qui tire son nom des éléphants. Aujourd’hui, ô excellent Bharatide, je verrai la fin de ces maux, (qu’il nous a causés), en mettant de nombreux serpents dans ma couche, en introduisant du poison dans nos aliments, en nous faisant tomber dans la Pramânakotî, en mettant le feu à la maison de laque rouge, en nous raillant dans l’assemblée, en nous forçant à habiter inconnus pendant un an, et en nous exilant dans les bois, ô homme sans péché.

3151-3153. Quand je l’aurai tué, je me serai acquitté de la dette que j’avais contractée (envers lui). Aujourd’hui, la vie de l’insensé Dhritarâshtride à l’âme impure, est finie. Il ne verra plus, ni son père ni sa mère, ô le meilleur des Bharatides. Aujourd’hui, ô Indra des rois, la prospérité de l’insensé roi de Kourou a pris fin. Il ne reverra plus ses femmes. Aujourd’hui, cet (homme), qui souille la race du roi Çântanou, descendant de Kourou,

3154. Reposera sur le sol de la terre, abandonnant la royauté, la vie et le bonheur. Aujourd’hui, en apprenant que son fils est tué, le roi Dhritarâshtra

3155. Se souviendra de l’action mauvaise (qu’il a commise et qui avait) pris naissance dans la pensée de Çakouni. Ô tigre des rois, l'énergique Bhîma, après avoir ainsi parlé et pris sa massue,

3156. S’avança en provoquant (Douryodhana) au combat, comme Çakra (provoqua) Vritra. En voyant (ton fils) qui se tenait, la massue haute, pareil à la montagne Kailâsa,

3157, 3158. Bhîmasena, irrité, dit encore à Douryodhana : « Rappelle-toi cette mauvaise action, que le roi (ton père) et toi, avez commise a Vâranâvata ; que Droupadî, qui était au moment critique de son mois, maltraitée au milieu de l'assemblée.

3159. Que le roi (Youdhishthira) fut trompé au jeu de dés, ce qui était ton œuvre et celle du Soubalide. (Rappelle-toi encore) que les grandes peines que nous avons endurées dans les bois étaient causées par toi.

3160. (Souviens-toi) aussi que dans la ville de Virâta (nous avons dû), en quelque sorte, (pour nous cacher), rentrer dans le sein (de notre mère). Aujourd'hui, je me souviens, grâce au ciel, de toutes ces (offenses, quand) je te vois (en face de moi), ô insensé.

3161. Le majestueux fils de la Gangâ, le meilleur des maîtres de chars, (après s'être fait) tuer dans l’intérêt de ta (cause) par le Yajñasenien, repose sur un lit de flèches.

3162. Drona, Karna et le majestueux Çalya sont tués. Çakouni, cause première du feu de la guerre, est tué (aussi).

3163. Puis le méchant serviteur, qui tourmenta Droupadî a (également) péri, (ainsi que) tous tes frères (qui étaient des) guerriers prééminents, Ô héros.

3164. Ceux-là, et de nombreux autres rois, ont été tués dans l’intérêt de ta(cause). Aujourd’hui, je te tuerai avec ma massue, cela ne fait aucun doute. »

3165. Ainsi (parla Bhîma). Ô roi, ton fils véritablement héroïque, et dont la crainte était évanouie, répondit à Vrikodara, (qui venait de) lui adresser ces paroles :

3166. Qu’est-il besoin de longs discours, ô Vrikodara, (viens) combattre. Aujourd’hui, ô le plus vil (de notre) race, je dompterai tes désirs belliqueux.

3167. Car, ô misérable, Douryodhana ne saurait, en aucune façon, être terrifié par des paroles (menaçantes), comme un homme du commun.

3168. J’ai toujours désiré du fond du cœur que les dieux m'accordassent de me mesurer avec toi à la massue.

3169. À quoi bon, (dès lors), de longs discours et des rodomontades. Ô insensé, n'attends pas (plus) longtemps, pour remplacer les menaces par des actions.

3170. En entendant ces paroles, tous, y compris les rois et les Somakas qui se trouvaient là, l'applaudirent.

3171. Approuvé par tous (les assistants), qui avaient le poil hérissé d'enthousiasme, il ne songes plus qu'à combattre.

3172. Les rois réjouirent encore, en battant des mains, l'impatient Douryodhana, comme (ils l'eussent fait pour exciter) un éléphant furieux.

3173. Le magnanime Vrikodara, fils de Pândou, ayant levé sa massue, se hâta de courir au devant du vaillant fils de Dhritarâshtra.

3174. Les éléphants barrirent, les chevaux hennirent à plusieurs reprises, et les épées des Pândouides qui désiraient la victoire, lancèrent des étincelles.