Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/2-LLDF-Ch23

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 194-198).



CHAPITRE XXIII


DISCOURS DE GÂNDHÂRÎ (Suite)


Argument : Mention est faite de Çalya, de Bhagadatta, de Bhîshma, de Drona. Désespoir de Kripî.


635. Gândhârî dit : « Voici Çalya qui gît privé de vie ! L’oncle maternel de Nakoula a été, à la vue de tous, frappé dans le combat par Dharmarâja, qui connaît les devoirs.

636. Ô tigre des hommes, le grand guerrier roi de Madra qui, partout et toujours, rivalisait avec toi, a été tué et repose (à terre).

637. Lui qui dirigeait, dans le combat, le char de l’Adhiratien (Karna, fils du cocher), pour (le mener à) la victoire, a été cause de l’obscurcissement de l’éclat des fils de Pândou.

638. Hâ ! Hâ ! Malheur ! Vois la tête de Çalya, (jadis) aussi agréable à voir que la pleine lune, aux yeux pareils à des pétales de lotus, (naguère encore) intacte, et que dévorent les corbeaux !

639. Krishna, les oiseaux (de proie) rongent la langue resplendissante comme l’or fondu, qui sort de la bouche de cet homme (autrefois) aussi éclatant que l’or !

640. Les femmes de sa famille entourent, en pleurant, Çalya, roi de Madra, brillant dans les assemblées, qu’a tué Youdhishthira.

641. Parées de très beaux vêtements, ces femmes de (la classe des) kshatriyas, se sont approchées en poussant des cris, du roi de Madra, ce taureau des hommes, ce taureau des kshatriyas.

642. Elles environnent le héros Çalya abattu ; elles se tiennent autour de lui, comme des femelles en rut (entourent) un éléphant plongé dans la boue.

643. Contemple cet excellent maitre de char, le héros Çalya, mis en pièces par les flèches, abattu et gisant sur une couche de héros !

644. Ce roi, le majestueux Bhagadatta, dont la demeure se trouvait dans les montagnes, le meilleur de ceux qui se servent d’aiguillons pour conduire les éléphants, gît à terre !

645. La couronne brille sur sa tête, illuminant en quelque sorte ses cheveux, pendant que les bêtes de proie le dévorent !

646. Le combat, qui eut lieu entre lui et le fils de Prithâ, fut terrible et horripilant, comme celui de Çakra contre Bali.

647. Ce guerrier aux grands bras, après avoir combattu le Prithide Dhanañjaya et l’avoir mis en grand danger, a été abattu par le fils de Kountî.

648. Voici Bhîshma qui, dans les combats, était le fléau de ses ennemis et qui n’avait pas d’égal, dans le monde, en force et en héroïsme. Il a été tué, (lui aussi), et repose (à terre).

649. Ô Krishna, vois le fils de Çântanou, qui avait l’éclat du soleil, gisant, tel, à la fin du youga, le soleil (abattu) par le temps, et tombé du ciel.

650. Keçava, ce soleil humain, après avoir, dans le combat, consumé ses ennemis à l’aide du feu de son épée, est allé à sa (dernière) demeure, comme le soleil à sa couche.

651. Vois le héros, aussi ferme dans le devoir que Devâpi, couché sur un lit de flèches, gisant sur une couche de héros, et comme il convient à un héros !

652. Ayant préparé sa couche suprême avec des nâlikas et des nàrâcas à oreilles, il s’y est étendu et y repose, comme l’adorable Skanda, dans une forêt de roseaux.

653. Après s’être placé sur le plus excellent des coussins, garni, en guise de coton, de trois flèches fournies par le porteur de Gândiva, le fils de la Gangâ,

654. Le très glorieux fils de Çântanou, incomparable dans les combats, qui est resté chaste pour obéir aux ordres de son père, repose sur cette couche, ô Madhavide !

655. Homme de bien à tes yeux, connaissant entièrement (son) devoir quand il s’agissait d’une détermination (à prendre), (quoiqu’il ne fût qu’un) simple mortel, il a traversé la vie à la manière des immortels.

656. Maintenant que Bhîshma fils de Çântanou, gît tué par les ennemis, (on peut dire qu’il) n’y a plus personne d’habile au combat, de savant, ni d’héroïque.

657. Interrogé par les fils de Pândou, ce héros à la parole vraie, et qui connaissait ses devoirs, avait lui-même annoncé sa mort dans la bataille.

658. Cet homme très sage, qui avait relevé la race de Kourou qui s’éteignait, a été vaincu avec les Kourouides 7.

659. Qui donc les Kourouides consulteront-ils sur leurs devoirs, maintenant que (le pieux) Devavrata (Bhîshma), qui était semblable aux dieux, est monté au Svarga ?

660. Vois, à terre, Drona, le plus excellent des brahmanes, le précepteur des Kourouides, d’Arjouna et du Satyakide.

661. De même (qu’Indra) maître du Tridaça (l’ensemble des trente grands dieux) et que le très héroïque (Çoukra) descendant de Bhrigou, il connaissait les quatre sortes d’astras.

662. Grâce à lui, Bibhatsou fils de Pândou a accompli des exploits difficiles. (Maintenant), il gît, tué, sans que ses astras l’aient protégé.

663. Ce Drona, le plus grand des guerriers, orné de ses armes, lui que les Kourouides mirent à leur tête pour aller au combat contre les Pândouides,

664. Lui dont la démarche, quand il consumait les ennemis, était pareille à celle d’un incendie (dévorant), est tué et gît à terre, comme un feu dont la flamme est éteinte !

665. (L’aspect) de Drona, tué, mais dont la main, couverte de son gant protecteur, n’a pas lâché l’arc, est le même que quand il était vivant, ô Madhavide.

666. Ô Keçava, les quatre védas, et toutes ses armes n’ont pas plus abandonné ce héros, (qu’ils n’ont abandonné) jadis Prajâpati.

667. Les chacals lui déchirent ces deux beaux pieds, dignes des louanges que leur ont données les poètes et les disciples (du maître).

668. Ô meurtrier de Madhou, Kripî (son épouse), l’esprit dévoré par le chagrin, se tient tristement près de Drona, tué par le fils de Droupada.

669. Considère cette affligée qui, les yeux baissés, échevelée, se tient auprès du cadavre de Drona son mari, le plus excellent des guerriers !

670. Porteuse de tresses d’ascète, la brahmacârinî se tient sur le champ de bataille, près de Drona, dont la cuirasse a été brisée par les flèches de Dhrishtadyoumna.

671. (Très) affligée, la délicate et glorieuse Kripi s’efforce tristement de rendre les derniers devoirs à son époux, qui a péri dans la bataille.

672. Après avoir préparé le feu selon la règle et enflammé le bûcher de toutes parts, elle y place Drona, et les chantres sacrés chantent les trois sâmans.

673. Ces brahmacârins, aux tresses (réglementaires) de cheveux, construisent le bûcher avec des arcs, des lances, des intérieurs de chars, ô Madhavide,

674. Et diverses sortes d’armes, pour consumer (le corps) de cet homme à la grande énergie. Après avoir ainsi disposé Drona, ils proclament ses louanges en se lamentant,

675. Et chantent, en son honneur, les trois autres sâmans de la fin. « Après avoir consumé Drona sur le bûcher, en mettant dans le feu (cet homme qui était lui-même comme) un feu,

676. Les brahmanes disciples de Drona, ayant mis Kripi à leur tête, se dirigèrent vers la Gangâ, en laissant le bûcher à leur gauche.