Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch09

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 257-261).



CHAPITRE IX


DISCOURS DE YOUDHISHTHIRA


Argument : Youdhishthira refuse d’écouter son frère, et persiste à vouloir se retirer dans les bois. Il décrit l’ascétisme auquel il va se livrer, et les avantages qu’il en retirera.


243. Youdhisthira dit : Arjouna, fixe ton esprit sur cette seule chose, et prête un instant l’oreille (à la voix de) ta conscience. Tu partageras ma manière de voir,

244. Je suivrai la voie que suivent les gens de bien. Je ne saurais poursuivre de nouveau, à cause de toi, les plaisirs (que procurent) les choses du monde, après les avoir abandonnés.

245. Si tu me demandes quel est le chemin du bonheur que le solitaire doit parcourir, ou (quand bien même) tu ne désirerais pas m’interroger à ce sujet, (écoute ce que je vais te dire).

240. Abandonnant les affaires du monde et ses plaisirs, j’irai dans les bois, avec les gazelles, pratiquer un grand ascétisme et me nourrir de fruits et de racines,

247. Sacrifiant au feu quand il le faudra, me baignant aux deux moments (du jour, le soir et le matin), maigre, mangeant peu, vêtu de peaux et d’écorces, portant (mes cheveux en) tresses (comme les ascètes),

248. Endurant le froid, le vent, la chaleur du soleil, soufrant de la faim et de la soif dans mon ermitage, soumettant mon corps à l’ascétisme enseigné par les préceptes,

249. Entendant sans cesse les diverses voix, aussi agréables au cœur qu’à l’oreille, des oiseaux et des gazelles qui passent une vie joyeuse dans les forêts,

250. Jouissant des senteurs agréables des arbres et des plantes en fleurs, contemplant, dans les bois, leurs charmants habitants aux formes variées.

251. Celui même qui pratique l’ascétisme dans les bois, a des rapports avec ceux qui habitent dans leurs familles. Je ne me conduirai pas d’une façon malveillante envers eux, à plus forte raison avec ceux qui habitent dans les villages ;

252. Cherchant les lieux écartés, me livrant à la méditation, soutenant ma vie avec des aliments cuits ou crus, rassasiant les pitris et les dieux, de chants et d’oblations d’eau et de fruits sauvages,

253. Pratiquant la règle terrible et très austère que les préceptes prescrivent aux habitants des bois, j’atteindrai la dissolution de ce corps.

254. Ou bien, mouni solitaire, la tête rasée, je ferai jeûner mon corps, demandant chaque jour une nourriture à un arbre (dans la forêt),

255. Couvert de poussière, faisant ma demeure dans des cabanes abandonnées, ou bien habitant une hutte entre les racines des arbres, ne faisant aucune différence entre ce qui est agréable ou désagréable,

256. Ne pleurant pas, ne me réjouissant pas, indifférent au blâme et à la louange, n’espérant rien, sans attachement personnel pour rien, ne possédant rien, dégagé (des liens) des couples de passions opposées,

257. Trouvant mon plaisir en moi-même, ayant l'âme sereine, présentant l'aspect d’un idiot, d’un aveugle, ou d’un sourd, ne liant aucune sorte de commerce avec personne,

258. N’injuriant aucune des quatre sortes d’êtres mobiles ou immobiles, me comportant de la même manière à l’égard de toutes les créatures vivantes, (et) des êtres ayant leurs devoirs particuliers (de caste),

259. Ne me moquant de personne, ne fronçant pas les sourcils, ayant toujours le visage calme et tous les sens domptés,

260. Ne demandant pas la route, errant au hasard, ne voyant aucun lieu où il me soit agréable ou désagréable d’aller,

261. Juste, allant n’importe où sans regarder en arrière, marchant absorbé dans mes pensées, rejetant (tout commerce avec) les choses mobiles ou immobiles.

262. La nature commande (tout). La nourriture s’impose. Toutes choses, ici bas, vont par couples contraires. Ne faisant aucune attention à tout cela,

263. Quand je n’aurai pas, du premier coup, obtenu un peu de nourriture, ou des aliments d’un goût agréable, allant jusqu’à sept fois ailleurs pour recevoir (une aumône), en cas d’un échec

264. Du à ce que c’est l’heure où (la cheminée) ne fume pas, où l'on a déposé le pilon (à broyer le grain), où les charbons du foyer sont éteints, où la réception des hôtes ne se fait plus, où les mendiants sont partis,

265. Ayant relâché les liens de mes désirs, je parcourrai cette terre, en me livrant à la mendicité, une, deux, trois, ou cinq fois par jour (s’il le faut),

266. Pratiquant un grand ascétisme, voyant d’un œil égal mes demandes exaucées ou repoussées, ne faisant ce que je ferai, ni à la manière d’un homme qui désire vivre, ni à la manière de celui qui veut mourir,

267-269. N’ayant ni désir ni répugnance, soit pour la vie, soit pour la mort. Ne nourrissant aucun sentiment hostile ou affectueux pour deux hommes, dont le premier me couperait un bras, et (le second) m’enduirait l’autre (bras) (de pâte parfumée) de santal ; n’attachant aucune importance à tous les actes profitables, quels qu’ils soient, qui peuvent être accomplis par un homme vivant, (me bornant uniquement) à ouvrir et fermer les yeux, et aux autres (actes instinctifs et nécessaires), n’y étant jamais attaché et n’appliquant mes intentions aux fonctions d’aucun de mes sens,

270. Restant fidèle à ma détermination (ascétique), ayant bien purifié toutes les souillures de mon âme, délivré de tous les attachements, élevé au-dessus de toutes les embûches (des objets des sens),

271. Libre comme l’air, sans être soumis à la volonté de qui que ce soit, j’éprouverai une satisfaction constante, en errant ainsi exempt de toute passion.

272. Certes, la concupiscence m’a fait commettre de grands péchés ! Après avoir accompli de bonnes ou de mauvaises actions, certains hommes

273. Entretiennent leurs familles, (et établissent par là) une succession de causes et d’effets, (dont ils auront à supporter les conséquences). En abandonnant, à la fin de leur existence, leur corps dont la vie sera épuisée,

274. Leurs péchés s’empareront d’eux, car tel est le fruit des actions, que (chacun) a faites (pendant sa vie). C’est ainsi que, dans le cercle de la transmigration, toujours en mouvement, (les choses se passent) à la manière du jeu des roues d’un char (qui tournent toujours 8

274’, 274’’. Ce groupe d’éléments (qui compose le corps), rejoint, avec les effets de ses actes, un (autre) groupe d’éléments (constituant un autre corps). Le bonheur est pour celui qui abandonne le cercle des transmigrations, qui impliquent les phénomènes de la naissance, de la mort, de la vieillesse et des maladies, (cercle) qui paraît sans limites et qui manque de consistance. Du moment que les dieux (peuvent) tomber du ciel et les maharshis de leurs séjours (glorieux),

274’’’. Qui donc, en en connaissant réellement la cause, serait désireux de l’existence ? Après avoir accompli des exploits divers, dont chacun a son caractère distinctif,

274’’’’. Un roi est tué par (d’autres) princes, même pour des motifs futiles. C’est pourquoi, comme il y a longtemps que cette (pensée), qui est le nectar de la science, m’est familière,

275. Après l’avoir conçue, je désire un séjour immuable, éternel, certain. En agissant constamment avec cette ferme résolution,

276. Me tenant inébranlable dans cette voie exempte de dangers, je placerai mon corps au-dessus des vicissitudes de la naissance, de la mort, de la vieillesse et des maladies.