Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch36

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 396-402).



CHAPITRE XXXVI


DISCOURS DE VYÂSA


Argument : Vyâsa rapporte les instructions données par Manou aux siddhas, sur ce que l’on doit faire et éviter, sur les aliments dont on doit s’abstenir, et sur les personnes qui sont dignes ou indignes de recevoir des dons.


1292. Youdhishthira dit : Ô mon grand oncle, dis-moi ce qui peut être mangé et ce qui ne doit pas l’être ; (dans quels cas) il est recommandé de donner, (et ce qu’on entend) par une personne digne ou indigne de recevoir des dons.

1293. Vyâsa dit : À ce sujet aussi, on raconte une ancienne légende, dont l’objet est la conversation (suivante, qui eut lieu entre les siddhas et Manou, le maître des créatures (Prajâpati).

1294. Jadis, des rishis accomplis dans leurs vœux, s’étant approchés (du siège sur lequel) était assis le tout puissant maître des créatures, l’interrogèrent sur le devoir, (en ces termes) :

1295. « Comment doit être la nourriture ? Comment (peut-on reconnaître qu’une personne) est digne de recevoir des dons ? Comment les dons (doivent-ils être faits) ? Comment (doit-on se livrer à) l’étude et à l’ascétisme ? Dis-nous, ô maître des créatures, tout ce qu’il faut faire ou ne pas faire . »

1296. Ainsi interpellé par eux, l’adorable Manon Svayambhouva (existant par lui-même) dit : « Veuillez écouter la loi. (Je vais vous l’exposer) telle qu’elle est en détail et succinctement.

1297. Quand il n’y a pas de désignation spéciale (contraire), la récitation des prières, le sacrifice, ainsi que le jeûne, la connaissance de soi-même, (les bains dans) les rivières sacrées, là où il y a des gens qui font (des œuvres religieuses) leur principale affaire,

1298. Sont indiqués comme des choses pieuses. Il y a aussi des montagnes (dont la fréquentation) est salutaire, comme (l’est) le fait de manger de l’or, et de se baigner dans des cours d’eau (qui renferment) des joyaux, etc.

1299. Des visites aux (temples) séjours des dieux, le fait de consommer le beurre âjya, (sont aussi des choses) qui, en peu de temps, purifient un homme. Il n’y a aucun doute à cela

1300. L’homme sage ne doit jamais être orgueilleux. Si l’on veut vivre longtemps, que, pendant trois nuits, on n’avale que la fumée de la nourriture .

1301. Ne pas s’approprier ce qui ne nous a pas été donné, (exercer) la libéralité, (pratiquer l’étude, l’ascétisme, ne causer de dommage (à personne), (dire) la vérité, (offrir) des sacrifices, sont les signes distinctifs du devoir.

1302. (Selon les circonstances) du lieu et du temps, le péché, même, peut devenir le devoir. Prendre, mentir, causer du dommage (à autrui), sont des actes qui doivent être considérés parfois comme vertueux.

1303. Pour ceux qui s’y connaissent, il y a deux choses qui sont de deux sortes, le devoir et ce qui est contraire au devoir. L’inaction et l’action sont aussi de deux sortes, selon le monde et le véda.

1304. De la cessation de l’action (provient) l’immortalité. Le fait d’être mortel est la conséquence de l’action. On peut voir que le mal (est le fruit) du mal, et le bien (le fruit) du bien.

1305. Pour ces deux choses, il y a du bon et du mauvais. Ce qui est divin est en rapport avec le destin Il y a aussi la vie et ce qui donne la vie 28.

1306. Il est hors de doute, et même évident, qu’en conséquence d’une cause première qui est l’intention, des actes mauvais (par eux-mêmes, peuvent produire) de bons fruits.

1307. Même pour ce qui est fait sous l’empire de la colère ou de l’égarement d’esprit, la pénitence est fixée (en tenant compte) d’une cause première qui est l’intention, selon des moyens tirés des livres sacrés et accompagnés d’exemples.

1308. Les souffrances corporelles, ou ce qui est agréable ou désagréable pour l’esprit, peuvent céder aux herbes magiques, aux mantras et aux pénitences.

1309. Le roi qui a négligé (de faire usage) de la verge du châtiment, jeûnera pendant une seule nuit et sera purifié ; son chapelain, pour se purifier lui-même, (jeûnera pendant) trois nuits.

1310. L’homme qui, plongé dans le chagrin, cherche à se détruire avec des armes ou tout autre moyen, s’il n’en meurt pas, s’imposera (un jeûne) de trois nuits.

1311. La loi (permettant d’expier les fautes), n’existe pas pour ceux qui négligent les devoirs de leur naissance, de leur corporation, de leur patrie, et, de toutes façons, ceux de leur famille .

1312. Si un doute sur (le sens de) la loi est élevé, la règle qu’il faut suivre, est celle qui est indiquée par dix (hommes) instruits des préceptes des védas, ou par trois (personnes chargées) d’interpréter la loi.

1313. Le taureau, la terre, les petites fourmis, les çleshmâtakas (fruits du cordia latifolia), ne doivent pas (plus) être mangés par les prêtres, que le poison 29.

1314. Ne doivent pas être mangés par les brahmanes : les poissons dépourvus d’écaillés, un quadrupède (aquatique) autre que la tortue, et les animaux aquatiques (comme) la grenouille,

1315. Les bhâsas (oiseaux de proie), les flamants, souparnas, cakravâkas (anas cœsarea), plavas (oiseaux nageurs), les grues, les corbeaux, le plongeon, le vautour, ainsi que les faucons et le hibou,

1316. Tous les quadrupèdes carnassiers, armés de défenses de toutes façons, ceux qui ont des défenses en haut et en bas, et ceux qui ont quatre défenses.

1317. Que le brahmane ne boive pas le lait des brebis, des juments, des ànesses, des chamelles, des vaches qui viennent de vêler, des femmes et des gazelles.

1318. Il ne doit pas manger la nourriture préparée pour les morts, ou pour une femme en couches, ni rien de ce (qu’une femme accouchée) depuis moins de dix jours a préparé. On ne doit pas boire le lait d’une vache vêlée depuis moins de dix jours.

1319. La nourriture du roi enlève au brahmane son énergie, celle d’un coudra lui ravit la sainteté, celle d’un bijoutier ou d’une femme dépourvue de mari, (lui enlève) la vie.

1320. La nourriture d’un usurier est de l’ordure, celle d’une femme publique est du sperme, ainsi que celle d’un homme qui supporte l’adultère, ou la domination de sa femme, (et cela) de toutes façons.

1321, 1322. La nourriture d’un initié, d’un avare, de celui qui trafique du sacrifice, d’un bûcheron, d’un cordonnier, d’une femme publique, d’un teinturier, d’un médecin, et d’un gardien, ne doit pas être mangée. (Il en est) de même (de la nourriture) de ceux qui sont accusés par un groupe d’individus, ou par un village, et de ceux qui vivent des femmes de théâtre,

1323. Des hommes dont le frère cadet s’est marié avant eux, des panégyristes, et des joueurs de dés. La nourriture présentée de la main gauche, et celle qui est vieille (et gâtée),

1324. Ne doit pas être mangée, (ni) celle qui est mélangée avec le sourâ, ni un reste, ni le résidu (d’une préparation) culinaire, pas plus que les cannes à sucre, les légumes et le lait altérés.

1325. Les aliments au lait, les préparations de sésame, la chair et les gâteaux, préparés inutilement (et non pour être offerts aux dieux 30), les mélanges de lait et de farine d’orge ou d’autres grains, restés (inemployés) depuis longtemps, ne doivent pas être mangés.

1326, 1327. (Ces choses) ne doivent être, ni bues, ni mangées par les brahmanes vivant dans le monde. Le brahmane, maître de maison, ne doit manger qu’après avoir honoré les dieux, les rishis, les hommes et les pitris habitant dans sa demeure ; (il aura autant de mérites) qu’un mendiant errant.

1328. Celui qui se conduit ainsi, tout en habitant avec ses chères épouses, obtient des mérites. Il ne doit pas faire un don (en vue de) la gloire, ni par crainte, ni à quelqu’un qui (peut lui rendre) service.

1329. Un homme vertueux ne doit pas donner, à ceux dont la profession est de chanter, ni aux fous, ni aux ivrognes, ni aux voleurs, ni aux diffamateurs,

1330. Ni à un homme privé de la faculté de parler, ni à un homme pâle, ni à celui qui est privé d’un membre, ni à un nain, ni à un homme de basse extraction, ni à celui qui ne s’est pas purifié par l’observance de (certains) vœux.

1331 . Il ne faut pas donner à un brahmane dépourvu de la science sacrée, mais seulement à un çrotriya (au courant de la révélation). Ce qui est improprement donné et reçu,

1332. Est dommageable pour le donneur et pour celui qui reçoit le don. De même que celui qui, en se servant pour barque d’une pièce de khadira (acacia catechu), ou d’une pierre, voudrait traverser la mer,

1333. S’enfoncerait (dans les eaux), de même s’engloutissent celui qui donne et celui qui reçoit, quand il n’y a pas lieu. De même qu’un feu préparé avec du bois humide, ne s’enflamme pas,

1334-1336. De même est celui qui, dépourvu d’ascétisme, d’étude et de bonne conduite, reçoit des dons. Comme de l’eau dans un crâne ou du lait dans une peau de chien, de même, par l’indignité de celui en qui elle repose, est la révélation chez (un homme) dépourvu d’une bonne conduite. On peut donner par compassion aux pauvres, et à ceux qui ne pratiquent pas des vœux (distingués), à celui qui ne récite pas les mantras, qui (n’est pas fidèle à) ses vœux, qui ne connaît pas les préceptes, (mais) qui ne murmure pas. Il ne faut pas donner par (pure) compassion aux affligés, aux opprimés, et aux malades.

1337. (Il faut se dire) : « C’est bien agir, c’est le devoir. » Ce qui est donné à un brahmane dépourvu de la science sacrée, est considéré comme donné sans raison.

1338. Il en est ainsi, parce que la personne qui reçoit, n’en est pas digne. Il n’y a pas de (moyen de) distinction. Comme un éléphant de bois, comme une gazelle de cuir,

1339. Est le brahmane qui ne se livre pas à l’étude. Tous les trois (ne font que porter) le nom (de leur état). Comme un eunuque qui est stérile auprès des femmes, comme une vache qui n’engendre pas avec une (autre) vache,

1340. Comme un oiseau sans ailes, est un brahmane qui ne récite pas les mantras. Comme (la provision de) blé d’un village, quand (le grenier) est vide, comme un puits sans eau,

1341. Comme la libation qui n’est pas répandue sur le feu, il en est de l’impie à l’égard des dieux et des pitris. Il est le destructeur des offrandes aux dieux et aux pitris.

1342, 1343. C’est un ennemi ravisseur des biens (véritables), un stupide, qui ne doit pas atteindre les mondes (bienheureux). Je t’ai raconté, ô Youdhishthira, tout ce qu’il en est à cet égard. Ô excellent Bharatide, cette grande instruction est importante, et elle doit être entendue, (au moins) en abrégé.