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Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch37

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis Ballin.
Ernest Leroux, éditeur (2p. 403-408).



CHAPITRE XXXVII


VOYAGE DE YOUDHISHTHIRA À LA VILLE


Argument : Youdhishthira désire s’instruire des devoirs des rois, et de ceux des diverses castes. Vyâsa et ensuite Krishna l’engagent à s’adresser à Bhîshma à cet égard. Cédant aux sollicitations de tous ses amis, Youdhishthira sent le calme renaître dans son cœur, et rentre dans sa capitale.


1344. Youdhishthira dit : Ô adorable grand mouni, le plus excellent des (brahmanes) à la double naissance, je désire entendre (quels sont) les devoirs entiers des rois, et ceux des quatre castes ;

1345. Comment (on doit) s’y prendre, pour se bien conduire dans les calamités, et de quelle manière, en suivant le sentier du devoir, je pourrais conquérir la terre.

1346. Car cet enseignement relatif à l’expiation, distinguant ce que l’on peut et ce qu’on ne doit pas manger, satisfait ma curiosité, et fait, en quelque sorte, renaître la joie dans mon (cœur).

1347. Mon âme est continuellement agitée, en réfléchissant que la royauté et la pratique du devoir, (sont deux choses) toujours en désaccord.

1348. Vaiçampâyana dit : Ô grand roi, Vyâsa, le plus éminent de ceux qui connaissent les védas, lui répondit, après avoir regardé Nârada, le plus ancien des (sages) possesseurs de toutes les connaissances :

1349. Ô maître suprême des hommes, si tu désires t’instruire complètement des devoirs, ô guerrier aux puissants bras, adresse-toi au vieillard qui est le grand oncle des Kourouides, à Bhîshma.

1350. Ce fils de la Bhâgîrathî sait tout ; il connaît tous les devoirs, et il détruira les doutes (qui pourraient) exister dans ton esprit, au sujet des secrets du dharma (devoir).

1351. C’est lui qu’engendra la divine déesse, la rivière au triple cours, lui qui vit face à face tous les dieux, avec Indra à leur tête.

1352. Ce prince, après avoir, à plusieurs reprises, satisfait par ses hommages les devarshis, Vrihaspati en tête, a appris (les règles qui dictent) aux rois une (bonne) politique.

1353. (Cet homme), le plus excellent des Kourouides, obtint (la connaissance) des préceptes qu’Ouçanas, et le brahmane gourou des dieux avaient connus, et apprit ce qui (constitue) la loi avec ses explications.

1354. Le guerrier aux grands bras, ayant accompli des vœux rigides, obtint de Vaçishtha et du Bhrigouide Çyâvana, (la connaissance) de toutes les parties des védas.

1355. C’est lui qui, jadis, sollicita les leçons de Koumâra, fils aîné de Pitâmaha, à l’éclat brûlant et qui connaissait la vérité, au moyen de laquelle on se réunit au souverain Être.

1356. Ce taureau des hommes obtint de la bouche de Mârkandeya tout le yatidharma (devoir des ascètes). Il reçut des astras de Râma et de Çakra.

1357. Nous avons appris que, quoiqu’il fût né parmi les hommes, la mort (ne devait venir) pour lui que quand il le voudrait, et que, (quoique) sans progéniture, les mondes heureux du ciel (lui étaient réservés).

1358. Les pieux brahmanes furent constamment ses suivants. Toutes les connaissances que l’on peut acquérir, il les a possédées.

1359. Il est au fait des devoirs, il connaît toutes les subtiles vérités du dharma (devoir) et de l’artha (intérêt). Il te parlera. Approche-toi de lui, avant que ce (sage), qui a la connaissance des devoirs, n’abandonne la vie.

1360. Après avoir entendu ces paroles, le très sage fils de Kountî, aux grandes pensées, s’adressa (en ces termes) au fils de Satyavatî, Vyâsa, le plus éloquent des hommes :

1361. Youdhishthira dit : Après avoir détruit mes parents, dans un massacre qui fait hérisser le poil (d’horreur), malfaisant pour la terre entière, destructeur du monde,

1362. Après avoir fait tuer par fraude, sur le champ de bataille, ce guerrier loyal, à quel titre aurais-je le droit de l’interroger ?

1363. Vaiçampâyana dit : Alors, le guerrier aux puissants bras, le meilleur des Yadouides, qui voulait être utile aux quatre castes, répondit à ce (prince), le plus excellent des rois.

1364. Le Vasoudevide dit : Tu ne dois pas persévérer (plus) longtemps dans ton chagrin. le plus grand des rois, fait ce qu’a dit l’adorable Vyâsa.

1365. Ô guerrier aux grands bras, les brahmanes et tes très énergiques frères, s’approchent de toi, implorant ton secours, comme (on implore) Parjanya (le dieu de la pluie), à la fin de la saison chaude.

1366. Les rois qui survivent, tout l’ensemble des quatre castes, et (les habitants de) ton royaume de Kouroujângala, ô grand roi, sont réunis (dans ce but).

1367. Pour plaire à ces magnanimes brahmanes, et, d’après l’ordre de Vyâsa, ce gourou à l’éclat démesuré,

1368. Ô tourmenteur des ennemis, fais ce qui est agréable à tes amis, à nous d’abord et à Draupadî. Ô meurtrier de tes adversaires, fais ce qui est utile au monde.

1369. Vaiçampâyana dit : Ainsi exhorté par Krishna, ce roi au grand cœur, aux yeux de lotus, se leva pour le bien du monde entier.

1370. Ce tigre des hommes, imploré par Vishtaraçravas (Vishnou-Krishna) lui-même, par Dvaipâyana, par Devasthâna et par Jishnou,

1371. Prié par ceux-là et par beaucoup d’autres, le très glorieux Youdhishthira réprima la peine et le repentir, qu’il avait dans le cœur.

1372. Alors ce fils de Pândou, possédant le texte de la çrouti, maître du trésor de la révélation, habile dans (la connaissance de) tout ce qui a été dit, et de tout ce qui devait l’être, sentit la paix revenir dans son esprit.

1373. Ce roi, entouré par ces (amis), comme la lune l’est par les maisons lunaires, ayant placé Dhritarâshtra devant lui, s’avança vers sa propre ville,

1374. Désireux d’y rentrer. Youdhishthira, fils de Kountî, qui connaissait tous les devoirs, honora les dieux et les brahmanes par milliers.

1375, 1376. Puis, loué par les panégyristes, de même que Soma (la lune) monte sur son char d’ambroisie, il monta sur son char nouvellement fabriqué, couvert de tapis et de peaux, consacré par de pieuses incantations, et attelé de seize bœufs blancs aux marques favorables.

1377. Le fils de Kountî, Bhîma, saisît les rênes. Arjouna prit en main un brillant parasol blanc.

1378. Ce parasol de couleur pâle, porté en tête du char, resplendissait comme, dans le ciel, un nuage blanc, parsemé des étoiles (qu’il laisse entrevoir).

1379. Les deux héros, fils de Mâdrî, prirent deux brillants éventails de queues de bœufs grognants, (bien) ornés et aussi éclatants que les rayons de la lune.

1380. Les cinq frères, (bien) parés, montés sur le char, ressemblaient aux (cinq) éléments réunis, ô roi.

1381. Monté sur un char blanc, attelé de chevaux aussi rapides que la pensée, Youyoutsou suivit, par derrière, l’aîné des fils de Pândou.

1382. Krishna, monté avec le Satyakide sur son brillant char doré, attelé (des chevaux) Çaivya et Sougrîva, suivit les Kourouides.

1383. Ô Bharatide, le (frère) aine (du) père du fils de Prithâ, accompagné de Gàndhârî, alla en palanquin en avant de Dharmarâja.

1384. Toutes les femmes des Kourouides, ainsi que Kountî et Krishna, ayant Vidoura à leur tête, suivaient sur divers véhicules.

1385. Puis, de nombreux chars, des éléphants (richement) ornés, des fantassins et des chevaux, venaient par derrière.

1386. Alors, loué avec de belles paroles par les chanteurs, les hérauts et les bardes, le roi alla à la ville qui tire son nom des éléphants (Hastinapoura).

1387. Cette marche du guerrier aux puissants bras, présenta (un spectacle) à qui rien ne pouvait être comparé. Elle était remplie de confusion, et accompagnée des cris de gens joyeux et (bien) nourris.

1388. Pendant que le fils de Prithâ s’approchait, la ville et la principale route étaient, comme il convenait, garnies des hommes habitant la cité.

1389. La terre était ornée de guirlandes blanches et de bannières. La grande rue (en) était parée, et était embaumée par des parfums.

1390. La demeure royale était (parfumée) de poudres odorantes, couverte de guirlandes de diverses fleurs et d’agréables priyangous (panicum dactylon).

1391. À la porte de la ville, étaient placées des jarres pleines d’eau, neuves et solides, et des filles brillantes et à l’esprit séduisant, se tenaient çà et là.

1392. C’est ainsi que le fils de Pândou, salué par des acclamations et entouré de ses amis, fit son entrée dans la ville aux portes bien ornées.