Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap38

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 254-260).


CHAPITRE XXXVIII


LÉGENDES SARASVATIENNES


Argument : Halâyoudha va à Vinâçana et à Soubhoûmika ; description de ce beau lieu. Il va au tîrtha des Gândharvas et à Gargasrotas. Description. Il va à Nâgavatmant, et ensuite à l’endroit où la Sarasvati change de direction. Vaiçampâyana raconte la légende du grand sacrifice Naimishien à Samantapañcaka et comment la Sarasvati change de direction. Halâyoudha va ensuite à Saptasârasvata.


2119. Vaiçampâyana dit : Et alors Halâyoudha alla à Vinâçana, où la Sarasvati disparaît par horreur pour les Çoudras et les Abhiras.

2120. C’est pourquoi les rishis ont toujours appelé (ce lieu) Vinâçana (disparition). Le très fort Bala s’y étant aussi baigné dans la Sarasvati,

2121. Alla à Soubhoûmika, sur l’excellente rive de cette rivière. Là, sans se lasser jamais, des apsaras brillantes,

2122. Avec des visages sans tache, jouent, à des jeux, purs. Là, ô maître des hommes, chaque mois, les dieux et les Gândharvas,

2123. S’approchent de ce tîrtha salutaire, honoré par les Brahmanes. On y voyait des Gândharvas et des troupes d’apsaras,

2124. Ô roi, se réunir régulièrement et aller ensemble à leur bon plaisir. Là aussi, les dieux et les pitris (pères) se réjouissaient au milieu des herbes,

2125. Toujours entièrement couverts de fleurs salutaires et divines. Ô roi, cette splendide place de récréation de ces apsaras,

2126. Sur l’excellente rive de la Sarasvatî, est appelée Soubhoûmikà (qui a un bel emplacement). Le Madhavide, s’y étant baigné et ayant donné de l’or au prêtre,

2127. Entendit ces chants divins et le bruit des instruments, et vit les grandes ombres des dieux, des Gândharvas et des Rakshasas.

2128. Le fils de Rohinî alla alors au tîrtha des Gândharvas, où les ascétiques Gândharvas, ayant à leurtête Viçvavâsou,

2129. Dansent, chantent et jouent des instruments de musique d’une manière charmante . Halâyoudha y ayant offert aux prêtres des trésors de diverses sortes,

2130. Des chèvres, des moutons, des bœufs, des ânes et des chameaux, de l’or et de l’argent, ayant fait manger aux brahmanes des mets qui leurs plaisaient et les ayant satisfaits par des (dons) précieux,

2131. Ce Madhavide aux grands bras, dompteur des ennemis, loué et accompagné par les prêtres, s’en alla de ce tîrtha des Gândharvas.

2132-2134. L’Ekakandoulin (qui n’a qu’une boucle d’oreille) alla au grand tîrtha Gargasrotas. Dans ce pur tîrtha de la Sarasvatî, le vieux et magnanime Garga, dont l’esprit était purifié par l’ascétisme, acquit la connaissance des temps (futurs), des mouvements extraordinaires des astres et des présages funestes ou heureux, ô Janamejaya, et, de son nom, ce tîrtha est appelé Gargasrotas (étang de Garga).

2135. Là, ô roi, les rishis qui remplissent leurs devoirs se sont continuellement approchés de Garga, en vue (d’obtenir) la connaissance de la destinée, ô puissant.

2136, 2137. Le très glorieux Bala Çvetânoulepana (enduit d’onguents blancs), y ayant distribué des richesses aux mounis à l’esprit purifié, et donné aux prêtres des aliments variés, se dirigea, vêtu d’un habillement bleu, vers Çankhatîrtha.

2138-2142. Le robuste Tâladhvaja y voyait, aussi haut que le grand (mont) Mérou, semblable à Çvetaparvata (la montagne blanche), l’arbre Mahâçankha né sur la rive de la Sarasvatî, entouré d’une multitude de rishis, et auprès duquel les Yakshas, les Vidhyâdharas, les Rakshasas, dont la force est immense, les Piçâcas à l’énergie démesurée, et les Siddhas (saints), se tiennent par milliers. Tous, ayant renoncé à leur nourriture habituelle, mangent les fruits de cet arbre. Se livrant à leur aise, chacun séparément, aux austérités qu’ils ont entreprises, et aux vœux (auxquels ils se sont astreints), quels qu’ils soient, ils errent sans être vus par les descendants de Manou, ô le plus grand des hommes. Cet arbre est connu ainsi dans le (monde entier), ô tigre des hommes.

2143. Ce qui est cause que ce tîrtha, qui efface les souillures, est célébré dans tout l’univers. Le tigre d’Yadou, y ayant distribué des vaches bonnes laitières,

2144. Des vases de cuivre et de fer, des vêtements de diverses sortes, et ayant honoré les brahmanes, fut traité avec honneur par les ascètes.

2145. Halâyoudha alla au bois salutaire de Dvaitavana. Arrivé là, ayant vu les mounis couverts de vêtements divers,

2146. Et s’étant aussi baigné dans l’eau, il honora les brahmanes, et donna aux prêtres de très riches moyens de subsistance.

2147. De là, ô roi, Bala s’avança, en suivant la Sarasvatî sur la droite, (et n’alla) pas très loin. Le très glorieux (héros) aux puissants bras,

2148. Vertueux, inébranlable, alla au tîrtha Nâgavatmant, où est la demeure de Vâsouki, roi des serpents,

2149. Qui possède un grand éclat, ô grand roi, et est entouré de nombreux serpents. Il y a continuellement en ce lieu quatorze mille rishis.

2150. C’est là que tous les dieux s’étant rassemblés, consacrèrent selon les règles Vâsouki, le plus grand des serpents, comme roi de ces animaux.

2151. En ce lieu, ô Pourouide, le danger des serpents n’est pas connu. Ayant aussi donné dans cet endroit des masses de joyaux aux prêtres,

2152. Il se dirigea vers l’Orient. Là aussi (il rencontra) à chaque pas de nombreux tîrthas, portant des centaines et des milliers de noms.

2153. Après s’être baigné dans ces tîrthas, comme cela lui avait été indiqué par les rishis, après y avoir fait la cérémonie religieuse de l’apavàsa et distribué des libéralités de toutes parts,

2154. Après avoir salué respectueusement ceux qui habitaient en ces lieux, (et qui lui) enseignèrent la route (qu’il devait suivre), il se dirigea vers l’endroit où, brusquement, la Sarasvatî

2155. Se retourna vers l’est, comme la pluie fouettée par le vent, par égard pour les magnanimes rishis Naimishiens.

2156. Le Lângalin (qui porte une charrue), Bala Çvetânoulepana, fut étonné, ô roi, en voyant la meilleure des rivières, dont l'extrémité retournait en arrière.

2157. Janamejaya dit : Ô brahmane, pourquoi la Sarasvatî se tourna-t-elle vers l’est ? Je désire que tu m’expliques tout cela, ô le plus grand de ceux qui sont versés dans la connaissance du Yayourvéda.

2158. Pourquoi le descendant d’Yadou fut-il étonné ? Comment et pour quelle raison la meilleure des rivières se retourna-t-elle ?

2159. Vaiçampâyana dit : Jadis, ô roi, à l’époque Kritayouga (dans l’âge d’or), un très grand sacrifice qui dura douze ans fut offert en ce lieu. Des ascètes Naimishiens,

2160. De nombreux rishis, ô roi, se dirigèrent vers (l’endroit où se faisait) ce sacrifice, et ces (hommes) heureux y habitèrent en se conformant aux règles.

2161. Quand ce sacrifice Naimishiende douze ans fut fini, de nombreux rishis vinrent en ce lieu, à cause des tîrthas.

2162. Or, par suite de la grande affluence des rishis, ô maître des hommes, les tîrthas prirent l’apparence d’une ville, sur la rive droite de la Sarasvatî.

2163. De sorte que l’avidité pour les tîrthas attira les plus grands brahmanes sur la rive de la rivière, à Samantapañcaka.

2164. (Toutes) les directions de l’espace furent remplies (du bruit fait) par la récitation incessante des prières de ces mounis à l’esprit purifié, qui offraient des sacrifices en ce lieu.

2165. La meilleure des rivières était alors embellie par les sacrifices que ces magnanimes (offraient), et qui brûlaient de toutes parts.

2166-2168. Les mounis qui se trouvaient là, dans le voisinage de la Sarasvatî, étaient les ascètes Bâlikhiliens 14 ô grand roi, ceux qui broyaient leur grain entre deux pierres (Açmakuttas), les Dantoloûkhalinas (qui mangent leur grain non moulu), les Prasamkhyânas (qui ne récoltent des vivres que pour le besoin présent), les ascètes se nourrissant d’air, d’eau ou de feuilles, ceux qui se livraient à des mortifications diverses, et ceux qui se couchaient sur la terre (nue). Ils faisaient briller la Sarasvatî d’un éclat semblable à celui que, (dans le ciel), les dieux donnent à la Gangâ (le Gange).

2169. Des rishis (dont l’emploi est) d’offrir des sacrifices, arrivèrent par centaines. Ces (hommes) soumis à de grands vœux ne virent aucune place (où s’établir, qui leur fût offerte par les rives) de la Sarasvatî.

2170. En vue de la pureté, ils arrosèrent ce tîrtha de libations, et (ornés) de leurs cordons sacrificiaux, accomplirent diverses œuvres pieuses et offrirent des agnihotras.

2171, 2172. Alors, la Sarasvatî vit la multitude désespérée et pleine de soucis de ces rishis. Remplie de compassion pour leur pieux ascétisme, la meilleure des rivières se retourna dans leur intérêt, en creusant (des canaux limitant) de nombreux bosquets.

2173. Puis, ô Indra des rois, la Sarasvatî, la meilleure des rivières, après s’être retournée en leur faveur, s’écoula en se dirigeant de nouveau vers l’ouest.

2174. Je poursuis mon cours après avoir fait en sorte que leur arrivée (ici) ne soit pas vaine, dit-elle. La grande rivière accomplit dans cette circonstance un grand prodige, ô roi.

2175. C’est ainsi, ô roi, que ce bosquet fut appelé (le bois) de Naimisha. le plus grand des Kourouides, offre un grand sacrifice à Kouroukshetra.

2176. Et voilà ce qui causait l’étonnement du magnanime Râma, qui voyait là de grands bosquets, et la Sarasvatî (qui s’était) détournée.

2177-2185. Or, Bala Halâyoudha, descendant d’Yadou, s’étant baigné là aussi, selon la règle, ayant donné aux brahmanes des vases et des présents de diverses sortes, leur ayant aussi donné des aliments à manger, ô roi, ayant reçu les hommages de ces (hommes) à la double naissance, continua son pèlerinage. Il se dirigea vers le tîrtha Saptasârasvata, le meilleur de ceux de la Sarasvatî, habité par diverses troupes de brahmanes, orné de jujubiers de Terminalias Catalpas, de gmelias arboreas, de ficus infectorias, de ficus religiosas, et de terminalias belericas, de cubebes, de feuilles de butea frondosa, de Capparis aphyllas, de careyas arboreas et d’arbres de diverses sortes croissant sur les rives de la Sarasvatî, orné aussi des plus beaux Karoushaka, de Vilvas (œgle marmelos), d’amrâtakas, d’erithrina, indicas et de premna spinosa, formé pour la plus grande partie d’un bois de Kadalî (musa sapientum), (lieu) charmant, agréable à voir, entouré de nombreux mounis mangeurs de vent, d’eau, de fruits, de feuilles, de grain non moulu, de ceux aussi qui se nourrissent de grain broyé entre des pierres, de Vâneyas (qui vont dans les bois), (lieu) retentissant du bruit de la récitation des prières, troublé par cent troupeaux de gazelles, extrêmement honoré par les hommes doux et vertueux à l’excès, et dans lequel le grand et parfait mouni Mankanaka pratiqua l’ascétisme.