Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap7

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 49-53).


CHAPITRE VII


GÉNÉRALISSIMAT DE ÇALYA


Argument : Çalya fait son éloge ; il est sacré. Joie des soldats de Douryodhana, craintes de Youdhislithira. Discours de Krishna, Youdhishthira reprend confiance.


321. Sañjaya dit : Le majestueux roi de Madra, ayant entendu ces paroles du roi, répondit à Douryodhana, ô prince ;

322. Douryodhana, guerrier aux grands bras, le plus éloquent (des hommes), écoute : Ces deux Krishnas, que, placés sur leurs chars, tu considères comme les plus grands des maîtres des chars,

323, 324. Ne sont, tous les deux, en aucune façon, mes égaux pour la force des bras. Je puis combattre en face des (armées en) bataille, les Pandouides, la terre entière soulevée (contre moi) avec les dieux, les asouras et les hommes. Je vaincrai donc dans la bataille, les Prithides avec les Somakas réunis.

325. Je deviendrai, sans aucun doute, le conducteur de ton armée. Je la rangerai en ordre de bataille, et les ennemis ne la vaincront pas.

326, 327. Je te dis ainsi la vérité, ô Douryodhana, il n’y a aucun doute à cela. Ô maître des hommes, après qu’il eut ainsi parlé, le roi, le poil hérissé (de plaisir) arrosa sur-le-champ d’eau consacrée (selon les rites), le maître suprême de Madra, au milieu de l’armée, ô excellent Bharatide.

328. Après que le (roi) eût été sacré, on entendit dans tes armées un bruyant rugissement (des guerriers), (accompagné du) son des instruments de musique.

329. Et alors les combattants furent joyeux, ainsi que les grands guerriers de Madra, et ils louaient le roi Çalya, brillant dans les batailles, (en disant) :

330. Vaincs les rois, aie une longue vie, triomphe des ennemis réunis. Que les très forts Dhritarâshtrides obtiennent (le secours) de la force de ton bras.

331. Qu’ayant détruit leurs adversaires, ils commandent à la terre tout entière, car tu es capable de vaincre dans les combats, les hommes avec les dieux et les asouras.

332-334. À plus forte raison les Somakas et les Sriñjayas, qui sont des mortels. Le fort et héroïque roi des habitants de Madra, étant ainsi loué, ressentit une joie qu’éprouvent difficilement ceux dont l’esprit n’est pas purifié, et dit : Aujourd’hui, ô Indra des rois, je tuerai dans la lutte les Pâñcâlas avec les Pandouides, ou bien, tué (par eux), je monterai au Svarga. Que tous les mondes me considèrent aujourd’hui, quand je me conduirai comme (un homme) sans crainte.

335, 336. Qu’aujourd’hui tous les fils de Pândou, le Vasoudevide avec le Satyakide, les Pâñcâlas, les Cédins, les fils de Draupadi, Dhrishtadyoumna, Çikhandin, et tous les Prabhadrakas, de toutes parts, voient mon énergie et la grande puissance de mon arc !

337. Que les Prithides, les Siddhas et les Câranas (chantres des dieux) voient ma légèreté, l’héroïsme de mes astras et la force de mes deux bras !

338. Que les grands guerriers des Pandouides, ayant vu mon héroïsme et de quelle nature est la force de mes bras, (ainsi que) le succès de mes armes de jet,

339. Fassent pour me résister les divers exploits (qu’ils voudront), je mettrai (quand même) aujourd’hui l’armée des Pandouides en fuite dans toutes les directions.

340. Ô roi des rois, je remplacerai dans la bataille Bhîshma, Drona et le fils du cocher, en combattant pour tes intérêts, ô Kourouide.

341. Sañjaya dit : Ô dispensateur des honneurs, quand Çalya eut été sacré, personne, dans l’armée, ne pensa plus à la perte de Karna, ô le plus grand des Bharatides.

342. Les soldats furent joyeux et satisfaits ; ils considérèrent les Prithides (comme déjà) tués et soumis au bon plaisir du roi de Madra.

343. Et ton armée, ô excellent Bharatide, devenue gaie, dormit pendant cette nuit, contente et animée de pensées saines.

344. Le roi Youdhishthira ayant entendu le bruit de ton armée, dit au Vrishnien (Krishna), en présence de tous les Kshatriyas :

345. Ô Madhavide, le Dhritarâshtride a fait son généralissime du grand archer Çalya, roi de Madra, honoré dans toutes les armées.

346. Sachant ce qu’il en est, ô Madhavide, fais ce qui convient. Tu es notre conducteur et notre protecteur, fais ce qui est nécessaire.

347. Ô grand roi, le vasoudevide répondit à ce maître suprême des hommes : Ô excellent Bharatide, je connais réellement Arttâyani (Çalya),

348. (Il est) héroïque, possède un grand éclat et est surtout magnanime ; il est sage, brillant guerrier et très agile.

349. Semblable à Bhishma, Drona, Karna, dans la bataille, peut-être même leur est-il supérieur. Voilà commentée considère le roi deMadra.

350. Ô maître suprême des hommes, j’ai beau réfléchir, je ne vois pas un guerrier qui soit son égal pour combattre, ô Bharatide.

351. Sa force dans la bataille, ô Bharatide, surpasse de beaucoup celle de çikhandin, d’Arjouna, de Bhîma, du Satvatide et de Dhrishthadyoumna.

352. Ô grand prince, le roi de Madra a l’héroïsme du lion et de l’éléphant. Dépourvu de crainte, il parcourra (l’armée de) tes soldats, comme la mort cruelle à l’époque (de la fin du monde).

353, 354. Ô tigre des hommes, je n’entrevois pas, dans ce monde entier ni dans celui des dieux, celui qui pourrait lui être opposé dans la bataille ; si ce n’est toi qui as une force égale à celle du tigre, ô descendant de Kourou, il n’y a pas un autre (homme) que toi qui puisse tuer le roi de Madra

355. Combattant, épouvantant chaque jour ton armée. Triomphe donc de Çalya dans le combat, comme Maghavant (vainquit) Çambara.

356. Ce héros honoré par le Dhritarâshtride est invincible. Quand le souverain de Madra aura succombé dans la lutte, la victoire sera certainement à toi.

357. Lui tué, toute la grande armée de Dhritarâshtra sera anéantie. Ô grand roi, maintenant que tu as entendu les paroles (que) je (viens de t’adresser),

358. Affronte, ô fils de Prithâ, le roi de Madra, ce grand guerrier, et, ô guerrier aux grands bras, vaincs-le dans la bataille, comme Indra (vainquit) Namouci.

359. Il ne faut pas avoir de compassion et dire : C’est mon oncle maternel… Envisage (ton) devoir de Kshatriya et triomphe du maître de Madra.

360. Après avoir traversé l’océan de Bhîshma et de Drona, et l’enfer de Karna, attaque Çalya et ne te noie pas avec tes troupes dans (ce qui est une flaque d’eau grande comme) l’empreinte du pied d’un bœuf.

361. Pendant le combat, songe à l’héroïsme de ton ascétisme et à ce qu’est ta force de Kshatriya, et vaincs ce grand guerrier.

362. Après avoir ainsi parlé, Keçava, tueur des ennemis, se retira, le soir, dans la tente, honoré par les Pandouides.

363. Et quand Keçava fut parti, Youdhishthira Dharmarâja, ayant congédié tous ses frères ainsi que les Pâñcâlas et les Somakas,

364. Dormit toute la nuit, comme un éléphant délivré des traits (qui l’avaient atteint). Et tous les grands archers Pâñcâlas et Pandouides,

365, 366. Joyeux de la mort de Karna, dormirent (tranquillement pendant) cette nuit. Délivrée de la fièvre (qui la tourmentait dans la personne du fils du cocher), l’armée des Pandouides, remplie de grands archers et de grands guerriers, ayant atteint le port (où elle espérait trouver le salut), fut joyeuse pendant (cette) nuit, entrevoyant la victoire (pour elle) dans la mort du fils du cocher.