Le Mari confident/10

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Michel Lévy frères, libraires éditeurs (p. 86-89).


X


Clotilde attribuait aux petits événements qui animaient sa vie depuis quelque temps, l’espèce de fièvre qui l’agitait jour et nuit, et la livrait à une activité involontaire, dont l’effet tournait souvent en mauvaise humeur, en dépit, et parfois en gaîté.

En s’observant mieux, elle aurait découvert que les accès de cette fièvre redoublaient à l’aspect de M. de Bois-Verdun ; qu’à peine était-il entré dans le salon, dans la loge où elle se trouvait, une sorte de délire s’emparait de son esprit, qu’elle parlait à tort et à travers sans désir de plaire, sans crainte d’ennuyer, comme poussée par une force surnaturelle. Cette crise morale et nervale, toujours funeste aux gens d’une mauvaise nature, est très-favorable aux personnes dont un fonds de mélancolie et de timidité neutralisent souvent l’esprit et l’imagination poétique ; dans sa déraison charmante ou son éloquence sans prétention, Clotilde se faisait vivement applaudir de ses amis. Loin de la déconcerter, l’attention maligne qu’Adalbert mettait à l’écouter, semblait exciter sa verve ; et lorsque de certains apologues se présentaient tout naturellement dans la conversation, elle ne se refusait pas le plaisir d’en faire un instrument de vengeance.

Rien ne revient plus souvent dans toutes les causeries que les lieux-communs sur les mauvais ménages ; les galanteries conjugales, les ruses réciproques qui alimentent les caquets de la bonne compagnie. À chaque nouvelle aventure, vraie ou fausse, il se trouve toujours à travers un grand nombre d’accusateurs, quelqu’avocat de la faiblesse humaine qui se met à la place du mari outragé ou de la femme trahie, et plaide de tout son esprit pour la mauvaise cause. Lorsque ces occasions se présentaient, Clotilde ne manquait pas à demander l’avis particulier des personnes qui se trouvaient là pour arriver à celui d’Adalbert.

Un soir que l’on discourait, chez la duchesse de Monterosso, sur le célèbre empoisonnement d’un brave mari par sa tendre moitié, Sosthène déclama contre les sentiments philanthropiques et surtout aristocratiques, qui avaient fait admettre des circonstances atténuantes en faveur de la coupable.

— Soyez bien persuadés, ajouta-t-il, que sans les jolis yeux et le nom honorable que portait l’empoisonneuse, elle aurait subi la peine de mort. Quant à moi, si j’avais fait partie de ses juges, je n’aurais pas été si indulgent. Et toi ? demanda Sosthène à Adalbert.

— Moi, je l’aurais acquittée tout de suite.

— Après un tel crime ! s’écria involontairement Clotilde.

— J’en connais de plus grands qui restent impunis, Madame ; au vrai, sauf les derniers moments de ce mari qui ont été douloureux comme le sont la plupart des derniers moments, soit qu’on meure de sa belle mort ou des poisons de la médecine, il a joui tant qu’il a vécu du plaisir de posséder une jolie femme, de la douce illusion de s’en croire aimé ; c’est entouré des plus tendres soins qu’il a rendu son âme à Dieu, sans crainte que nul sentiment amer, ni nulle vengeance ne lui fermât les portes du ciel. Il a quitté une vie agréable avec l’espérance d’une meilleure. On ne saurait le plaindre. C’est le mari visiblement trompé, celui que la conduite de sa femme condamne à la privation éternelle du bonheur intérieur, des joies de la famille ; celui qui se voit réduit à l’isolement, à une existence toute personnelle, sans avenir, sans ambition pour ce qu’il aime. Ah ! croyez-moi ! celui-là, seul, mérite votre pitié, car tout lui est refusé, jusqu’aux douceurs du pardon ; la honte est là pour lui interdire la clémence.

Cette sortie véhémente blessa sensiblement Clotilde. Tant d’injustice la révolta, et la crainte de laisser deviner, à l’émotion de sa voix, l’indignation qu’elle éprouvait, lui donna seule la force de garder le silence.

En effet, cet excès de dureté ne pouvait s’expliquer que par l’entretien qui avait eu lieu le matin même entre Adalbert et son ami, et dont Clotilde ne pouvait se douter.