Le Mari embaumé/II/11. M. le baron de Gondrin

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E. Dentu (Tome 2p. 140-154).





XI

M. LE BARON DE GONDRIN


M. le baron de Gondrin était intrigué malgré lui. Il se prit à réfléchir. Le More poursuivit :

— N’essayez jamais d’en savoir plus long qu’il ne me convient de vous en dire, c’est un conseil que je vous donne, et n’ayez jamais la folle idée d’employer la force contre moi.

— Voici, dit le baron, dont le sourire se fit équivoque, un conseil qui ressemble terriblement à une menace.

— Il y a toujours une menace dans un conseil, riposta le More avec gravité, mais nous ne sommes pas ici pour une lutte de paroles. Vous vous seriez fait un ami de M. le maréchal de la Meilleraye en mettant six pouces de fer dans la poitrine du jeune Gaëtan.

— C’est vrai. Et la protection du maréchal est puissante.

— La mienne vaut mieux, dit le More avec simplicité.

— Seigneur Estéban, murmura Gondrin en riant, seriez-vous, par aventure, Sa Majesté le roi d’Espagne, voyageant incognito ?

— Pour vous, baron, je suis mieux que cela.

— Peste ! Plus magnifique encore que votre lanterne, alors !

— Ne raillons pas, prononça froidement le More. Je suis las, et cet entretien ne durera pas longtemps désormais. Au temps où je vous vis pour la première fois, vous aviez désir d’être comte de Pardaillan et d’avoir trois cent mille livres de revenu.

— Ces désirs-là ne se perdent point, seigneur Estéban.

— Monsieur le baron, écoutez-moi. Ce jeune Gaëtan est aimé par une jeune fille à laquelle je m’intéresse. Je viens vous dire le prix que je veux vous payer sa vie.

— Le titre de comte et trois cent mille livres tournois de revenu ?

— Ni plus, ni moins.

— Et que demanderez-vous en échange ?

— Rien.

— Je suis tout oreilles, dit M. de Gondrin, qui rapprocha son siège.

Le More se recueillit un instant avant de parler.

— Votre route sera droite et sûre, dit-il enfin. Seulement, vous pourrez trouver à la traverse des influences puissantes. Il faut donc mettre la forme de votre côté. On vous a volé l’héritage dont nous parlons, monsieur de Gondrin.

— Je m’en doutais ! s’écria le baron en fermant les poings. Ce scélérat de Guezevern…

— Guezevern, l’interrompit don Estéban, ne mérita jamais cette injure. Guezevern n’est pour rien dans le tort qui vous a été fait.

— Comment ! se récria Gondrin qui sauta sur ses pieds.

Le More lui ferma la bouche d’un geste.

— Je vais vous en donner la preuve, prononça-t-il froidement. Il y a quinze ans passés que Guezevern est mort.

Le baron recula de plusieurs pas.

— Ah ! fit-il. Mort ! Guezevern ! alors il n’y a pas de comte de Pardaillan ! cette femme est veuve ! cette femme n’a aucun droit ! cette femme a trompé le roi, la reine, la justice, le monde entier !

Le More s’inclina silencieusement.

— J’ai vu nombre d’écrits signés : le comte de Pardaillan ! objecta Gondrin qui doutait.

Don Estéban sourit.

— Du vivant même de son mari, dit-il, c’était elle qui écrivait tout, qui signait tout… Ah ! ajouta-t-il avec une singulière expression d’amertume, Pol de Guezevern avait en elle une grande confiance, et Pol de Guezevern avait pour elle un grand amour.

Il passa le revers de sa main sur son front.

— Et comment ce Guezevern est-il mort ? demanda Gondrin.

— Noyé dans la rivière de Seine.

— Vous le savez de science certaine ?

— Je l’ai vu… comme l’ont vu vos anciens amis, le conseiller de Saint-Venant et maître Mathieu Barnabi.

— Ceux-là m’ont trahi, je le savais. Où prendre la preuve de ce que vous avancez ?

— Au château de Pardaillan.

— Par la sainte croix, s’écria Gondrin, je vais partir à l’instant même !

— Ce sera bien, dit le More.

— Voulez-vous venir avec moi ?

— Non. Notre chemin n’est pas le même ; je veux seulement vous donner un dernier avis. Il faut que vous réussissiez, monsieur de Gondrin, car vous êtes ici la main de la justice divine. Il faut que cette femme soit punie ; cette femme qui a trahi son mari vivant et qui vit de son mari mort. Pour réussir, marchez hardiment, mais prudemment. Je la connais, elle est capable de tenir tête à l’homme le plus résolu et le plus adroit. Il faudrait tout d’abord vous concilier l’appui de la principale autorité de la province.

— Le lieutenant de roi ? demanda Gondrin en souriant.

— Ce ne serait pas trop, répondit le More. Il faudrait en outre un magistrat ou un homme de loi habile qui pût conduire votre attaque à coup sûr.

— Où donc est Gondrin ? demanda en ce moment M. le duc de Beaufort à la porte du salon des concerts.

— Baron, reprit-il, brandissant un parchemin au-dessus de sa tête, nous aurons un roi qui dira « je veux » au lieu de « nous voulons. » Têtebleu ! M. de Beauvais a vu trente-six mille chandelles ! Quand Sa Majesté a parlé de votre affaire, le bonhomme a répondu : « Sire, vous êtes encore bien jeune pour vous mêler de ces affaires importantes… » Si vous aviez vu les yeux de Sa Majesté ; une paire de pistolets ! Quand je vais être premier ministre, je le consulterai, oui bien.

« — Monsieur, a-t-il répondu, je ne suis qu’un enfant, mais chaque jour, désormais, va me corriger un peu de ce défaut-là. Jusqu’à voir, je ne commande pas, je prie ; mais je garderai souvenir de ceux qui auront exaucé mes prières et de ceux qui les auront repoussées. » Après quoi, il a tourné le dos, laissant le bonhomme évêque aussi bien mort que s’il eût reçu une paire d’arquebusades. Et voici vos lettres patentes, baron, avec mes compliments bien sincères. Je vous devais cela ; nous sommes quittes. Bonsoir ! Je vais retrouver madame de Montbazon, à qui les bontés de la reine à mon endroit donnent bien de la jalousie.

Quand il fut parti, Gondrin, triomphant, revint vers le More qui s’était tenu à l’écart.

— Je crois, mon camarade, dit-il, que nous aurons aisément la protection de M. le lieutenant de roi.

— J’ai compris, répondit don Estéban sans rien perdre de sa glaciale froideur : vous êtes vous-même lieutenant de roi ; je pense que ce brevet est en règle ?

Il reçut des mains du baron le parchemin qu’il approcha de la lampe pour l’examiner attentivement.

— C’est bien, poursuivit-il, M. de Beauvais était pressé d’obéir. Il s’est servi d’un blanc-seing de la reine régente pour ne pas attendre à demain. Il a bien fait, et c’est heureux pour nous. Vous voici, monsieur le baron, en bonne passe d’être comte. Mais je vous le répète : gardez-vous de vous croire trop bien armé. Ne négligez aucune précaution. Souvenez-vous de ceci : vous luttez contre une femme qui est plus forte qu’un homme.

— Plus forte qu’un homme comme vous, mon camarade, murmura Gondrin, je ne dis pas.

Don Estéban eut un amer sourire et garda le silence.

— Avons-nous fini ? demanda Gondrin.

Don Estéban ne répondit point. Son front était plissé, son regard errait dans le vide.

— Si je me trompais, pourtant ! murmura-t-il.

Sa paupière se baissa.

Mais il se redressa bientôt de toute sa hauteur, disant :

— Lâche ! Lâche et fou ! J’ai vu, de mes yeux vu. L’épreuve est faite. L’arrêt doit être prononcé.

— L’ami, interrompit Gondrin en riant, parler tout seul n’est pas poli, excepté dans les tragédies.

— Ai-je parlé ! dit le More, qui tressaillit comme un homme éveillé en sursaut.

Il ajouta aussitôt :

— Nous avons presque fini, monsieur le baron, mais pas tout à fait. Il me reste à vous donner les moyens d’en terminer vite et bien : d’un seul coup. Nous vivons dans un temps où il faut mener la partie rondement quand on a, dans ses cartes, des atouts de la cour. La tourne change, vous savez, d’une minute à l’autre, et parmi le cercle de joueurs qui entourent le tapis vert de la Régence, il y a tel matois qui peut faire sauter la coupe. La rue Saint-Antoine où M. le duc de Beaufort aime tant à galoper pour se montrer au populaire conduit d’un côté au palais du roi, mais de l’autre au donjon de Vincennes. Vous êtes lieutenant de roi aujourd’hui, mais demain…

M. de Gondrin bâilla ostensiblement.

— J’en dis trop long, s’interrompit don Estéban, et par le fait, peut-être avez-vous bien devant vous toute une semaine avant que votre faction de comédie, le parti des Importants, soit balayée de la cour. Cela vous suffira si vous faites diligence. Il s’agit de gagner à franc étrier le château de Pardaillan, de prendre avec vous l’autorité judiciaire, et de vous faire ouvrir la grande porte de par le roi. Une fois dans le château, entrez, toujours et rigoureusement selon les dues formes, dans la chambre où madame la comtesse protège contre les regards du monde la prétendue folie de son mari. Vous trouverez là un cadavre, embaumé en 1627 par Mathieu Barnabi, et par conséquent la preuve que cette femme détient depuis quinze ans l’héritage de Pardaillan, acquis par le dol, la fraude et la fausse écriture, à l’aide de la fausse écriture, de la fraude et du dol. Cette fois, j’ai dit.

Le More remit son voile et chargea la boîte sur ses épaules.

Vos deux hommes de Bergame, ajouta-t-il, trouveront ce qui leur appartient au lieu même où ils l’ont perdu.

Il se dirigea vers la porte.

— Seigneur Estéban, dit le baron, qui lui offrit la main, j’ignore qui vous êtes et dans quel intérêt vous agissez, mais il est juste que vous soyez récompensé, si je recouvre par vous le titre et la fortune qui m’appartiennent.

— Monsieur le baron, répliqua le More qui était déjà sur le seuil, je viens de loin et j’y retournerai bientôt. Je souffre d’un mal incurable. Vous me reverrez encore une fois et nous réglerons nos comptes.

Il sortit.

Cette nuit-là, les passants et les voleurs purent voir sur le parapet du Pont-Neuf, non loin de la Samaritaine, un homme enveloppé d’un grand manteau blanc, qui était immobile et semblait songer. Les voleurs n’eurent garde de s’approcher de lui, et les passants doublèrent le pas en faisant un large circuit.

Les premières lueurs du jour le trouvèrent au même lieu et dans la même posture. Quand il se leva, enfin, ces paroles tombèrent de ses lèvres :

— Lâche ! lâche et fou ! j’ai vu de mes yeux !

Il descendit le quai à grands pas, et tourna le Louvre pour gagner la rue Saint-Honoré.

Le jour commençait à se faire quand il entra à l’hôtel de Vendôme, demandant le capitaine Mitraille.

Mitraille dormait et rêvait qu’il fendait la tête de ce misérable Estéban d’un magnifique revers d’épée.

Il fut éveillé en sursaut par la voix de don Estéban lui-même, qui était debout sur le seuil et disait :

— Hors du lit et à cheval ! Gagnez à franc étrier le château de Pardaillan, et défendez votre dame si vous le pouvez !

Mitraille se frotta les yeux. Le More avait déjà disparu.

Mélise, sortant de sa chambrette, apporta à son père, ses habits, son harnais et un flacon de vin. En s’habillant, Mitraille disait :

— Le scélérat ! Il faut que je le tue !

Sa toilette cependant s’acheva en même temps que sa bouteille. Mélise le mena jusqu’aux écuries disant de sa douce voix :

— Vous ne le tuerez point, mon père. Il a sauvé par deux fois la vie du chevalier Gaëtan, que vous aimez. Un mystère entoure cet homme, c’est vrai, mais il est bon et j’ai confiance en lui. Allez ventre à terre jusqu’au château ! Barricadez les portes, et, puisqu’il le dit, défendez madame Éliane, fût-ce contre le roi !

Ce coquin de Mitraille se mit en selle sans trop savoir de quel côté il allait tourner.

Mais quand il eut bu le coup de l’étrier, il prit un grand parti.

— Tu as raison, fillette, dit-il. Le plus pressé est de défendre madame Éliane. Seulement elle n’est point à son château de Pardaillan, puisque je la vis hier soir chez la reine.

— Chez la reine, vous, mon père ! s’écria Mélise stupéfaite. Et comment étiez-vous chez la reine ?

— Comment ? fillette ! Sois certaine que je lui briserai le crâne un jour ou l’autre. Il est cause que j’ai aidé à une mauvaise action. En attendant, je ne saurais où prendre madame de Pardaillan dans ce grand Paris où elle se cache. Mais en bonne guerre, le principal est de conserver toujours une place de refuge. Mort de moi ! comme disait ce pauvre Guezevern avant d’être comte, je garderais notre château contre le pape ! Envoie-moi, s’ils le veulent, ces deux étourneaux, Roger et Gaëtan : ils doivent faire de jolis soldats… et à te revoir, ma fillette ; sois bien sage !

Il piqua des deux et partit au galop.

Mélise resta un instant pensive, puis elle remonta les escaliers quatre à quatre et jeta sa mante sur ses épaules.

— Deux jolis soldats, c’est bien vrai ! se dit-elle. Mais je ne serai contente que quand je les aurai mis ensemble, la main dans la main : mon fou de Roger, ce beau Gaëtan et cette vivante énigme : le More ! voilà trois épées !

Elle gagna la partie de l’hôtel confinant aux dépendances du couvent, et ouvrit la fenêtre qui donnait sur le clos de dame Honorée.

À cette même heure, le nouveau lieutenant de roi en la province de Rouergue, M. le baron de Gondrin-Montespan, entrait à grand fracas dans le logis du conseiller de Saint-Venant. Celui-ci était couché sur une chaise longue, la tête enveloppée dans un mouchoir de soie. Un valet lui frottait la nuque avec des onguents qui ne venaient point de chez maître Barnabi. Ce bon Saint-Venant était littéralement moulu des coups de plat d’épée qu’il avait reçus dans son expédition de la veille au soir. Bien des fois déjà, il s’était promis de ne plus jamais se déguiser en Bergamasque.

À la vue de M. de Gondrin qui venait à lui d’un air irrité, il dit avec découragement :

— Voici bien le restant de nos écus ! Un malheur n’arrive jamais seul ! Monsieur mon ami, vous pouvez m’accabler si vous voulez, je ne résisterai point. J’eus quelques torts envers vous, cela est vrai ; mais qu’y faire ? Le bien de Pardaillan ne sera désormais ni pour vous ni pour moi. Il y a un diable qui veille sur ce trésor, monsieur mon ami, et je jure mes grands dieux que je n’y ai plus prétention aucune. Chat échaudé craint l’eau froide. Dites-moi tout de suite que je suis un malheureux, et laissez-moi à mes remèdes.

M. le baron de Gondrin prit un siège et croisa ses jambes l’une sur l’autre.

— Laissez-nous, dit-il au valet.

Celui-ci interrogea son maître du regard.

— Je suppose, prononça Saint-Venant avec résignation, que M. le baron n’assassinera pas un homme incapable de se défendre. Souvenez-vous de ces paroles, Picard, et laissez-nous, puisque M. le baron l’exige.

Le valet se retira.

— Savez-vous, dit le baron aussitôt que Picard eut refermé la porte, savez-vous que vous êtes un très habile garçon, Saint-Venant, mon cher ami ? Je me doutais bien de quelque chose, mais morbleu ! vous avez mené bellement votre barque et il n’y avait aucun côté par où on pût vous attaquer. Touchez là, mon compagnon, vous avez, pardieu ! mon estime.

Il tendit la main au conseiller qui la toucha avec défiance, en murmurant :

— La faute en est à l’amour…

— Qui perdit Troie ! l’interrompit M. de Gondrin. Sur ma foi ! la petite était encore dans le sein de sa mère quand vous me jouâtes ce bon tour, Renaud, mon mignon.

— Ce fut la mère d’abord, balbutia Saint-Venant, puis la fille.

— Alors, dites : la faute en est aux amours. Vous êtes un charmant compère, Renaud, et du diable si je ne fais pas votre fortune !

— Ne raillez pas, monsieur le baron, supplia le conseiller du ton le plus humble. Ce serait railler un vaincu, ce serait railler un homme mort.

Gondrin tira de sa poche le parchemin que M. de Beaufort lui avait remis la veille.

— Non-seulement je ne raille pas, dit-il en prenant un accent sérieux, mais encore je compte vous offrir des garanties. Veuillez prendre connaissance de cette pièce.

Saint-Venant, comme tous les hommes de sa sorte, savait lire une page d’un seul regard.

— Vous avez le pied sur ma tête, dit-il : lieutenant de roi ! et dans le Rouergue encore ! Monsieur mon ami, pour payer ma rançon, je consens à vous révéler des choses que vous n’auriez jamais devinées, quand même vous seriez gouverneur d’une grande province, au lieu d’être lieutenant de roi dans ce trou.

— Voilà ce qui vous trompe, monsieur mon ami, interrompit Gondrin. Vous n’avez rien à m’apprendre. Je sais tout, absolument tout, et mon estime pour vous s’en est singulièrement augmentée.

— Tout ? répéta Saint-Venant d’un air quelque peu goguenard.

— À moins qu’il n’y ait encore autre chose, reprit bonnement le baron. Mais dites-moi, cette idée du comte embaumé est-elle de vous ou d’elle ?

Renaud, cette fois, resta bouche béante à le regarder.

— Par la messe ! grommela-t-il, ce scélérat de Barnabi a parlé !

— Je vous ai demandé, répéta paisiblement Gondrin, si le tour était de vous ou d’elle.

Il y a de méchants animaux qui reprennent du courage quand on les accule. Le regard du conseiller se raffermit.

— Un peu d’elle, un peu de moi, répondit-il. Ce diable d’homme n’avait jamais fait que des sottises en sa vie ; j’étais fort lié dans la maison. Je savais que de toute éternité madame Éliane avait écrit et signé pour son mari.

— J’entends ! la chose se fit en quelque sorte toute seule, y compris l’acte signé au lit de mort de mon oncle, feu le comte de Pardaillan.

— Ceci, dit Saint-Venant, appartient en propre à madame Éliane. Elle croyait son mari aussi bien portant que vous et moi, et d’ailleurs elle se prétend la fille légitime du feu comte.

Gondrin haussa les épaules.

— Et la disparition de l’enfant ? reprit-il. De l’héritier mâle ?

— Mon filleul ? répliqua le conseiller avec toute son effronterie revenue. Ceci m’appartient en propre.

— Vous aviez dès lors l’espoir d’épouser la mignonne ?

— D’épouser ou de supprimer, selon le sexe.

Pour la seconde fois, Gondrin lui tendit la main.

— Touchez là, monsieur mon ami, dit-il, vous avez perdu la partie. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir d’autre comte de Pardaillan que moi. Mais, de par Dieu, il s’agit d’un gâteau qui peut contenter plus d’une gourmandise. J’ai besoin de vous, j’ai besoin même de maître Barnabi. On lui jettera un os à ronger et vous serez, vous, monsieur de Saint-Venant, riche d’un million tournois après l’affaire faite.

Les doux yeux du conseiller brillèrent.

— Dites-moi ce qu’il faut faire, murmura-t-il.

— Il faut vous habiller lestement et envoyer quérir votre compère Mathieu, afin que nous partions ensemble pour le Rouergue dans une demi-heure d’ici.

— Pour quel motif ?

— Pour instrumenter légalement, pour faire ouvrir cette fameuse chambre du comte par autorité de justice, pour découvrir enfin la supercherie d’une façon si solennelle et si authentique qu’on n’ait plus jamais à y revenir !

Renaud hésita.

— Si les choses vous répugnent, monsieur mon ami, dit Gondrin avec politesse, je vous préviens qu’il y a là amplement de quoi vous faire pendre.

— Je réfléchissais, monsieur le baron, répliqua doucement le conseiller. Vous n’avez point songé aux embarras de ma situation. Il est connu que j’entrais dans cette chambre… Je pourrais passer pour complice.

Gondrin se leva et l’interrompit pour dire sèchement :

— Les embarras de votre situation ne me regardent pas, monsieur mon ami. J’étais venu vous offrir le salut et la fortune. C’est à prendre ou à laisser. Consultez-vous. Je reviendrai dans une demi-heure, et je vous conseille d’être prêt !