Le Moine de Saint Benoit
Œuvres de Walter Scott, tome 1, Furne, Libraire-éditeur, , Tome I. — Ballades, etc (p. 27-32).
DE SAINT-BENOÎT.
Si je publie cette ballade sans la terminer, je dois dire que mon but n’a pas été de lui donner cette sorte d’intérêt qui naît souvent d’une curiosité désappointée. J’avouerai que mon intention était de poursuivre le récit jusqu’à la fin ; mais je n’ai jamais pu être content de mon travail, et si je joins ce fragment à mes œuvres poétiques, c’est par déférence à l’avis de quelques personnes dont l’opinion mérite des égards, et qui se sont opposées à mon projet de supprimer entièrement mon Moine de Saint-Benoît.
La tradition qui m’en a fourni l’idée est connue dans le comté de Mid-Lothian, où se trouve la maison appelée aujourd’hui Gilmerton-Grange, et à qui jadis on avait donné le nom de Burndale, d’après l’aventure tragique que je vais rapporter.
La baronnie de Gilmerton appartenait autrefois à un seigneur nommé Heron qui avait une fille de la plus grande beauté. Cette jeune personne fut séduite par l’abbé de Newbattle, couvent richement doté sur les rives de l’Esk, et qu’habite aujourd’hui le marquis de Lothian. Heron fut informé des amours de sa fille, et sut aussi que le moine avait été favorisé dans ses criminelles intentions par sa nourrice, qui demeurait dans cette maison de Gilmerton-Grange. Il conçut le projet d’une terrible vengeance sans être arrêté ni par le saint caractère dont le préjugé revêtait les ecclésiastiques, ni par les droits plus sacrés de la nature.
Il choisit une nuit sombre et orageuse, pendant laquelle les amans s’étaient donné rendez-vous ; il fit entasser autour de la maison des broussailles desséchées avec d’autres combustibles, et y mit le feu. La maison et ceux qu’elle renfermait ne formèrent bientôt plus qu’un amas de cendres.
Le début de ma ballade m’a été suggéré par ce curieux extrait de la vie d’Alexandre Peden, l’un de ces apôtres errans et persécutés de la secte des caméroniens sous le règne de Charles II et de son successeur Jacques. Cet Alexandre Peden passait dans l’esprit de ses prosélytes pour être doué d’une puissance surnaturelle : peut-être se l’était-il persuadé à lui-même ; car les lieux sauvages que ces malheureux fréquentaient et les dangers continuels qu’ils couraient dans leur état de prescription, ajoutaient encore à la sombre superstition de ce siècle d’ignorance.
Á peu près dans ce même temps Alexandre Peden, dit son biographe, fut dans la maison d’André Normand, où il devait prêcher pendant la nuit. Après être entré il s’arrêta un moment, s’appuya sur le dos d’un fauteuil en se couvrant la tête. Soudain il se relève, et dit : Il y a quelqu’un dans cette maison pour qui je n’ai aucune parole de salut. Après quelques momens de silence il ajouta : Il est étrange que le démon refuse de sortir pour nous empêcher de commencer la bonne œuvre.
Alors une femme sortit ; c’était une vieille qui avait toujours été vue de mauvais œil, et qui passait même pour sorcière.
(La vie et les prophéties d’Alexandre Peden, ex-ministre du saint Évangile à New-Glenluce, partie II, § 26.)
Le pape célébrait le saint sacrifice avec le pouvoir qu’il a reçu du ciel d’effacer les péchés des hommes. C’était le grand jour de Saint-Pierre.
Le peuple était agenouillé dans le temple ; chaque fidèle allait recevoir l’absolution de ses fautes en baisant le pavé de l’enceinte sacrée.
Toute l’assemblée est immobile et muette au moment où les paroles de la grâce vont retentir sous les voûtes. Soudain le pontife tressaille de terreur ; la voix lui manque ; et lorsqu’il veut élever le calice il le laisse tomber à terre.
Le souffle d’un grand coupable, s’écrie-t-il, souille ce jour pieux ; il ne peut partager notre croyance ni éprouver le saint effet de mes paroles.
C’est un homme dont aucune bénédiction ne peut calmer le cœur troublé ; c’est un malheureux dont l’odieuse présence profane toutes les choses saintes.
Lève-toi, misérable, lève-toi et fuis ; crains mes imprécations. Je t’ordonne de ne plus étouffer ma voix par ton aspect profane ; fuis.
Au milieu du peuple était agenouillé un pèlerin recouvert d’un capuchon gris ; venu des rives lointaines de sa terre natale, il voyait Rome pour la première fois.
Pendant quarante jours et quarante nuits il n’avait proféré aucune parole, et toute sa nourriture avait été du pain et l’eau des fontaines.
Au milieu du troupeau de pénitens aucun n’était prosterné avec plus d’humilité ; mais lorsque le pontife eut parlé, il se leva et sortit.
Il reprit le chemin de sa terre natale, et dirigea ses pas fatigués vers les plaines fertiles du Lothian et vers la cime azurée des montagnes de Pentland.
Il revit les ombrages de l’Esk, berceau de son enfance, et cette rivière si douce qui porte à la mer le tribut de ses flots argentés.
Des seigneurs accoururent au-devant du pèlerin ; des vassaux vinrent fléchir le genou– devant lui ; car parmi les Chefs guerriers de l’Écosse aucun n’était aussi brave que lui.
Il avait versé plusieurs fois son sang pour la patrie, et les rives du Till avaient été témoins de ses exploits.
Salut, lieux ravissans où coulent les ondes limpides de l’Esk ; salut, cimes aériennes des rochers, et vous ombrages inaccessibles aux rayons du soleil.
C’est là que le poète est heureux de s’égarer avec la Muse ; c’est là que la beauté peut trouver un asile discret pour parler de ses amours !
Qui n’admirerait la noble architecture de ce château d’où le cor annonce l’arrivée des rois (1) ? Qui ne se plairait sous les noisetiers d’Auchendinny (2) et près de Woodhouselee qu’habite un blanc fantôme.
Qui ne connaît les bocages de Melville, les vallons de Roslin, Dalkeith (3), asile de toutes les vertus, et Hawthorden, que le nom de Drummond a rendu classique ?
Cependant le pèlerin évite tous ces lieux enchanteurs, et chaque jour il suit le sentier solitaire qui conduit à la ferme incendiée de Burndale.
Ce lieu est d’un aspect triste ; le désespoir seul pourrait s’y plaire ; les murs en ruines semblent menacer de leur chute celui qui s’en approche, et la toiture est noircie par les traces du feu.
C’était un soir d’été ; les rayons affaiblis du jour arrêtés sur la crête de Carnethy la nuançaient d’une teinte de pourpre.
La coche du couvent annonçait l’heure des vêpres dans les chênes de Newbattle ; à l’hymne de la Vierge céleste se mêlait la voix solennelle de l’airain.
Le vent apporta les derniers sons de cette harmonie religieuse à l’oreille du pèlerin au moment où il s’avançait dans le sentier accoutumé.
Plongé dans ses rêveries profondes, il levait enfin les yeux lorsqu’il fut parvenu à ce séjour mélancolique où l’œil ne pouvait apercevoir que des ruines.
Il soupira avec amertume en contemplant ces murs calcinés, et un moine de Saint-Benoît étendu sur une pierre.
— Que le Christ t’écoute, dit le serviteur du ciel : tu es sans doute quelque pèlerin malheureux ? Lord Albert le fixe avec des yeux surpris et attristés, mais il ne répond rien.
— Viens-tu de l’Orient ou de l’Occident ? demanda le moine. Apportes-tu de saintes reliques, as-tu visité la châsse de saint Jacques de Compostelle, ou viens-tu de la chapelle de saint Jean de Beverley ?
— Je ne viens point du pèlerinage de Compostelle ; je n’apporte point des reliques d’Orient, mais j’apporte une malédiction de notre Saint-Père le pape, une malédiction qui me suivra partout.
— Cesse de le croire, infortuné pèlerin. ! Fléchis le genou devant moi, et confesse ton crime afin que je puisse t’absoudre.
— Et qui es-tu, moine, pour avoir le droit de me remettre mes péchés, lorsque celui qui tient les clefs du ciel et de la terre n’a pu m’en accorder le pardon.
— Je viens, dit le moine, d’un climat lointain ; j’ai parcouru plus de mille lieues exprès pour venir absoudre un coupable d’un crime commis dans ce lieu même.
Le pèlerin s’agenouilla, et commença en ces termes sa confession, pendant que le moine appuyait une main glacée sur sa tête humblement fléchie…..........
NOTES.
La baronnie de Pennycuik, appartenant à sir George Clerk, soumet son propriétaire à une singulière obligation : il est tenu de monter sur un large quartier de roche, et d’y donner trois fois du cor chaque fois que le roi vient chasser dans le Borough-Muir. On admire à juste titre le château de Pennycuik, tant pour son architecture que pour le paysage qui l’avoisine.
Auchendinny sur l’Esk, en dessous de Pennycuik, est la demeure actuelle de l’ingénieux H. Mackenzie, auteur de l’Homme sensible (the Man of feeling).
Le château et la vallée romantique de Roslin, jadis habité par la famille de Saint-Clair, appartient aujourd’hui, au comte de Roslin.
Dalkeith est la résidence de la famille Buccleuch.