Le Mystère de Quiberon/6

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Dujarric et Cie, Éditeurs (p. 72-87).



CHAPITRE V

La question des clauses secrètes. — Le manifeste de Cormatin. — Nécessité morale des clauses secrètes. — Les historiens qui en nient l’existence : Thiers ; de La Sicotière. — Comment cette opinion s’est formée. — Les habiletés d’Eckart ; ses aveux involontaires. — Les variations de Beauchamp. — Témoignages de contemporains : Henriot, Boursault, Barère, Boissy d’Anglas, Chateaubriand. — Documents officiels ou publics : lettre de Sieyès au général Beaufort ; lettre du Comité de salut public à Guezno ; déclarations de Cormatin devant ses juges. — Explications embarrassées de Roux (de la Marne) à la tribune de la Convention. — Intervention de Tallien pour étouffer la question. — L’opinion de Napoléon. — La lettre de Charette au Régent de France.

On a vu que Cormatin était venu à Nantes dans l’intention de prendre part aux négociations. En faisant cette démarche, il agissait sans l’aveu de son chef direct, Puisaye, et dans un sens contraire à la ligne de conduite adoptée de concert entre celui-ci et le chef royaliste de la Normandie, Frotté. Tout semble indiquer d’ailleurs qu’il ignorait les raisons de leur abstention et qu’il s’était laissé entraîner, soit par des conseils venant des émissaires du comte de Provence, soit par des avances venant des délégués conventionnels.

Ce qui est bien certain, c’est qu’on lui avait fait connaître quelques-unes des promesses par lesquelles on avait amorcé Charette.

Le manifeste qu’il avait cru devoir publier avant de partir, ne permet aucun doute sur ce point. On y lit ces lignes remarquables :


« … Convaincus que les Français, d’après leur caractère physique et moral, ne pourront jamais être heureux que sous le gouvernement d’une monarchie, … souscrivent à tout ce que fera le général Charette pour établir l’union, la paix et la concorde entre tous les Français. Il suffira seulement que l’on promette, avec garantie de les remplir par la suite, ceux des articles dont on ne pourrait, pour le moment, obtenir l’exécution[1]… »


Ce langage indique clairement que plusieurs des questions à traiter étaient, à l’avance, considérées comme devant faire l’objet de clauses secrètes.

Il était bien difficile, il était même impossible, qu’il en fut autrement.

Les divergences entre le programme public de la Convention et celui des armées catholiques et royales étaient trop profondes pour qu’il fut raisonnable de songer seulement à une conciliation, sans admettre la nécessité de conditions pour lesquelles il faudrait, de part et d’autre, le secret et le délai d’une préparation graduelle.

L’évidence de cette nécessité est telle qu’en l’absence de tout renseignement particulier, elle devrait suffire à imposer la conviction quant à l’existence de clauses secrètes dans le traité qui intervint.

On les a niées cependant et on continue à les nier avec un acharnement qui étonne. Mais la négation sans preuves, formulée par certains historiens, ne saurait être prise au sérieux et la discussion pénible par laquelle certains autres ont essayé de contester le fait, aboutit malheureusement à le rendre non douteux pour tout esprit droit et réfléchi.

Thiers est un de ceux qui nient purement et simplement. « Il est sans doute inutile, — déclare-t-il dédaigneusement, — de démontrer l’absurdité du bruit répandu alors et même répété depuis, que les traités renfermaient des articles secrets portant la promesse de mettre Louis XVII sur le trône… on ne la rappellerait point ici (l’assertion) si elle n’avait pas été reproduite dans une foule de mémoires. » Quand on constate qu’un bruit a été généralement répandu à l’époque des événements et qu’une assertion a été reproduite dans une foule de Mémoires, il serait pourtant nécessaire de dire pourquoi l’histoire n’a pas à en tenir compte.

M. de La Sicotière est un de ceux qui, plus respectueux des convenances historiques, mais moins prudents que Thiers, ont entrepris de faire la preuve contre cette assertion ; mais qui, par l’inévitable et trop apparent embarras de leur discussion, pleine de réticences, de restrictions et de contradictions, ne parviennent qu’à démontrer l’impossibilité de faire cette preuve[2].

Il est évident qu’il y a comme un mot d’ordre tacite, auquel se sont cru obligés d’obéir, et les écrivains républicains, saisis d’un saint effroi à la pensée d’un aveu qui montrerait la Grande Convention pactisant, sincèrement ou non, avec le serment sacré de haine à la royauté, et aussi les écrivains de la Restauration et leurs successeurs, soucieux d’obscurcir la clarté sur des faits qui se rattachent aux intrigues du comte de Provence.

La note a été donnée par Eckart, qui fut un des premiers et des plus complaisants publicistes de cette école qui s’est chargée d’accommoder l’histoire aux désirs et aux besoins de la Restauration. C’est lui qui a fourni la formule des subtilités au moyen desquelles la réalité et la portée des articles secrets pouvaient être dissimulées et contestées ; et l’on peut dire que M. de La Sicotière et consorts n’ont fait que développer le thème indiqué par Eckart. Seulement, celui-ci, qui écrivait à une époque assez rapprochée des événements et qui devait être lu par des survivants qui en avaient été témoins, ne s’aventure dans son système de restrictions, qu’avec une prudence et une timidité extrêmes ; il laisse voir sa gêne en corrigeant par une note affirmative, les circonlocutions dont il a cru devoir user dans le texte principal. À mesure que le temps s’est écoulé, on a cru pouvoir accentuer la note et, petit à petit, la question s’est trouvée obscurcie au point de tromper des historiens de bonne foi.

Les petites manœuvres d’Eckart sont assez amusantes à étudier.

Voici ce qu’il écrit (pp. 278 et 279 de ses Mémoires historiques, ouvrage dédié et présenté à Mme la duchesse d’Angoulême) :


« Toutes hostilités cessant de part et d’autre, on pouvait se flatter qu’à une époque déterminée, le jeune Roi et Madame Royale seraient remis aux Vendéens. Quelques personnes assurent même que, peu de temps avant la mort de Louis XVII, le Comité de salut public avait traité avec les chefs de la Vendée et s’était engagé à leur remettre l’héritier de la couronne et son auguste sœur avant le 15 juin pour tout délai. Ces personnes vont jusqu’à dire que M. Desotteux, baron de Cormatin, major général de l’armée catholique et royale de Bretagne, avait l’honorable mission de venir chercher à Paris ces précieux rejetons de Louis XVI. »


Puis, dans une note reléguée à la fin du volume, pressé sans doute par quelques-unes de ces personnes qui affirmaient, il cède à la nécessité d’affirmer lui-même :


« … À la suite de la suspension d’armes, plusieurs chefs des Vendéens, ayant à leur tête le célèbre chevalier de Charette, se rendirent à Nantes, où ils assistèrent au spectacle avec leurs cocardes blanches et leurs uniformes royaux. Il semblait que pour le moment, la Royauté et le Gouvernement républicain marchaient sur la même ligne. Tout devait se conduire ainsi jusqu’à ce que les articles secrets, arrêtés entre les Vendéens et les Commissaires des Comités, eussent été ratifiés par la Convention. Ces articles portaient, entre autres choses, que Louis XVII et Madame, son auguste sœur, seraient remis aux armées catholiques et royales de la Vendée et de la Bretagne, et que le rétablissement de la religion catholique serait proclamé en France avant le 15 juin. À la vérité, l’historien de la guerre de Vendée, qui convient que plusieurs des clauses stipulées à l’avantage des Vendéens restèrent secrètes, assure, à cet égard, qu’il n’y eut que des promesses sur la possibilité de restituer le trône au fils de Louis XVI. Quoi qu’il en soit, les Commissaires, qui étaient informés des préparatifs considérables que l’Angleterre annonçait en faveur des Vendéens et qui étaient également instruits de l’état d’épuisement, de famine et de misère où la France était tombée, avaient reconnu que ces articles, réclamés depuis longtemps par le parti de plus en plus nombreux des honnêtes gens, pouvaient seuls terminer la guerre civile et sauver l’État. Peut-être espéraient-ils que leur exécution amènerait la Restauration. »


Ainsi, voilà un écrivain qui, après avoir essayé de jeter quelque doute sur les faits, se voit obligé de les avouer et se trouve amené à en préciser avec assez de justesse, la nécessité reconnue, la forme réelle et la portée.

L’historien de la Vendée dont il est question dans cette note, est Beauchamp. Nul mieux que lui ne fut au courant des affaires concernant les guerres de l’Ouest, qu’il suivit longtemps pour le compte de la police de Fouché. Les variations de ses récits, que sa servilité lui fit accommoder, dans trois éditions successives, au gré des gouvernements qui voulaient bien le payer, doivent empêcher qu’on donne une entière créance à tout ce qu’il dit ; mais sur ce point spécial des articles secrets, il est, évidemment, plus suspect de réticence que d’exagération.

Il y a d’ailleurs des témoignages directs émanant de témoins qui ne peuvent être soupçonnés d’erreur ni de complaisance.

M. de La Sicotière lui-même en cite un très important :


« Henriot, dit-il, un des signataires du traité de La Jaunaye, avait, paraît-il, affirmé, à l’époque même où le traité fut signé, qu’il existait des articles secrets et notamment que le jeune Louis XVII devait être remis entre les mains de Charette avant la fin de juin. C’est à M. de La Bouëre qu’il aurait fait cette confidence… Le même M. de La Bouëre assista au dîner où se réunirent les chefs vendéens et les délégués du Comité, le jour de l’Épiphanie[3]… »


Boursault, membre de la Convention et délégué dans l’Ouest, affirme aussi l’existence des articles secrets et en donne le texte en huit articles, exactement conforme à celui qu’on trouve dans les mémoires de Napoléon. Il ajoute que la clause relative à la remise de Louis XVII a été stipulée séparément. « J’en ai moi-même, dit-il, une copie que j’ai faite à Nantes et que, deux mois après, Hoche, à son quartier général de Rennes, n’a jamais voulu croire[4]. » Il y a ici une concordance parfaite avec l’affirmation de Charette que cette clause fut stipulée au dernier moment. Cela justifie aussi l’opinion, émise plus haut, quant à la résolution de Hoche, de rester étranger à la combinaison des royalistes de Vendée.

Un autre conventionnel, Barère, dans ses Mémoires (édités par le fils de Carnot), parle du troisième Comité de salut public, dont lui-même ne faisait point partie. À propos de la pacification de La Jaunaye et de la promesse faite à Charette, il dit : « L’Histoire recherchera quels traités étrangers et imposteurs autant qu’antinationaux furent faits entre ce Comité et les envoyés de l’armée catholique, traités qui trouvèrent une solution quelconque dans la mort précoce du fils de Louis XVI, détenu au Temple. »

Boissy d’Anglas parle aussi de cet article secret et dit que les chefs des Comités avaient promis de l’exécuter.

Chateaubriand, dans un travail sur la Vendée (Conservateur, t. VI, p. 215), fait également mention des conventions relatives à la remise des enfants royaux, comme d’un fait avéré. Il savait pertinemment à quoi s’en tenir, son frère ayant pris une part active aux négociations.

À côté de ces témoignages personnels, il faut placer des documents ayant plus ou moins le caractère de documents officiels ou publics.

Dans une lettre adressée par le conventionnel Sieyès, dans l’intervalle du 10 au 15 juin, au général Beaufort de Thorigny, commandant alors un corps républicain en Vendée, pour lui enjoindre de reprendre les hostilités, sans attendre le terme de l’armistice, ce général a affirmé que se trouvaient ces lignes : « … car si l’on ne devance pas ce terme, nous serons obligés, conformément aux conventions, de remettre le jeune Capet aux chefs royalistes[5]. » Une note confidentielle adressée à Guezno, commissaire de la Convention, par plusieurs membres du Comité de salut public, en date du 18 prairial et interceptée le 10 juin par les royalistes, près de Château-Giron, est conçue dans le même sens : « le moment approche où, d’après l’article deuxième du traité secret, il faut leur présenter un fantôme de monarchie et leur montrer ce bambin pour lequel ils se battent[6]… »

Si l’on voulait discuter l’authenticité et la valeur de ces pièces, on serait forcé de reconnaître la portée et la signification d’un incident relaté au Moniteur dans le compte rendu de la séance des Cinq-Cents, du 22 frimaire an IV. Il s’agissait du procès de Cormatin, qui, dans son mémoire, affirmait l’existence des clauses secrètes relatives à la remise du jeune roi et produisait des lettres compromettantes pour quelques députés. « Il a l’audace, — dit Roux de la Marne, — de produire une copie d’une lettre qu’il attribue aux membres du Comité de salut public, dont il relate les signatures. Il fait plus, il prétend que le Comité de salut public s’est engagé avec lui à faire transporter le jeune Capet et sa sœur à Saint-Cloud, pour de là les faire passer en Vendée. Je suis du nombre de ceux dont on relate la signature dans le placard. Je ne crois pas avoir besoin de déclarer que je n’ai jamais eu de correspondance avec Cormatin. » Il faut reconnaître que, si les affirmations de Cormatin se distinguent par une « audace » qui doit impressionner, parce qu’elle ne peut guère lui être profitable, en revanche, les dénégations, évidemment très intéressées, de Roux, se distinguent par un défaut d’audace singulier. Il équivoque, il use de subtilités, il affecte de restreindre la question au fait d’une correspondance particulière entre quelques membres du Comité et Cormatin particulièrement ; mais il esquive prudemment la vraie question, celle des articles secrets du traité. Il faut noter aussi que Roux n’avait pas été au nombre des négociateurs de La Jaunaye ; c’est très certainement pour cette raison que la charge de répondre aux allégations de Cormatin lui avait été laissée, afin d’épargner aux signataires du traité l’embarras d’explications plus difficiles[7].

Cormatin, du reste, demandait un sursis, pour prouver ses dires par la production des pièces originales. Cela devenait sérieusement inquiétant. Pour y couper court, Tallien fit purement et simplement refuser le sursis.

En présence de ces témoignages et de ces documents, on peut, si l’on veut, épiloguer sur la forme dans laquelle fut traitée la question ; on peut se livrer à des dissertations et à des distinctions subtiles entre les mots ; clauses de traité, conventions particulières, promesses écrites ou verbales ; on arriverait peut-être à établir que l’engagement n’a pas été sincèrement pris, on ne parviendra pas à détruire ce fait qu’il a été pris.

Le vrai caractère de cette négociation paraît assez exactement défini dans ces lignes tirées des Mémoires de Napoléon :


« Le Comité de salut public conduisit la négociation avec une grande habileté ; il ne perdit pas de vue un instant qu’il traitait avec des rebelles à son autorité et qu’il fallait avant tout leur faire poser les armes ; il écouta la question du retour des princes, de la rentrée des émigrés, de la remise immédiate à l’armée vendéenne du Dauphin et de Madame, de la reconnaissance, comme religion dominante, de la religion catholique, apostolique, romaine. Ses plénipotentiaires discutèrent toutes ces prétentions, sans en rejeter aucune de prime abord ; mais ils les ajournèrent sous le motif si évident qu’il fallait du temps pour amener les esprits au passage de la République à la Royauté ; enfin ils mirent tant d’adresse, qu’ils amenèrent Charette à signer, le 15 février, un traité par lequel il déclarait que les Vendéens se soumettaient aux lois de la République. Cette seule disposition annulait toutes les autres, qu’on avait à dessein stipulées dans des articles secrets. »


Il est impossible de dire plus discrètement, mais aussi plus clairement, qu’on s’était proposé de tromper les Vendéens et que dans ce but, on avait consenti, par des clauses reléguées à dessein dans des articles secrets, tout ce qu’il fallait pour leur donner satisfaction, avec les réserves de temps prévues dans le manifeste de Cormatin et pour leur donner confiance que les engagements étaient pris d’une façon formelle et valable.

Charette le comprit ainsi. Il se hâta d’en faire part au Régent de France, par une lettre magnifique de fierté simple dans le dévouement et le sacrifice.


   « Monseigneur,

» Je viens apporter ma tête[8] aux pieds de Votre Altesse Royale, si elle me juge coupable en vertu de l’acte que j’ai signé. Je traite avec la Convention dite Nationale, je la reconnais, je me sépare de votre cause sacrée, de celle de mon Roi, pour laquelle j’ai combattu et versé mon sang ; j’entraîne dans ma défection mes officiers, mes soldats et je souffre que le drapeau tricolore se déploie paisiblement en des lieux où jusqu’ici, il n’a pu flotter qu’à la suite des plus funestes défaites.

» Voilà mon crime, Monseigneur, je ne le nie, ni ne l’atténue.

» Maintenant, voici mon excuse. Mon Roi et le vôtre est prisonnier des bourreaux de son père, qui peuvent devenir les siens, sa vie sacrée est perpétuellement menacée ; tout est donc permis, tout est donc légitime pour le rendre à la liberté. Eh bien ! cette liberté, je l’ai obtenue. Une convention secrète entre les Commissaires du pouvoir exécutif et moi, convention dont je mettrai l’original sous vos yeux, décide du sort de Sa Majesté. On remettra la personne du Roi aux Commissaires que j’enverrai à Paris, on consent à ce qu’il revienne parmi nous, et une fois en notre pouvoir, je présume qu’un soulèvement unanime le servira beaucoup mieux que des efforts tentés pendant sa captivité. Avec lui nous serons invincibles, et maintenant nous ne sommes rien sans un prince de la maison de Bourbon[9].

» Il est, ce me semble, inutile de discuter sur le mérite apparent du traité que je viens de signer, de s’inquiéter s’il compromet ou non la monarchie, si je suis, moi qui le signe, à blâmer ou à louer ; il ne faut voir que le motif qui le détermine. C’est à lui que j’immole ma réputation, mon influence, peut-être mon honneur à venir, et, assurément mon repos ; mais c’est pour le roi que je me souille de cette tache. Dieu et lui m’en laveront plus tard[10].

» On me donne toutes les assurances possibles de la fidélité qu’on mettra à remplir la grande condition… Si on y manquait, j’aurais ma vie à vous donner en expiation de ma crédulité.

» Un profond mystère, impénétrable aux agents de l’Autriche, de l’Angleterre et aux partisans de la branche d’Orléans, doit couvrir ce que je dépose en pleine confiance dans le sein de Votre Altesse Royale. Vous devez me comprendre : il y a des traîtres partout ; il y en a même dans l’intimité de votre auguste frère[11].

» J’ai cru, dans la circonstance, devoir agir d’après moi seul, afin que si l’affaire tourne mal, on n’accuse pas le Régent de France, mais seulement Son très dévoué et respectueux serviteur…[12] »


  1. Ainsi Cormatin, qui voulait traiter, annonçait publiquement les clauses secrètes promises. — Un autre chef royaliste, Beauvais, qui, lui, ne voulait pas traiter, les annonçait avec plus de précision encore, il écrivait, le 18 avril 1795, au Conseil général royaliste : « … que le Roi, s’il n’est rétabli que par la Convention seule, ne sera jamais qu’un fantôme de Roi… » (Cité par Puisaye, Mémoires, t. 4, p. 496.)
  2. Un de nos amis, écrivain de talent et de grande érudition, nous disait dernièrement que c’était la lecture de l’ouvrage de M. de La Sicotière qui avait formé le principe de sa conviction quant à l’existence des articles secrets de La Jaunaye.
  3. Revue des questions historiques, vol. XXIX, p. 222.
  4. Voir Append. n° 7.
  5. Ce témoignage (qui implique l’existence de Louis XVII après le 8 juin) a été publié par Peuchet, qui ajoute, en son nom personnel, l’affirmation que l’engagement de remettre les enfants royaux aux Vendéens, fut « en effet pris et accepté par le Comité de salut public ». Peuchet qui fut, on le sait, archiviste de la police, était nécessairement bien renseigné.
  6. Dans cette lettre adressée à Guezno, il est intéressant de signaler cette phrase : « Boissy adopte toutes les mesures, il en sent l’urgence. » — Boissy d’Anglas n’était pas à cette époque et ne fut jamais une personnalité de premier plan. La précaution d’avertir que les mesures de trahison contre la Vendée sont approuvées par Boissy, ne se comprendrait en aucune façon, si elle n’avait pas pour but d’indiquer aux initiés que le plan était concerté avec le comte de Provence, dont le susdit Boissy était notoirement un des représentants auprès des Comités de gouvernement. Les mesures ordonnées consistaient à violer l’armistice et à reprendre les hostilités. À cette même époque, Boissy d’Anglas écrivait au comte de Provence : « J’ai quelque raison de croire que ce qui se machine, vous mène à la couronne de France. » Tout cela concorde remarquablement.
  7. Voici des documents inédits relatifs à cette affaire. Ce sont des extraits de la correspondance de Paris publiée par un journal de province, L’Anti-Terroriste de Toulouse : « Numéro du samedi 29 décembre 1795, 8 nivôse. » — « Du 23 frimaire. » — On vient d’afficher dans Paris, un placard qui attire la foule et qui paraît faire beaucoup de sensation. Il est intitulé : Cormatin aux Français : lisez et jugez.
    « On lit en tête une lettre signée Guezno, qui assure que les articles du traité secret fait avec les chefs des Chouans seront exécutés à l’époque réglée ; que le Comité de salut public a pris toutes les mesures à cet effet, mais qu’il peut être gêné par la nécessité de conserver les apparences. L’auteur de l’affiche assure que le 4 juin (16 prairial), il a été convenu avec les chefs des Chouans, que le lendemain, Louis XVII et sa sœur seraient conduits à Saint-Cloud et que Doulcet, Tallien, Cambacérès, Treilhard, Rabaud, Sieyès, Rewbell, Gillet et Roux en signèrent la promesse. Vient ensuite une longue lettre écrite par le Comité de salut public au représentant Guezno. Il y est dit en substance, qu’il faut absolument terminer la guerre de Vendée, à quelque prix que ce soit ; que si la Convention ne détruit pas la Vendée, la Vendée détruira la Convention ; que quant au traité fait avec les chefs, « ils n’ont pas mis, en le signant, plus de bonne foi que nous ; les deux partis ont transigé sachant bien qu’ils se trompaient. Le temps est venu où, d’après l’art. II du traité secret, il faut leur présenter un fantôme de monarchie et leur montrer ce bambin pour lequel ils se battent. Les Comités n’ont trouvé qu’un moyen pour éviter de faire ce pas, qui nous perdrait sans ressource ». — Dans la suite de cette lettre, qui est fort longue, il paraît que ce moyen tendait à recommander à Guezno de s’assurer de onze chefs des Chouans. — À la suite de cette lettre, qui est signée Tallien, Treilhard, Sieyès, Doulcet, Rabaud et Cambacérès, Cormatin ajoute encore qu’il va se procurer les originaux de ces pièces et de beaucoup d’autres, et il fait remarquer en passant, au lecteur, que l’époque à laquelle on avait manqué à la promesse de conduire Louis XVII à Saint-Cloud n’était pas éloignée de celle de la mort de cet auguste enfant, ainsi qu’il l’appelle, et de son médecin, Dessault[sic]. Enfin, dit-il en terminant, on m’accuse d’avoir violé les traités avec la Convention. Vous avez lu, jugez ! » — « Numéro du mercredi, 30 décembre 1795, 9 nivôse. » — « Le procès de Cormatin est repris. Cet accusé insiste toujours beaucoup pour l’existence des clauses secrètes. — Un arrêté du Directoire supprime le Bulletin officiel. » Voici maintenant un extrait du Journal des hommes libres, nonidi, 9 frimaire, 4e année : « Une lettre du citoyen Villers, capitaine au 4e conseil militaire, séant au palais de justice, annonce que le Conseil continue toujours l’information secrète de l’affaire de Cormatin, que les séances publiques recommenceront le 15 du mois prochain, et que ce retard tient à des causes majeures… Il y a longtemps que nous le savons et le bout de l’oreille commence à paraître chez messieurs les pacificateurs. On leur demandera un jour s’ils étaient sûrs de faire remplir par la République toutes, exactement toutes les promesses par eux faites aux royalistes de la Vendée. » Ces deux journaux, l’un royaliste, l’autre jacobin, croyaient également aux clauses secrètes.
  8. Le malheureux ne savait pas si bien dire.
  9. Faut-il voir ici une ironie ou seulement une plainte au sujet de l’attitude des princes à l’égard de la Vendée ?
  10. Il ne craignait pas de laisser voir au Régent qu’il comptait peu sur son approbation personnelle et que l’intérêt qui le guidait était autre. Il sentait bien que ses intentions ne seraient pas jugées conformes aux intentions de M. de Provence et ne pouvait soupçonner que, par son acte, il faisait, en quelque sorte, son jeu.
  11. La trahison n’était pas seulement dans le Conseil des Princes ; elle était le fait des Princes eux-mêmes. Ne semble-t-il pas que cette triste conviction perce sous les recommandations et les déclarations de confiance adressées par un royaliste loyal, au prince, qu’il est bien obligé de considérer comme l’unique dépositaire de l’autorité monarchique ?
  12. On a quelquefois essayé de mettre en doute l’authenticité de cette lettre, qui a été publiée pour la première fois dans les Mémoires de Napoléon ; on s’est fondé sur ce que le rédacteur de ces Mémoires est le baron de Lamothe-Langon. Ce serait, à bien considérer les choses, une raison de la croire authentique, attendu que Lamothe-Langon, qui eut certainement à sa disposition un grand nombre de documents provenant de Napoléon, en eut en outre, provenant d’une autre source très sérieuse, ayant été lui-même secrétaire de Cambacérès, qui fut incontestablement un des hommes les mieux informés sur les faits de cette période. — Il paraît d’ailleurs que l’original de cette lettre se trouve aux archives secrètes du ministère des Affaires étrangères. Il est tout à fait impossible d’en douter, si l’on fait attention à ceci : Jules Favre en a produit le texte dans sa plaidoirie devant la Cour d’appel en 1874. Or, il a fait, à propos de cette plaidoirie, la déclaration suivante, certifiée par le comte d’Hérisson et par M. Alfred Naquet : « Ma conviction est fondée sur des pièces que j’ai vues lorsque j’ai passé aux Affaires étrangères et dont il m’est impossible de me servir. » On comprend qu’il n’ait pas pu dire : « J’ai vu cette lettre », mais il est clair qu’il se serait abstenu d’en parler, si l’examen du dossier ne lui eût pas donné la certitude de son authenticité. Enfin, il existe une autre lettre de Charette, que le comte de Provence a fait publier comme réponse à une lettre de lui, avec des explications évidemment fantaisistes et probablement avec quelques additions, qui ne se trouvent pas dans le texte donné par Beauchamp (Hist. de Louis XVIII, t. Ier, p. 132). Cette lettre n’a de sens que comme réponse à des observations reçues à la suite de la première : — « Peut-être, Monseigneur, a-t-on essayé de dénaturer à vos yeux quelques-unes de mes démarches ; peut-être ont-elle reçu une interprétation étrangère à leur vrai motif ? Mais si je rentre en moi-même, je retrouve au fond de mon cœur cet honneur ineffaçable des vieux chevaliers français ; j’y retrouve en caractère de feu, cet attachement inaltérable que j’ai voué à l’illustre sang des Bourbons. Fort de ma conscience, je dirai à mes censeurs : politiques profonds, vous qui n’avez jamais connu les lois de la nécessité et qui jugez sur les apparences, venez apprendre les circonstances qui m’ont déterminé, ainsi que mes braves compagnons d’armes ; venez peser l’avantage qui peut en résulter pour nos succès ultérieurs. Au camp de Belleville, 18 juin 1795. »