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Le Parnasse contemporain/1866/Le Fossoyeur

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Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]I. 1866 (p. 234-235).
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LE FOSSOYEUR




Le fossoyeur fut le premier
Laboureur du monde où nous sommes.
La mort l’a choisi pour fermier,
Dans les champs il sème des hommes.

Il sème. Il ne voit rien venir
Lorsqu’au printemps poussent les herbes ;
Il faut des siècles d’avenir
Pour que germent ces grains superbes.

Qu’importe ! sa maîtresse est là
Qui lui met de l’argent en poche.
Il travaille content. Voilà
Six mille ans qu’il use sa pioche.

Dis-nous, honnête fossoyeur,
Quand finira ta tâche immense ;
Quand il viendra, ce temps meilleur,
Où fleurit ce qu’on ensemence ?

Dis-nous quel nouveau firmament,
Ah ! dis-nous, fossoyeur honnête,
Quel merveilleux rayonnement
D’étoiles sur notre planète ;


Dis-nous quel souffle virginal,
D’un vent printanier qu’on ignore,
Quel chaud soleil oriental,
Quelle rosée et quelle aurore

Doivent paraître à l’horizon
Pour accomplir ton œuvre entière,
Pour faire germer la moisson,
Pour féconder le cimetière,

Pour préparer aux paradis,
Pour préparer aux vastes granges
Ces grains transformés en épis,
Ces cadavres changés en anges ?

Le fossoyeur hait les discours ;
Il nous prend morts, il nous enfonce
Dans la terre : c’est tous les jours
La même, la triste réponse !


JULES FORNI.