Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/13.me Lettre

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13.me) (Pierre, à Edmond.

[Je lui fais quelques remontrances.]

1750.
8 ſeptemb.
Jour de la Vierge.


Celle-ci eſt pour repondre à ta longue Lettre, mon Edmond. En-lisant le commencement, je ſuis-reſté comme une pierre ! Ô-ſeigneur ! cette d.lle Manon ! C’eſt une Vipère que cette Fille-là (ſupposé, comme tu dis, que ce ſait elle) ! Ét dans ce cas, il n’y-faudrait pas plûs-ſonger qu’à ta première-chemise ; J’avais-cru que c’était quelquechose pour toi ; mais ça pourrait-bién-être moins que rién… Il faudra pourtant voir encore, auparavant que de lui dire tout-à-fait abrenuntio Satana (comme on dit au-batême). Tu as beau-faire, je n aime pas ta Tiénnette : quand on-va drait, on ne ſe-cache pas ; il y-a quelquechose là-deſſous. Pour cette gentille Edmée, dont tu me parles tant, ça ne me plaît pas autant qu’aurait-fait m.lle Manon, vois-tu, mon Ami : ne va pas t’attacher, ſans bién-ſavoir ce que c’eſt ; il faut viser au ſolide ; z c’eſt-là mon mot, à moi : Parainſi, qu’elle ſoit d’Honnêtes-gens, ét qu’elle ait des eſperances, je t’appuierai ; ſinon, neſcio vos. Ne va pas trop-vîte en-besogne : fais l’amour comme ici ; on ſe-frequente quelquefois quatre-à-cinq-ans avant de ſ’avoir, ét on n’en-eſt guère plus-familiers pour ça ; on cause au Père ét à la Mère plus-ſouvent qu’à la Fille ; ét ça fait-bién ; on apprend le menage avec eux, ét on profite de leurs conſeils ; aulieu que de Jeuneſſe à Jeuneſſe, on ne dit que des balivernes. Je te dirai qu’on parle de nous marier, Fanchon-Berthier ét moi cet hiver : c’eſt tout-comme il plaîra à notre Père ét à notre Mère, ét aux géns. Je crais que j’aurai une honnête ét aimable Femme : ainſi je ſuis-content. Urſule parle de-temps-en-temps à notre Mère pour aler auprès de toi ; mais je ne le conſeillerai pas, que je ne te voye plus-fixe ét plus-aufait. Je n’aime pas ta batalile de Vaux ; ca ſent le petit Freluquet : chés nous, en-pareil cas, les Gens raisonnables parlent, ét ne font pas rouler du haut-en-bas d’une montagne : ſi tu les avais-bleſſés, ét qu’ils t’euſſent fait un bon procès !… C’eſt peu de-chose : mais ça fait du bruit : on dirait ici, Edmond K★★ ſ’eſt-battu avec des Gens ivres ; il l’étrait apparemment auſſi ? Le bel honneur ! Mais pour ne pas finir fâché, je vais te faire-écrire deux mots par notre bonne Mère :

Mon Edmond ; je renvoie des chauſſes-de-filoselle, avec des culotes-de-fortendiable ; deux veſtes ét l’habit de baracan, pour te faire brave les dimanches-ét-fêtes : mon Pierre me-conte tout, ét me-dit qu’il ſe-presente un bon Parti pour toi, ſi tu es-ſage : il faut l’être, mon Enfant, ét bién-craindre le Bondieu ! &emsp ; &emsp ; Je t’embraſſe de tout mon cœur.

Ta Mère Barbe-De-Bertro.

Je n’ai-rién-dicté, ét tout ça eſt d’elle, car, vois-tu, mon Edmond, j’aurais-cru-manquer au reſpedt, ét faire comme une profanation en-y-mélant du mién. Adieu : aime ton Frére autant qu’il t’aime.

Urſule ét Fanchon t’embraſſent, ainſi que toute la Famille : ét notre bon Père parle souvent de toi, ét toujours en-bién,