Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/15.me Lettre

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15.me) (D’Arras, à m.lle Manon.

[Voici un Ami d’Edmond bién-dangereus.]

1750.
15 septemb.


Je voulais vous parler hier, Mademoiselle ; Mais je ne pus avoir cet avantage, l’ordre m’étant-venu de partir pour Saintbris, que je dois deſſervir durant un petit voyage du Curé, le Vicaire étant malade. Voici ce que je voulais vous dire.

Etes-vous bién-ſûre de vos diſpositions en faveur du jeune R★★ ? Le ſecret ſera-t-il impenetrable ? en-un-mot, ce Jeunehomme ſera-t-il heureus ? Ces queſtions vous ſurprennent ; mais elles ſont-fondées : en-voyant Edmond, j’ai-ſenti que la ſimpathie, ce panchant irresiſtible dont on ne peut ſe-rendre-raison, m’entraînait vers lui ; c’eſt la plus-tendre amitié qu’il m’inſpire ; ainſi je veus le ſervir en-vous-ſervant, ét m’obliger moi-même, en-ſuivant mon inclination. Je fais tout ce que vous valez, ma Belle, ét c’eſt un motif determinant : mais auſſi, Edmond a de grands prejugés ! reüſſirons-nous à les detruire ? Le temps preſſe. Vous ſavez comme je penſe : j’approuve tout, vos raisons ſeraient les miénnes : mais prenez y-garde ! Edmond n’eſt pas un ſot. Vous me-direz que c’eſt tant-mieux. Oui, pourvu que la resolution que vous m’avez-exprimée dernièrement ſait auſſi durable, qu’elle m’a-paru ſincère. Ne vous preparez pas de regrets, ni à moi des reproches : je ſerais au-deseſpoir de tromper Edmond, dans le ſens que je l’entens ; car ſ’il eſt heureus, il ne ſera-pas-trompé.