Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/16.me Lettre

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16.me) (Reponſe au p. D’Arras.

[Ô Serpent rusé !]

1750.
16 ſeptemb.


L’interêt que vous inſpire Edmond m’a-flatée plûſque vous ne ſauriez imaginer : il eſt-fait pour être-aimé ; tout le monde aura mes ïeus ét mon cœur, dès qu’il ſ’agira de cet aimable Jeunehomme. Vous me-demandez, ſi ma resolution eſt-ſolide ? Quoi ! c’eſt vous qui me-faites cette queſtion ! Elle eſt-inviolable, elle eſt-ſacrée ma resolution ; croyez-en l’amour ét l’honneur… Que les derniers ſacrifices m’ont-coûté !… Je meritais cet affreus ſupplice ! Edmond ſera-heureus, ſi ma tendreſſe ét ma fidelité peuvent contribuer à ſon bonheur. Quant à la fortune, dont vous ne parlez pas, les arrangemens ſont tels, que vous demanderiez de la moderation : mais Maman ét ma Sœur ſ’en-font un cas-de-conſcience. Soyez donc tranquil ; mais attaquez vivement le prejugé, depeur d’accident. Je crains beaucoup cette virtuose de Tiénnette ! ces Begueules de Village ſe-font un ſiſtème-de-vertu qui les accommode (car c’eſt la Dulcinée d’un certain Loiseau), ét ſont pour les Filles audeſſus d’elles, d’une ſeverité brutale. Ma Cousine l’a-gâtée, en-la-rendant familière ; elle ſ’en-repentira, je le lui ai-predit… Ce que vous ſavez a-reüſſi ; elle eſt-ſacrifiée : j’y-repugnais ; mais Il l’a-voulu : Malgré le ſuccès, je m’en-repens : toujours des… (mon cœur les nomme) : vous penſez autrement vous-autres ; à-la-bonneheure, ſi votre ſiſtème eſt-vrais mais, ſ’il ne l’eſt pas ?… Avant de finir, il faut que je vous detrompe, au-ſujet d’une idée qu’il me parut que vous aviez, dans le dernier entretién que vous eutes avec m.r Parangon : Il n’eſt-pas-vrai, dumoins quant à ce qui me-regarde, que la venue du jeune R★★ ait-decidé ma faibleſſe : lorſqu’il eſt-arrivé, loin d’être-decidée, j’ai-voulu l’éprouver de toutes les manières : c’eſt un caractêère doux ſans baſſeſſe ; j’ai-ſouvent-entrevu la fierté percer ſous ſon obeiſſance ; il cedait avec nobleſſe, ét mettait audeſſous de lui mes mepris affectés. Rién ne m’échappe de ſon merite, pas plûſ-que de ſa bonne-mine, ét ces deux choses m’ont-également-determinée. Il eſt-bién-vrai, comme l’a-dit m.r Parangon que je l’avais-vu à V★★★, ét qu’il m’avait-plu : mais que je fuſſe amoureuse de ce jeune Paysan, ét que la promeſſe de me le faire-épouser m’ait-determinée, c’eſt le propos d’un Jalous. Loin-de-là ! ſans ma faibleſſe, Edmond ne m’aurait-jamais eue. Ainſi, vous le ſervirez… Cependant, je vous l’avoue, je me-pardonne preſque ma faute, d’après l’idée qu’elle lui eſt avantageuse… Je vous ouvre mon cœur, bién-ſûre que vous nous ſervirez Edmond ét moi, de-preference à un Homme qui… ne voit jamais que lui-même dans ſes Amis, ét dans le bién qu’il leur fait…

Adieu, chèr Père : vous avez tant de qualités, ſur-tout avec vos Amis, qu’il eſt-impoſſible de ne pas vos pardonner bién des defauts !

Non-ſignée.