Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/18.me Lettre
26 ſeptemb.
Je te-fais reponſe à-la-hâte, mon cher Frère :
Et je te-dirai premièrement, Que je t’avais-toujours-bién-dit,
que ta Tiénnette ne valait
pas ce que j’ai-trouvé hier ; ét que je ſuis-charmé
que tu n’ayes-pas-êtê bién-ſûr de ce
que tu crayais avoir-vu de la m.lle Manon : ét
je ne ſaurais te cacher, que je fuis-ſurpris que
tu ailles tant louanger m.me Parangon, qui eſt
femme ; c’eſt tout ce que je te paſſérais ſi elle
était fille, ou-bién veuve ; il n’y-a rién-là pour
toi, entens-tu, mon Edmond ? ér je ne te conſeille
pas de t’aler tant mettre ſon merite dans
la tête ; c’eſt à ſon Mari à ſ’occuper de ça y
ét ſi il ne le voit pas, tantpis pour lui. Je te
dirai encore, qu’il me-paraît que tu es unpeu
girouette en-amitié ; aujourd’hui Celle-ci, demain
Celle-là ; ét que ton humeur change tant-fait-peu.
Mais je ſuis-pourtant-bién-charmé
que tu te-faſſes à la Ville, ét je crais même que
tu ne t’y-feras que trop ; ét comme tu es pour
y-vivre, il vaut mieux que tu l’aimes, que de la haïr : mais ne laiſſe pas effacer de ta memoire
les avis de notre Père, ét ne prens pas
toujours exemple ſur ça que tu vois, ét garde-toi
de toi-même ; j’ai-entendu dire à Gens ſages
ét anciéns, que nous ſommes nos plus-dangereus
énnemis. Sais prudent, ét choisis
Celle qui t’aſſortira la-mieux, de m.lle Manon,
ou de m.lle Edmée ; tu es jeune ; ét beaucoup-trop
pour le mariage, vu que tu n’as point
encore d’état : mais pourtant ſi l’occasion ſe-presente,
ét qu’elle ſait bonne, ça t’aiderait
plutôt dans la portraiture, que ça ne te reculerait,
acause des moyéns qu’une Femme à-ſon-aise
te donnerait. Par-ainſi, ſonge à la
conduite, à la famille, au bién ; tout ça eſt
important ; ét pourtant le dernier l’eſt lemoins
des trois, quoiqu’il le ſait par-beaucoup :
Pour à mon égard, je trouve tout-ça dans Fanchon-Berthier,
avec la gentilleſſe pardeſſus,
quoique tu méparles un-peu de nos Paysanes ;
je te ſouhaite une Femme tout-comme elle ;
ou pour te montrer mon cœur, je ſouhaite que
m.lle Manon te prénne-à-gré : nous connaiſſons
ſa famille ; elle eſt honorable, ét il y-a
du bién ; tu monteras, aulieu de deſcendre :
ét pourtant conſulte encore ; ét dès que tu
ſeras-decidé, tu me le manderas, ét je parlerai
à nos Père ét Mère ; ét on mettra Urſule
auprès de toi. Nous t’embraſſons tous : mais
à-l’exception d’Urſule, il n’eſt auqu’un de nos
Frères ét Sœurs qui t’aime autant que
Je ſuis-bién-charmé de la bonne rencontre du bon p. D’Arras, ét je t’ai-reservé ce compliment-là pour la fin. J’ai-lu l’endrait de ta Lettre où tu parles de lui, à notre bonne Mère ; ét elle en-a-été toute-joyeuse ; ét elle t’enjoint de bién-profiter des avis de ce bon Religieus ; ſe-recommandant en-ſurplûs à ſes bonnes-prières.