Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/23.me Lettre
De Saintbris, même jour
10 octobre.
Convenez, ma Charmante, que vous aviéz-besoin
de mon ſecours ? Les Gens de notre
robe ſe-mettent à tout, comme vous voyez ?
Je ne manquerai pas de me-trouver à votre
grand-jour : vous ſerez-troublée, ou ne ſongerez
qu’au plaisir ; moi, je ſerai de ſens-raſſis,
prevoyant. Il faut que dès-aujourd’hui Parangon
ſonge à tenir à une diſtance convenable
ſa Minerve ou ſa Venus, je ne ſais lequel ; mais elle eſt tous-les-deux : le Jeunehomme
eſt ſon protegé, dit-on ; puiſqu’elle ſait notre
ſecret, elle pourrait nuire à la reüſſite. Je
ſuis fort-content du Pretendu, que j’aurais-bién-voulu
retenir ici juſqu’au mariage : il y-a
de l’étofe, ét je lui ai-trouvé ce que je cherche
depuis longtemps, pour remplir certaines
vues, que celles de Parangon ét les vôtres contrarient
unpeu : nous verrons. Pour ce qui vous
regarde, il m’a-bién-l’air de ces Fripons, qui
ne doivent conſerver de leur amour que les
ailes ! En-honneur, vous pouvez le tromper
unpeu (quant au paſſé), ſans tous ces
petits ſcrupules que vous m’avez-montrés ; il
ne ſera peutêtre pas longtemps en-reſte !…
Quant au prejugé en-queſtion, j’ai-deja-commencé
à le combattre : mais ces Gens-de-campagne
y-tiénnent furieusement ! S’il n’était
pas trop-tard, je vous dirais, ſuivez plutôt
l’amour que la prudence. Je ferais-bién-ſurpris
qu’en-montrant un rayon-de-miel à ce
Jeune-affamé, il ne fît pas comme Jonathas,
les Français ne font guère moins-gourmands
que les Juifs ; c’était le tranquilisatif le plus-ſûr…
Si nous pouvions lui faire-faire quelques
mois de ſejour à la Capitale, vous en-profiteriez
pour vous éclipſer durant le temps
critique ? Mais peutêtre trouverez-vous ce
ſejour-là trop dangereus pour la fidelité ?