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Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/25.me Lettre

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25.me) (Pierre, à Edmond.

[Grande finesse de m.r Parangon.]

1750.
Le même jour que
la precedente
13 octobre.


Comme je vois par tes Lettres, qu’on ne ſe-ſert plus de nos preambules ordinaires, Je vous écris ces lignes, ét autres ; par-ainſi, je les ſupprimerai des miénnes.

À-peine, mon chèr Edmond, étais-je de retour chés nous, après avoir-conduit Urſule ét Bertrand juſqu’audeſſus de la colline, que nous avons-vu arriver ton Maitre, le bon m.r Parangon, qui eſt-venu luimême pour dire à notre Père ét à notre Mêre, qu’il falait partir dès demain avec lui, à-l’effet d’accomplir ton alliance avec m.lle Manon : II avait-paſſé par V★★★, ét notre Sœur par le chemin des bois, qui eſt notre route ordinaire ; c’eſt pourquoi nous-ne-nous-ſommes-pas-rencontrés. Nos bons Père ét Mère ont-été-bién-reconnaiſſans de ſa bonté : Ainſi, vous aurez un ban ici dimanche, ét diſpenſe des deux autres, pour être-mariés de-mardi-en-huit. Et c’eſt ce qui fait, mon chèr Frère, qu’à leur inſçu, je t’envoye celle-ci par Georget, afin que tu les ſurprennes, en-alant audevant d’eux, juſqu’aux bois. Notre Père ſera à-cheval, ét notre Mère ſur ſa monture ordinaire ; car les chevaus qui ont-mené Urſule dans la voiture-couverte ſeraient-trop-fatigués, n’arrivant que ce-ſoir ; ſi-bién que notre bonne Mère pourrait être-incommodée durant quatre-lieues qu’il y-a ſans villages, ſi je n’y-avais-pourvu : je te dirai donc que j’ai fait-faire un berceau de coudriers ét de jeunes charmes, avec des branches-de-vignes garnies de leurs fruits que j’ai-coupées ; ét ce berceau eſt à la corne du bois de la Provenchère, tout-juſtement à l’endrait juſqu’auquel je te reconduisis, quand tu fus demeurer à la Ville ; car du depuis, cet endrait-là m’a-toujours-causé comme un attendriſſement qui me-fait peine ét plaisir tout-à-la-fois ; ét j’y-ai-quasi-pleuré à-ce-matin, en-y-laiſſant Urſule. Demain, avant ſoleil-levé, j’y-ferai porter une jolie petite colation ; ét Ceux qui l’auront-portée ſ’en-reviéndront par un autre chemin, dès que tu ſeras-arrivé ; ét toi, tu te-tiéndras aſſis à-l’entrée du berceau ; ét lorſque notre Père, notre Mère, ét m.r Parangon approcheront, tu joueras ſur ta flûte cet air que notre Mère aime tant. Ils ſeront-bién-ſurpris ! je ferai l’étonné comme les Autres ; ét quand ils verront tout-ça, ils auront bién de la ſatiſfaction, ét ils feront dans ces pauvres campagnes un agreable repas. Mon chèr Frère, je n’ai qu’un regret ; c’eſt de ne pouvoir être temoin de ton mariage, Il faut que je gouverne la maison en—l’abſence de notre Père, que je veille au vin-nouveau, ét que j’avance la ſemaille de nos bléds ; nous ſommes dans le temps de l’année le plus à menager, comme tu ſais bién ; puiſque ſi on laiſſe échapper un beau jour, on n’eſt pas ſûr de le ratrapper. Mais en-ma place, j’ai-obtenu de Fanchon qu’elle ſerait à ta noce ; ét ſon Père ét ſa Mère l’ont-bién-voulu, parceque je n’y-vas pas, ét qu’on ne pourra faire auqu’un diſcours dans le pays ſur ſon compre. Tu auras auſſi tous nos Frères ét Sœurs en-état de faire le voyage ; mais à-l’exceptiou de Chriſtine ét de Marianne, ils ne partiront que l’avantveille de ton beaujour : notre Père a-nommé nos Frères Georget ét Bertrand ; ét outre nos Sœurs Chriſtine ét Marianne, Brigitte, Marthon ét Claudine : il ne reſtera donc avec moi, qu’Auguſtin-Nicolas, ét le petit Charlot, avec Babette ét la petite Catiche, qui ſont-fâchés, on ne ſaurait dire combién ; ils vont-flater notre Mère, ils pleurent, ils emploient toutes leurs petites manigances ; ils ont-même-été prier m.r Parangon, qui a-bién-voulu interceder pour eux. Mais notre Père, de ce regard unpeu ſevère que tu connais bién, a-tout-d’un-coup-fait ceſſer tout ce tremouſſement-là, Nous irons tous reconduire notre Père ét notre Mère juſqu’à mi-chemin, là tout juſtement où eſt le berceau, à-l’exception de, Georget, qui ſ’eft-offert à garder la maison à ma place : tu ſais qu’il eſt la bonté même, ce pauvre Georget. S’il faut te le dire, mon Edmond, malgré leurs juſtes ét leurs habits-de-village, je ne crais pas qu’on trouve Fanchon ét nos Sœurs mal à la Ville. M.r Parangon ne peut ſe-laſſer de les admirer : il dit ſur-tout qu’il ſe-meurt d’envie de voir Urſule. Je te ſouhaite, mon Ami, l’accompliſſement de tous tes desirs, ét j’embraſſe ta chère Pretendue, en-te recommandant bién Fanchon, ainſi qu’à Urſule ; car vous ſavez comme elle eſt-timide. Il ne nous manquerait rién demain, ſi m.lle Manon ſe-trouvait ſous le berceau ; mais cela n’eſt pas proposable.