Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/3.me Lettre
1 decemb.
Mon chèr Frère : Je t’écris ces lignes,
pour te faire-à-ſavoir que j’ai-reçu la tiénne,
en-date du premier du courant ; & en-même-temps
pour te dire, que nous avons-été-charmés d’avoir de tes nouvelles ; ét que
du-depuis que tu n’es plus à Saci, nous n’avons
plus de divertiſſemens ; ét que ma
Mère pleure tous les jours de ne te plus voir ;
ét quant à nos Frères, nos Sœurs ét à moi,
il nous-ſemble qu’il y-ait dix-ans que nous
ne t’avons-vu. Il faut pourtant prendre-courage,
mon pauvre Edmond ; car on dit
qu’il n’y-a que les commencemens qui coûtent :
ét quant à ce qui eſt de Nous-tous,
nous voudrions-bién que tu fûs ici ; mais
notre Père dit que ça n’eſt pas ton avantage
ét ça nous conſole unpeu de ce que
tu n’es plus avec nous. Et pour quant à ce
qui eſt de ces Gens de Villes, il ne faut
pas que ça t’étonne, ni te faſſe-peine :
prens-patience ; car quand tu ſauras ton
metier de Peintre, tu ne dependras plus de
Perſone : C’eſt un bel-ét-bon metier, malgré
le proverbe, quand on y-eſt habile : car
ton Maître eſt riche, ét tous les Seigneurs
des Châteaus des environs veulent l’avoir ;
ét il a-dit comme ça à notre bon Père, quand
il lui parla à V★★★, qu’un Peintre de Portugal,
qui ſe nommait Avelar, avait-acheté
les maisons d’une rue toute-entière dans la
ville de Liſbonne, qui eſt comme une eſpèce
de Paris, ét que ce Peintre avait-fait-changer
le proverbe ; car on dit apresent dans la ville
de Liſbone, » Riche comme le Peintre Avelar
» ; ét qu’il n’y a que les Débaûchés qui ſont
gueus ét miserables : Or tu ne l’es pas, toi, mon Edmond, ni porté-à-l’être, Dieu-merci.
Par-ainſi, porte-toi-bien ; ſois gaillard, ét
viéns nous voir ces fêtes-de-noël. Urſule,
ét tous nos Frères ét Sœurs te font-bién-des-amitiés,
ét Fanchon-Berthier qui ſ’y-joint,
te remercie de ton bon ſouvenir.