Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/37.me Lettre
12 novemb.
Je felicite ma bonne-amie Urſule d’être-retournée auprès de vous, Monſieur ét Madame : elle ne ſaurait-être mieus. Cependant, elle m’eſt ſi-chère, ét je m’y-étais-deja-tellement-attachée,
que j’eſpêre que vous me la
rendrez biéntôt : car je ne renoncerais pas
volontiérs au plaisir que ſa ſociété m’a-procuré
pendant le ſejour qu’elle a-fait ici. Mais
j’ai-été-charmée qu’elle vous accompagnât,
pour ſuppleer aux details, que je ne pouvais
vous faire, ét dans leſquels je ne me-hasarderai
jamais d’entrer par Lettre : tout ce que
je puis vous dire, c’eſt que ſi j’ai-fait-manquer
le mariage d’Edmond avec ma Cousine,
c’eſt que je n’ai-pas-cru qu’il fût honorable
pour lui, ni méme avantageus pour elle, dans
ſa position. Elle a-eu le malheur, ſinon de
manquer de ſageſſe, aumoins de manquer de
courage, ou de bonheur, en-ſe-laiſſant tromper
par un Homme, qui ſans-doute a-employé
des moyéns audeſſus des forces ét des lumières
d’une Jeunefille : car ma Cousine eſt honnête,
ét je l’ai-connue trèseſtimable. On ne change pas ainſi de caractère, ni auſſi-promptement,
ét on ne ſe-laiſſerair-pas-ſeduire
par un Homme-marié, ſi ce Dernier
n’employait qu’une ſeduction ordinaire. Mais
tout en-excusant ma pauvre Cousine, autant
que je le dois, je n’ai-pu ſouffrir qu’on trompât
un Jeunehomme, qui a-droit à la protection
de Ceux qui l’ont-attiré chés eux ; ét je
me-ſerais-crue trèscoupable, ſi je ne l’avais-pas-empêché,
le pouvant. Je vous prie inſtamment,
Monſieur ét Madame, de garder
le ſilence ſur cette malheureuse avanture, ét
de me-craire, avec tous les ſentimens que
vous meritez.
P.-ſ. J’attens votre Urſule, ét la miénne, le plutôt poſſible : faites-moi ce plaisir ; J’en-ſerai-reconnaiſſante.
J’eſpère que ton Père voudra bién te-lire ces deux lignes :
« Je desire beaucoup Urſule, ét je la prie de compter ſur moi tant que je vivrai ».