Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/40.me Lettre

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40.me) (Edmond, au p.D’Arras.

[Il parle ici à-decouvert.]

1750.
25 novemb..


Si tout a-reüſſi, chèr Père, c’eſt à vous que je le dois ; vos ſages conſeils ét votre adreſſe ont-ſauvé mon Epouse ét moi-même, ſans me-brouiller avec mes Parens, ni avec mes Amis, parmi leſquels m.me Parangon tiéndra toujours le premier rang. Mon Père viént d’écrire la Lettre que nous demandions : ma Sœur eſt avec m.me Parangon ; elles ſont-inſeparables, ét leur mutuel attachement augmente le bonheur dont je jouis par vos ſoins. Je penſe comme vous, que c’eſt ſur la chère Urſule qu’il faut compter, pour faire ma paix avec tout le monde. Quî-que-ce-ſait ne ſoupçonne mon mariage : nous le decouvrirons lorſque tout ſera bién-diſposé. Mais, ce que je ne puis me-laſſer d’admirer, c’eſt comme les circonſtances ſe-ſont-reünies ! Tout était-prêt ; tout était-ſigné ! vous precipitiez mes Parens ; vous les troubliez au-point que m.r Parangon vous a-cru fou ! Je regardais endeſſous comme vous jetiez de-côté le contrat, les regîtres ; tout cela diſparaiſſait ſans affectacion ! Qu’il eſt facile de tromper la candeur, la draiture ét la ſimplicité ! que cette noble confiance m’humiliait, ét comme elle me-livrait aux remords ! Nous-nous-rendons enfin à l’église ; il était une heure ; Perſone que nous ét nos Temoins : nous pouvions parodier le mot de Denis : Voyez comme les Dieus favorisent le manége des Fourbes ! Quand je penſe à tout cela, je ne ſaurais m’empêcher de voir une deſtinée que je ne pouvais éviter. Eh ! qu’aurais-je fait ? Manon, il n’en-faut pas douter, alait ſe-donnerla mort ; j’ai-vu le couteau levé ſur ſon ſein… ét comme vous l’avez trèsbién-dit, j’aurais-été la cause de ce malheur. Enfin, elle eſt ma famme : c’eſt un ſecret à garder quelques années peutêtre ? Ma plus-grande peine eſt de me-cacher de mon premier Ami, mon Frère… mais il le faut bién… Je vous remercie de la bonté que vous avez-eue d’accepter la direction des conſciences du Monaſtère où la Mère ét les deux Filles ſe-ſont-retirées : c’eſt une conſolation pour moi, dans l’éloignement auquel j’ai-voulu me-condamner, de vous ſavoir-à-portée d’entretenir ſouvent mon Épouse. Adieu, chèr Père ; ſervez-nous-en à tous-deux.