Le Paysan et la paysane pervertis/Tome 1/42.me Lettre

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42.me) (Pierre, à Edmond.

[Conſeils difficiles a-ſuivre.]

1750.
20 decemb..


Ça eſt-decidé, mon Edmond ; notre mariage à Fanchon ét à moi, ſe-ſera dans un-mois ; prepare-toi donc pour dans ce temps-là, à-celle-fin d’y-venir avec Urſule : Et ſi m.me Parangon voulait nous en-faire-l’honneur, auſſi-bién que m.lle Tiénnette, notre Père, notre Mère, ma Pretendue ét moi nous en-aurions bién de la joie : ét voici pour cet effet une Lettre de notre chèr Père, ci-incluse : de ton côté n’oublie rién pour les y-engajer. Je ſuis-ſûr de Celle que j’épouse, mon Edmond ; Ça n’eſt pas comme les Filles de la Ville, qui embraſſent le visage de l’Un, ét donnent leur main à baiser à l’Autre, comme je l’ai-vu ſur une eſtampe chés un Chanoine d’Au★★. Te voila debarraſſé : ſonge que tu es encore trop-jeune pour penſer au mariage ; attens que tu ſaches ton état, ét laiſſe à la bonne dame Parangon le ſoin de te chercher une Famme ; car il ſera moins-dangereus d’en-recevoir une de ſa main, que de celle de ton bon Maître. Oh ! le fin-matois, comme il nous engeolait par ſes beaus-diſcours ét par ſon air benin ! Notre Père ét notre Mère ne peuvent ſ’en-taire, quand nous ne ſommes que nous-trois. Ta d.lle Manon prend le bon-parti ; car il paraît qu’elle va ſe-faire-religieuse. Et toi, mon Ami, ſonge à te biéncomporter ; ſais ſage garſon ; écoute m.me Parrangon ét m.lle Tiennette ; leurs paroles ſont belles ét bonnes ; elles ne ſont que ſageſſe ét prudence, ét je m’y-fie-bién pour toi : mais je me defierais de leurs ïeus : ſarpejeu ! ſur ce qu’on en-dit, comme ils ſont friands ! Tiéns, ils-ſont-traîtres, ſans qu’elles-mêmes elles le ſachent. C’eſt-tout-comme avec Fanchon, quand il arrive quelquefois qu’elle ne fait pas à ma fantaisie ; si je veus gronder, il faut que je baiſſe les ïeus : car ſi je la regarde, me voila mou comme une ſoupe : c’eſt un air ſi-doux ! une petite œillade ſi-mignardone ! ét voila que vous ne favez-plus où ce que vous en-êtes, ét que vous dites tout-juſtement ce qu’il ne falait pas dire. Veille ſur Urſule : on voit mieus pour les Autres que pour ſoi ; par-ainſi ayes l’œil-à toutes ſes demarches ; car elle eft ton acc ? ientée. Autre chose n’ai à te mander, chèr Frère, ſinon que j’ai beaucoup d’ouvrage, êt que malgré ma bonne-envie, je ne te ſaurais-faire de longues Lettres. J’embraſſe Urſule ; Fanchon vous falue tous-deux, ét nos Frères ét Sœurs y-joigneut leurs amitiés.

Lettre du Père R★★, à m.me Parangon,

Madame,

Je prends la liberté de vous eſcribre, à-celle-fin de vous remercier de toutes vos bontés ſi grandes et ſi genereuſes à l’endroit de mes Enfans dont ie conferuerai toute ma vie une trés parfaite recognoiſſance : Car vous eſtes au regard de ma fille, madame, ce que Noëmj fut pour Ruth ; et au regard de mon Fils, ce que Michol fille du Roi Saül fut pour Dauid, laquelle le deſcendit par la feneſtre dans une corbeille, à-celle-fin de le ſouſtraihre à ſes Ennemis : C’eſt donc pour quoi, Madame, ie remets en voſtre bonne garde, et ſoubs voſtre protection le Frere et la Sœur, comine le ſainct homme Tobie remit ſon Fils à l’Ange qui le debuait conduire chez Ragüel, où il le preserua des embuſches du Demon, et luj fit espouſer une Femme vertueuſe ; vous priant d’eſtre enuers eulx comme Debora à l’endroit de Balac qu’elle corrobora par ſes preulx diſcours ; et de faire aux Ennemis de leur ſalut, comme fit Iahël à Siſara, general de l’armée de Iabin, roj de Moab, laquelle luj ficha un clou dans la temple, et comme la genereuſe Judith fit à l’impie Holophernes : vous conjurant au ſurplus, madame, ſi ils avaient le malheur de cheoir en quelque faulte, de les porter à ſe ramenteuoir, ét de les repatrier avec leurs Superieurs ; comme fit la Femme de Thecüa, laquelle par une ingenieuſe ſimilitude, reconcilia Abſalom à ſon pere David, enuoijée qu’elle avait eſté par Ioab. Ie ſçais, madame, que vous auez toutes les vertus de Sara et les graces de Rachel, laquelle plut tant à son Mari lacob, qu’il ſeruit Laban quatorze ans pour icelle : Il ne vous manque plus que d’eſtre fauorisée du Seigneur comme Anna, laquelle prioit deuant le paruis du tabernacle quj eſtoit en-Silo, alorſ-que le Grand Preſtre Helj la crut yure ; et lui demanda ce qu’elle auoit, et qu’il luj predit qu’elle aurait un Fils, lequel fut le ſainct Prophète Samuel. Je vous ſouhaite la méme benediction, madame ; vous priant d’agreer la prière que ie vous ose faire, de nous honorer de voſtre presence aux nopces de mon Fils aiſné, qu’auec la grace de Dieu nous alons marier ces iours icj : Accordez nous cette faueur, madame, et croijez que voſtre honorable aſſiſtance doublera noſtre ioije. C’eſt une Fille bonne ét honneſte qu’eſpouſe mon Pierre ; elle eſt d’aduenante et gracieuſe figure, et d’humeur encore plus gracieuſe, et telle que je me repreſente que eſtoit Rebecca, alorſque Eliezer l’amena pour eſpoufſer le ieune Iſaac, fils du Patriarche Abraham ſon maître ; et ie l’aime, et cheris, et même revere, veu que elle eſt la Fille du Fils de mon ſecond Père, l’honorable Chriſtophe-Berthier, Recteur d’Eſcole de Nitrj dans ma ieuneſſe, et auquel ie doibs, après Dieu et mon digne Pêre, le peu que ie vaux ? Quant à vous, madame, nous vous verrons icj comme le fleuron le plus beau de la couronne que portera la Mariée, et telle que la Sunamite du Cantique des Cantiques, que chantoit le grand Roi Salomon, Ma Femme vous preſente ſes tres finceres reſpects, vous ſuppliant d’exaucer noſtre ſupplication. Ét moj finiſſant, I’ai l’honneur d’eſtre, avec une parfaitement reſpectueuſe recognoiſfſance de vos precieuſes bontés, Madame,

Voſtre tres humble
et tres obeiſſant ſerviteur E. Rameau.